Demain, tous apologistes du terrorisme ?
Le terrorisme, c’est quand les gens frappent sur des casseroles ou portent des keffieh, déjà.
La loi du 15 novembre 2014 stipule que « le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ». Depuis le massacre du 7 octobre, les procédures se multiplient, aboutissant par exemple à la condamnation d’un responsable de la CGT et à la convocation par la police de la présidente du groupe parlementaire LFI.
De fait, ce n’est pas la première fois que l’arsenal antiterroriste est utilisé hors de son champ initial d’application — les attentats terroristes en France — puisque par exemple les casseroles ont été au printemps interdites en manifestation « afin d’assurer la sécurité d’un lieu ou d’un événement exposé à un risque d’actes de terrorisme« . La nouveauté est peut-être que les procédures se multiplient, atteignant visiblement plusieurs centaines, ce qui fait craindre la volonté de « criminaliser les oppositions » et le « détournement du délit d’apologie du terrorisme visant la remise en cause de la liberté d’expression ».
La tendance de certains responsables à employer le terme flou et galvaudé de terroristes à toutes les sauces, comme celui d’« éco-terroristes » par le ministre de l’Intérieur, laisse penser que, comme pour les casseroles, nous pourrions bientôt voir des poursuites contre l’apologie du terrorisme sur les sujets les plus variés, et pas seulement ceux liés au massacre du 7 octobre.
Tous terroristes comme Mandela ?
Il y a en effet tant de motifs d’être considéré comme faisant l’apologie du terrorisme. Par exemple, comprendre et soutenir les Parisiens du 14 juillet 1789 qui ont attaqué la Bastille, au prix de l’assassinat, entre autres, du gouverneur de la Bastille, le marquis de Launay. Comprendre et soutenir Pierre Georges, dit Colonel Fabien, qui a exécuté le 21 août 1941 d’une balle dans le dos l’aspirant Moser, dans le métro parisien, et soutenir les « terroristes » de cette époque — terme dont les Nazis affublaient les résistants —, y compris quand ils recouraient à l’assassinat, comme celui de l’amiral Darlan.
Doit-on donc s’attendre à ce que les descendants du marquis de Launay, de l’aspirant Moser, de l’amiral Darlan, et de tant d’autres, entreprennent des poursuites contre tous ceux qui légitimeraient leur meurtre par des « terroristes » ? Au-delà de ces exemples historiques, pour lesquels il y a peu de chances (?) de voir surgir des procédures, on peut s’inquiéter que toute action débouchant sur des violences soit de plus en plus considérée comme terroriste et que, donc, toute prise de position favorable à cette action ne soit considérée comme une apologie du terrorisme. Après tout, Nelson Mandela et l’ANC ont bien été considérés comme des terroristes par la Grande-Bretagne et les États-Unis pendant la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud.
Qui empêchera, demain en France, tout individu ou organisation d’entamer une procédure contre ceux qui sont contre leurs intérêts ? Deux exemples. Le gouvernement birman lutte contre une rébellion armée et le pays est à feu et à sang : pourquoi les soutiens de ce gouvernement ne porteraient-ils pas plainte contre ceux qui soutiennent cette rébellion en la qualifiant de terrorisme ? La Russie a qualifié devant le Conseil de sécurité de l’ONU de terrorisme les attaques contre la ville de Belgorod : son ambassade en France pourrait-elle porter plainte contre les soutiens de l’Ukraine dans les médias pour apologie du terrorisme ? Nul doute (?) que ces procédures n’aboutiraient pas, mais les mis en cause ayant pu être interrogés par la police, ce qui n’est pas l’expérience la plus agréable, cela dissuaderait d’autres voix de se faire entendre : faire taire le plus d’opposants possibles suffira au bonheur de ceux qui auront porté plainte et des États qui sont derrière eux. Pour l’instant ces procédures se limitent à Israël, mais demain ?
La tendance à vouloir affubler toute revendication du mot « terroriste » vise à vouloir faire taire les auteurs de revendications justifiées, à les discréditer face à l’opinion publique voire à les faire condamner sur leur lieu de travail ( revendications sociales), sur leur lieu d’études ( revendications sociétales ou pacifiques des étudiants) ou sur leur territoire ( revendications écologistes). Il s’agit d’une attaque sans précédent contre la constitution de la République , contre ses principes ( laïcité ) et contre ses valeurs ( liberté, égalité, fraternité).
Sous les coups de boutoir répétés de la droite, de l’extrême droite, de la macronie et hélas d’une partie de la gauche, ce sont les fondements même de la démocratie républicaine qui sont fragilisés. La phrase de Gabriel Attal « tu salis, tu nettoies, tu casses, tu répares, tu défies l’autorité, on t’apprend à la respecter » est l’exemple typique de l’expression d’une pensée réactionnaire et conservatrice qui pousse à tout qualifier de « rebelle » ou de « terrorisme » plutôt que de poser les questions de fond. Ce système de pensée primaire, stigmatise les individus ou les groupes d’individus qui ne veulent pas s’aligner sur la loi du plus fort, du plus riche, du gourou, de la religion, de la pensée unique pour mieux masquer les abandons et les attaques contre le bien commun et les services publics. La société a besoin de paix, d’éducation, de culture, de dignité, de progrès social et d’émancipation humaine. Il est temps de se réveiller, de s’indigner et de se mobiliser. En ce sens, me qualifier de « terrorisme » est un honneur.
Aux références historiques citées, pertinemment, par Martial Villefort on peut ajouter Robespierre qui avait fait de la terreur un principe de gouvernement. Il était terroriste proclamé, bafouant les Droits de l’homme dont par ailleurs il se prévalait mais excluant ses ennemis de leur application : ils étaient forcément de mauvais Français, étrangers au genie de la nation, autant dire des sous-hommes. Les communistes le révèrent encore aujourd’hui. Cette façon de concevoir l’action politique en diabolisant l’adversaire se retrouve à travers les époques et les circonstances. Seules changent les méthodes et les moyens, plus policés aujourd’hui qu’autrefois, quand même. Cela ne les rend pas dignes ‘être approuvés, le principe demeurant.