Francette Lazard, ou l’inconfort de la fidélité

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L’Humanité du 3 novembre a annoncé la mort de Francette Lazard. Peu connue du grand public, elle a été une dirigeante importante du PCF, active dans sa presse et dans ses instances intellectuelles.

Issue d’une famille de médecins communistes juifs, elle fait partie de ces enfants recueillis et protégés au Chambon-sur-Lignon pendant la guerre. Elle suit des études d’histoire et est reçue à l’agrégation en 1960. Sa carrière enseignante est brève. Engagée dans les instances de responsabilité communistes, intégrée à l’équipe des économistes de la revue Économie et politique, elle assume en 1966 la rédaction en chef de cette publication innovante où s’essaie, sur le terrain de l’économie et sous la houlette de l’ancien métallurgiste Henri Jourdain, la variante économiste de l’aggiornamento entrepris par le successeur de Maurice Thorez, l’ancien paysan Waldeck Rochet.

En 1967, à l’âge de 30 ans, Francette Lazard passe du statut d’enseignant à celui de permanent. Dès 1970, elle est intégrée au Comité central du PCF et amorce un parcours de quelques années dans la presse communiste (l’hebdomadaire France Nouvelle, puis L’Humanité). C’est alors le temps de l’union de la gauche et du programme commun, un temps où le PC de Georges Marchais s’efforce, non sans tensions et contradictions, de prendre ses distances avec le stalinisme et avec le modèle soviétique. C’est aussi le temps de l’eurocommunisme, éphémère tentative, en pleine « stagnation brejnévienne » de l’URSS, pour donner au communisme un visage plus démocratique et plus ouvert.

Hélas survient très vite le temps des turbulences, après la rupture de l’union de la gauche et le grand retour international de la « guerre fraîche ». En 1979, un an après les résultats décevants du PC aux législatives, la direction cherche à contrôler sa mouvance intellectuelle, en fusionnant ses revues et ses centres de recherche. Francette Lazard est chargée de porter sur les fonts baptismaux l’Institut de recherches marxistes (IRM), qui rassemble historiens, sociologues et philosophes autour de revues et de commissions de travail.

Pas facile de faire converger des parcours, des générations et des sensibilités différentes… et redoutable de s’y essayer en temps de crise interne, quand se succèdent les vagues de dissidence après 1984, « rénovateurs », « reconstructeurs », puis « refondateurs ». Francette Lazard ne suit aucun de ces courants, convaincue qu’ils sont voués à l’échec et à l’éloignement. Membre du Bureau politique en 1979, elle reste au cœur du noyau regroupé autour de Georges Marchais, le numéro un ébranlé par ses résultats présidentiels de 1981 et européens de 1984.

Elle accompagne le flux majoritaire, refusant les logiques de la mise à l’écart des opposants, mais s’interdisant toute critique qui la rangerait un tant soit peu de leur côté. Elle n’interrompt à aucun moment le dialogue avec celles et ceux – j’en fais partie à l’époque – qui s’écartent du bloc majoritaire. Mais sa prudence lui vaut de rester enfermée dans cette situation inconfortable où l’on s’expose, souvent au même moment, à l’accusation d’obédience complice ou de criminelle liquidation.

Au bout du compte, elle n’a bien sûr pas enrayé les mécanismes collectifs de l’enkystement. L’institut qu’elle dirige n’échappe donc pas à l’essoufflement et au délitement qui accompagnent les dernières années de secrétariat général de Georges Marchais. Francette Lazard quitte le bureau politique en 1996, deux ans après le départ de Marchais, puis abandonne le comité central en 2000, dans un moment de relative accalmie interne, quand Robert Hue tenta maladroitement de concilier la nécessaire « mutation » interne et la désastreuse participation à la « gauche plurielle ».

On peut regretter, au bout du compte, que son réel esprit d’ouverture et sa soif de connaître n’aient pas pu se déployer, dans un parti communiste tétanisé par l’angoisse du déclin. Elle porte avec beaucoup d’autres, mais sans nul doute moins que beaucoup d’autres, la responsabilité de l’échec final. On lui saura gré d’avoir su conserver sa dignité et son humanité dans ce qui fut une tragédie pour tant d’individus. Dans un moment comme le nôtre, où remontent en force l’esprit d’intolérance, l’obsession de la différence et le prurit de l’exclusion, son exemple mérite d’être médité.

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10 commentaires

  1. Jean pierre Dropsit le 7 novembre 2023 à 21:58

    Une très grande dame

  2. Glycère BENOÎT le 8 novembre 2023 à 11:42

    L’inconfort de la fidélité mais aussi le confort de l’apparatchik. Francette Lazard, personnalité attachante par ailleurs, était une permanente du PCF, rétribuée par l’appareil pour être une révolutionnaire professionnelle, un rond-de-cuir de la révolution, à la carrière garantie. Elle n’allait pas risquer de perdre son emploi au nom de grands principes. Tel est le drame – relatif – des permanents : ce qui assure leur matérielle les expose à l’imposture.

    Que pensait vraiment Francette Lazard du socialisme réel ? Elle ne pouvait pas le dire en toute franchise. Le faire l’eût conduite, pour peu que ses propos eussent fait trop d’ombre au Secrétaire général, à reprendre l’enseignement de l’histoire-géographie dans un collège ou un lycée quelconque. Inconcevable quand on a gouté à un certain degré de faste dans la politique.

    Jean Kanapa, autre apparatchik de haut vol, donnait le fin mot, en privé : ‘Nous sommes des hommes doubles.’

