En Allemagne, le parti de gauche Die Linke veut créer la surprise aux législatives
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Le parti de gauche enregistre un bond de ses adhésions face à la menace de l’extrême droite, avant les élections dimanche 23 février. Reportage.
Depuis quelques semaines, les dirigeants du parti Die Linke affichent un réel optimisme. Le Parti de gauche allemand connaît un regain de popularité dans les sondages, comme en témoignent les derniers chiffres, qui le créditent de 6 à 9% des voix aux élections législatives anticipées ce dimanche 23 février. Un scrutin qui intervient après la chute du gouvernement Scholz, une coalition « en feu tricolore » entre les sociaux-démocrates du SPD, les Écologistes et les Libéraux du FDP, suite à un vote de défiance du Bundestag, le parlement allemand, le 14 décembre dernier. « Nous avons doublé notre nombre d’adhérents, de 300 à 600 militants au niveau local », se réjouit Vinzenz Glaser, candidat à Fribourg-en-Brisgau, une ville bourgeoise et étudiante, à une heure de route de Strasbourg, dans le Land du Bade-Wurtemberg. Bonnet vissé sur la tête et piercing au nez, ce travailleur social de 32 ans brigue un mandat de député au Bundestag, le Parlement allemand, porté par « la dynamique Die Linke. »
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Justice sociale et thèmes du quotidien
Au niveau national, le parti revendique 30 000 adhésions supplémentaires en un an, passant de 52 000 à 82 000 membres, soit son plus haut niveau depuis 15 ans, selon les médias allemands. Ce qui a obligé la direction à chercher des locaux de campagne plus grands au cours des deux dernières semaines pour accueillir un public plus nombreux lors de ses meetings. Mieux encore, un sondage Yougov publié le 18 février a révélé que le parti arrivait en tête parmi les adolescents et les jeunes adultes, avec 20,84% des voix.« Les gens sont enthousiastes et veulent s’engager à nos côtés pour s’occuper des vrais problèmes, comme le plafonnement des loyers et la baisse du coût de la vie », assure M. Glaser à Politis. Nos voisins d’Outre-Rhin sont eux aussi aux prises avec une inflation galopante, dans un parallélisme troublant avec la France avant la révolte des gilets Jaunes en 2018. Or, Die Linke a opportunément orienté sa campagne sur « quelques thèmes du quotidien », comme l’explique notre interlocuteur. Cette stratégie concentrée sur la défense de « la justice sociale » participe à cette dynamique sondagière. Pour donner l’exemple, les dirigeants du parti ont ainsi réduit leur salaire à 2 850 euros, soit le salaire moyen d’un travailleur qualifié en Allemagne. Une mesure « populiste », comme l’affirme en grinçant le reste de la gauche. Peut-être, mais redoutablement efficace pour frapper les esprits.
Mais c’est surtout la mobilisation contre la rupture du cordon sanitaire à l’égard de l’AfD, le parti d’extrême droite allemand, qui a eu le plus d’écho, en particulier chez les jeunes électeurs. Et ce, après l’intervention passionnée d’Heidi Reichinek, jeune députée, tête de liste du parti et candidate à la chancellerie. L’élue de 36 ans maîtrise à la perfection les codes des réseaux sociaux. Capable de rapper son programme en musique, elle compte plus de 420 000 followers sur Instagram et 540 000 abonnés sur Tik Tok. Son vibrant discours devant le Bundestag fin janvier, pour s’opposer à la rupture de la règle du cordon sanitaire anti-AfD par Friedrich Merz, le patron de la CDU/CSU, est devenu viral sur les réseaux sociaux avec plusieurs millions de vues.
« Les vrais antifascistes, c’est nous » Die Linke
Cette séquence a fait d’elle « une quasi pop star », observe auprès de Politis le professeur Uwe Jun, politologue et enseignant en Sciences politiques à l’université de Trèves, en Allemagne. « Il y a eu un avant et un après cette prise de parole », reconnaît Vinzenz Glaser. Die Linke a su capter l’air du temps et surtout, la crainte d’une résurgence du fascisme en Allemagne, après 80 ans de paix. Leur rival conservateur, M. Merz, s’est aliéné les autres partis en draguant ouvertement l’AfD pour faire passer une motion en faveur de la fermeture des frontières, puis une loi contre le regroupement familial, provoquant un sursaut citoyen face à l’extrême droite.
Outre un gain médiatique immédiat, cet épisode a aussi permis à Die Linke de marquer sa différence avec son ancienne leader, la très controversée Sahra Wagenknecht. L’élue a claqué la porte du parti en 2023 pour fonder sa propre formation politique « BSW » sur son nom propre (Bündnis SahraWagenknecht) en entraînant avec elle « de nombreux militants très actifs ». Mais cette dernière, qui se présente elle aussi aux législatives, dévisse dans les enquêtes d’opinion pour avoir prôné une « ligne dure » sur l’immigration, semblant s’aligner sur l’AfDsur ce sujet.
Pour la remplacer, la direction a subi un lifting, avec un tandem paritaire et rajeuni, l’ex-journaliste Ines Schwerdtner et le député Jan Van Haken, un ancien de Greenpeace. « Les vrais antifascistes, c’est nous », martèlent-ils dans la presse, un refrain répété avec aplomb sur le terrain par les autres candidats. Die Linke n’hésite pas non plus à critiquer le bilan des écologistes – die Grüne – et les sociaux-démocrates du SPD qui se sont alliés aux libéraux dans la dernière coalition.
« Faire du bruit ne suffit pas, il faut aussi assumer les responsabilités pour gouverner »
Robert Habeck, candidat écologiste
« Ils font des promesses qu’ils ne tiennent pas une fois arrivés au pouvoir », affirme Vinzenz Glaser. Un argumentaire qui ulcère ses rivaux. « Faire du bruit ne suffit pas, il faut aussi assumer les responsabilités pour gouverner », répond sèchement le candidat des Verts à la chancellerie et ancien ministre de l’Economie dans le gouvernement Scholz, Robert Habeck, lors d’un entretien au podcast allemand Table Today ce jeudi 20 février. Rien à faire, les écologistes, usés par trois années au gouvernement, plafonnent à 14% dans les sondages. « Les Verts ont déçu pas mal de gens », observe le candidat Die Linke à Fribourg.
Démonstration à Lahr, dans le district de Fribourg, mardi 18 février, un jour de marché avec Maria. A 20 ans, cette étudiante en économie va voter pour la première fois pour Die Linke ce dimanche alors qu’elle ne se situe pas « fondamentalement à l’extrême gauche. » Ce qui l’a convaincue, c’est la « bataille contre l’extrême droite à mener pour éviter que l’Allemagne ne retombe entre les griffes des « Nazis », explique la jeune femme. Elle trouve les partis de gauche « trop mous » face au danger incarné par l’AfD, qui a fait plus de 20% des voix dans le canton aux dernières élections européennes.
« L’électorat de Die Linke est plutôt jeune et surtout, féminin », confirme le politologue Uwe Jun. Seul bémol selon cet expert, « ce parti a tendance à toucher plutôt l’électorat des grandes métropoles, souvent doté d’une formation universitaire. » Il n’empêche, Die Linke se refuse à « stigmatiser » les électeurs de l’AfD. « Beaucoup d’entre eux sont prêts à se tourner vers l’extrême droite par désespoir ou par provocation », soutient Vinzenz Glaser, qui veut « convaincre les mécontents et les ramener à gauche. » Verdict ce dimanche.