« Je ne vois aucune lumière pour le futur d’Israël »

Ziva Sternhell habite à Jérusalem et écrit régulièrement pour le quotidien Haaretz. Figure de la gauche, elle était également mariée à l’historien Zeev Sternhell mort il y a quelques années. Elle tente de raconter comment la société civile israélienne voit cette nouvelle escalade militaire.
Selon vous quelle est la place des voix critiques du gouvernement Netanyahou dans la société civile israélienne ?
Ziva Sternhell : C’est bien sûr difficile à dire, il n’y a pas une seule société. Elle est divisée en deux camps très différents. Mais il y a aussi des divergences au sein de ceux-ci.
La gauche est divisée. Les 20 % environ qui sont considérés comme critiques de la politique de Netanyahou sont des personnes engagées, auxquels il faut ajouter approximativement au moins 10 % qui se disent contre sa façon de gouverner. Les gens qui sont à gauche restent à gauche, quoi qu’il arrive. Les gens que nous qualifions de « secte » pro-Netanyahou ne changent pas non plus en fonction des événements. Peu importe ce qu’il fait, il est considéré comme un dieu. Eux représentent environ 30 %.
Quelles sont les personnes “au milieu” ?
Ils représentent à peu près 20 % de la société. Ce sont eux qui peuvent décider du prochain gouvernement, ce sont ceux qui naviguent entre les deux, qui ne sont ni franchement à droite ni à gauche. Ils ne lisent pas forcément les journaux… Ils n’ont pas de point de vue très ferme. Et il y a des gens parmi eux qui ne sont pas forcément actifs et d’autres qui s’en foutent. C’est à cause de notre système scolaire qui est très problématique. Les jeunes, maintenant, à l’école, ne savent rien de l’histoire universelle. Malheureusement, beaucoup de jeunes gens aujourd’hui sont plus nationalistes que dans le passé. Depuis plusieurs années l’éducation est vraiment à la baisse. Je vois que ma petite fille ne connaît rien à l’histoire générale, ce qui n’est pas étonnant. Dans les personnes qui militent contre Netanyahou, on trouve alors plutôt des personnes plus âgées. Les jeunes y sont une minorité. Et c’est un problème.
Selon un sondage effectué pour l’Israel Democracy Institute (IDI) plus de 80 % des juifs israéliens soutiennent les frappes déclenchées le 13 juin contre l’Iran. Comment la société civile israélienne réagit face à cette escalade militaire actuelle ?
Cela dépend si le régime iranien reste en place. S’il change, alors ça va rebattre les cartes du Moyen-Orient. J’espère que la “victoire” israélienne en Iran ne va pas changer le sentiment anti-Netanyahou d’une partie de la population. Il y a la « secte » de Netanyahou, mais sinon la plupart des gens, selon les sondages, sont contre ce qu’il se passe à Gaza, par exemple. Israël n’est pas Netanyahou. La plupart des gens savent qu’il est corrompu. Mais il faut aussi se méfier des sondages. Après ce qui s’est passé en Iran, tout le monde a dit que les sondages pro-Netanyahou allaient exploser et dépasser les 50 %. Cela n’a pas été le cas. Selon les projections des sondages, le bloc du parti Likoud de Netanyahou remporterait 27 députés contre 23 avant la guerre. Ce n’est pas énorme.
Y a-t-il quand même une inquiétude face à cette escalade ?
Personnellement, je suis désespérée. Vraiment, je ne vois aucune lumière pour le futur d’Israël pour le moment. La gauche, en Israël comme dans l’ensemble du monde, perd du poids. Il n’y a pas de vraie idéologie. Elle n’a rien à dire. Il faut que la voix de la gauche s’élève et propose une nouvelle idéologie. La nouvelle génération n’est pas présente. L’éducation est problématique, et avec l’influence de deux ans dans l’armée, les jeunes gens deviennent plus nationalistes. Mais les gens sont inquiets de tout ce qu’il se passe, tout le temps. Le jour du cessez-le-feu avec l’Iran avec l’aide des Américains, ils disaient “nous sommes les rois, nous avons une grande victoire” mais le jour juste après, à cause de la mort des sept soldats à Gaza, l’atmosphère a soudain changé. On ne sait rien de ce qu’il va se passer.
Cette voix d’opposition est-elle audible ?
Le premier jour, tout le monde s’est dit “c’est super, Netanyahou est génial”. Je parle de mon point de vue mais je pense qu’il est trop tôt pour savoir ce que ça cela va changer dans l’opinion. De mon côté, même si on “gagne”, rien n’a changé, Gaza est Gaza, les territoires occupés le sont toujours… C’est notre problème. C’est notre grand problème et les gens ne s’en rendent pas compte. Qu’est-ce qu’il va se passer maintenant ? Les vieux problèmes sont toujours là. L’occupation reste !
Est-ce que la situation actuelle est un tabou dans la société israélienne ?
Tous mes amis partagent mon point de vue, alors on ne débat pas, on se comprend. Et puis, c’est dur à dire aujourd’hui, il faut voir jour après jour. Ce n’est pas le bon moment pour savoir ce que la population d’Israël va penser ou faire. Elle est mouvante. Dans notre histoire, on s’est dit que désormais tout allait bien se passer, on avait l’espoir d’être en paix. Mais désormais l’avenir est incertain.