  3. Louis WEBER le 8 novembre 2023 à 19:47

    Glycène se trompe de cible. On n’a pas le droit de laisser entendre que Francette recherchait dans ses fonctions la rétribution et la « carrière garantie ». C’est malhonnête et les informations données par Roger devraient faire réfléchir davantage : Francette a renoncé au vrai confort d’une situation d’agrégée, considérablement plus avantageuse à beaucoup de points de vue que celle de permanente d’un parti politique !
    J’ai surtout connu Francette à Espaces Marx et suis totalement d’accord avec ce que dit Roger dans le dernier paragraphe de son texte

    • Glycère BENOÎT le 9 novembre 2023 à 16:03

      Il y a une règle générale que Francette Lazard ne pouvait pas ignorer en entrant au parti communiste : plus on monte dans la hiérarchie du parti, moins on discute. Cette régle s’appliquait donc à elle comme à chaque permanent. A la base, on peut discuter, exprimer librement ses opinions, dire ce qu’on pense, faire état sans restriction de la réalité du socialisme. Cette liberté disparaît ensuite dès le moment où l’on commence à occuper un poste rétribué.

      Cette régle générale ne met pas en cause sa probité personnelle. Il serait réducteur de dire que tous les apparatchiks sont par définition des imposteurs. Il y en eut de sincères. Toujours est-il qu’en entrant au parti communiste, a fortiori quand on se destine à y faire une carrière, il faut savoir où l’on met les pieds.

    • Gérard Leidet le 11 novembre 2023 à 19:04

      Totalement d’accord avec Louis Wever, j’aurais dit les choses avec moins de force et de précision que lui . J’ai été très choqué par ces premières lignes- ayant un peu connu Francette Lazard à Marseille, alors que je faisais partie du courant des « refondateurs communistes » – et les’ expression de Glycère Benoît ( « le confort de l’apparatchik »… » un rond-de-cuir de la révolution, à la carrière garantie »;  » ce qui assure leur matérielle (???) les expose à l’imposture » ; « un certain degré de faste dans la politique »…). A propos de « faste » (dans la politique ou ailleurs, au PS par exemple? ) il y avait plus et mieux ailleurs pour une agrégée d’histoire vous ne pensez pas ??? Sérieusement…
      Vos mots , Glycène Benopit sont pour le moins (et à l’encontre d’une militante et dirigeante communiste disparue ) malveillants voire un peu infamants.
      Roger comme toujours , a dit les choses avec équilibre, nuance, et respect des militantes- même envers celles et ceux qui furent, un temps, éloignés de ses positions.
      Gardons plutôt ces mots-là et ceux de Louis Weber…
      Quant à Kanapa, une approche plus nuancée là encore s’imposerait… mettant en évidence la complexité (et dualité là vous avez raison) du dirigeant communiste et du « personnage »…

      • Glycère BENOÎT le 13 novembre 2023 à 18:06

        @Gérard Leidet. Mon commentaire n’est pas une attaque contre la personne de Francette Lazard, au contraire. Il est une réflexion sur le statut de permanent d’un parti politique et les contraintes que cela implique, au moins un devoir de réserve. En ce qui concerne le parti communiste, ce devoir allait jusqu’à mentir sur la réalité du régime socialiste.

        Francette Lazard, comme tout un chacun, l’avait sous les yeux. Et elle disposait de plus d’outils que la moyenne des gens pour bien l’observer. D’où mon interrogation : qu’aurait-elle dit si elle avait été libre de s’exprimer ?

        Elle n’a pas suivi la plupart des intellectuels qui, un moment attirés par le communisme, l’ont quitté sans ambiguïté après que la révélation de ses crimes fut devenue impossible à masquer.

  4. Uzan le 10 novembre 2023 à 17:33

    En 1968 j’étais jeune étudiant en médecine à Paris et membre de l’UEC
    Nous avions invité Francette Lazard, et elle s’est retrouvée dans l’amphi Binet de la Nouvelle Fac, face à 800 gauchistes hurlant leur haine du PCF.
    Elle était restée calme et les avait fait taire par l’intelligence et l’érudition de ses interventions
    Une femme modeste, discrète, fidèle et résolue
    Une grande Dame

    • Cyrano 78 le 13 novembre 2023 à 18:16

      Bravo et le Capital a encore gagné !!
      Félicitations !!

  5. andré lavergne le 12 novembre 2023 à 15:09

    J’ai connu Francette lors de la première délégation de 113 jeunes en Union Soviétique en 1954. A l’époque elle avait 17 ans. Nous nous étions divisés en quatre groupes. Le notre avait fait Stalingrad et une descente en bateau sur le Don Jusqu’à Rostov.
    Je suis affecté par son décès, j’avais deux ans de plus qu’elle.

  6. HLB le 23 novembre 2023 à 12:26

    A un moment, dans l’article de Roger Martelli, est évoqué Robert Hue, ex secrétaire général du PC, disparu de la circulation. Enfin, pas tout à fait: aux dernières nouvelles, déjà pas récentes, il a rejoint….le camp Macron, où il coule, apparemment, des jours tranquilles.
    Là, pour le coup, on peut parler de sinécure, (bien plus que dans le cas de Francette Lazard !),les macronistes étant sous perfusion Rothschild !
    D’autres suivront sans doute. A commencer par Fabien Roussel, qui ne rate aucune occasion de dézinguer la Nupes, et surtout la FI, et a participé à la manif macroniste d’Y BP ? Prélude à une future allégeance à la Macronie ? La question est posée.
    Le PC d’ aujourd’hui serait il en cours de dédiabolisation ?

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