Immigration : un débat sans manipulations est-il possible ?
Les débats sur la loi Immigration à l’automne seront certainement houleux. Dans cette perspective, on aimerait que chacun expose ses arguments de la manière la plus exacte possible : cela semble mal parti.
L’Institut Montaigne a publié une étude sur l’immigration qui n’a guère plu à l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID), un groupe de réflexion souhaitant diminuer l’immigration et augmenter la natalité, comme ils l’écrivent. L’OID publie un article de Marianne arguant que la politique familiale de François Hollande, supprimant en particulier l’universalité des allocations familiales, « réduisant la politique familiale à une simple logique de politique sociale », a abouti à ce que « les résultats de cette approche sont aujourd’hui frappants : le solde naturel de notre pays (différence entre les naissances vivantes et les décès sur le territoire) a été divisé par cinq entre 2006 et 2022 ». L’OID prend donc 2006 comme point de départ, probablement parce que 2006 est l’année du plus haut solde naturel depuis 1973, ce qui permet de parler de division par cinq de ce solde. Le fait que la politique de François Hollande ne démarre qu’en 2012, date de son élection, ne semble pas les gêner.
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Ensuite, l’OID omet de dire que le solde naturel diminue aussi parce que les décès augmentent régulièrement sur toute la période, passant de 527 000 à 667 000 entre 2006 et 2022, du fait de l’arrivée aux âges de mortalité des générations du baby-boom, alors que les naissances sont stables de 2006 à 2014 (autour de 800 000 par an) avant de diminuer par la suite (725 000 en 2022, données ici). Ces procédés aboutissent à présenter la situation de façon biaisée, pour ne pas dire plus. Hélas, ce n’est pas le seul exemple.
L’Institut Thomas More, un laboratoire d’idées « libéral-conservateur », a publié un rapport sur l’immigration dans lequel il préconise de diminuer l’immigration légale des trois quarts. Au-delà du côté amusant d’un rapport demandant de « remettre la langue française au cœur du processus d’assimilation » (alors qu’il contient pratiquement une faute de français par page), il présente lui aussi la situation de façon biaisée. Ainsi, le rapport indique le nombre de premières délivrances de titres de séjour de 2017 à 2021 et écrit que, « loin d’avoir donné un coup d’arrêt, la crise sanitaire semble avoir été un nouveau tremplin puisqu’on enregistre une hausse de 21,4% en 2021 par rapport à 2020 ». Le rapport oublie de souligner que 2020 a vu une diminution de plus de 50 000 délivrances (223 000 contre 277 000 en 2019), que la crise sanitaire a donc bien donné « un coup d’arrêt », et que 2021 ne retrouve pas le niveau d’avant la crise (270 000 en 2021).
En somme, comme l’OID qui prenait comme référence le point le plus haut du solde naturel, le rapport utilise le même procédé en prenant le point bas de 2020 pour crier au « nouveau tremplin » de l’immigration, alors que l’on ne pouvait qu’observer une remontée après ce point bas. Ensuite, le rapport ne compte pas les Britanniques, 100 000 titres de séjour en 2021, puisqu’ils sont maintenant des étrangers hors Union européenne, au même titre que ceux du Maghreb, d’Asie, des États-Unis, ou d’ailleurs. Pourquoi donc ne pas compter ces immigrés du Nord qui ont pratiquement accaparé la Dordogne en chassant les Français, installant leurs commerces, journaux et stations de radio, tout ça dans leur sabir incompréhensible ? Bel exemple de grand remplacement, pourtant (au cas où ce ne serait pas clair, c’est de l’humour). Il est vrai que si on avait appliqué la diminution des trois quarts de l’immigration légale préconisée par le rapport, on aurait dû délivrer environ 80 000 obligations de quitter le territoire français (OQTF) aux Britanniques déjà installés, ce qui aurait représenté la plus grosse expulsion de masse en France depuis celle des Polonais entre les deux guerres.
Le débat sur l’immigration qui va sûrement avoir lieu cet automne mérite mieux que ces petits procédés visant à présenter la situation de manière biaisée afin d’emporter plus facilement l’adhésion des citoyens.