TRIBUNE. États-Unis : l’avortement, enjeu suprême

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Telle une dystopie, les droits des femmes reculent en Amérique et sont désormais entre les mains de deux mâles octogénaires.

Et si les femmes décidaient de la présidentielle américaine ? En 2016, nombreux étions-nous à espérer l’élection d’une présidente, parachevant l’espoir d’une nation sur le chemin de la réconciliation, après deux mandats de Barack Obama en clair-obscur. Il n’en fut rien : un candidat à la misogynie crasse s’installait à la Maison blanche, nommant deux juges archi-conservateurs à la Cour suprême, dans le droit fil de sa promesse de s’attaquer à l’avortement.

Deux années après son départ du Bureau ovale, dans le fracas des émeutes du Capitole, ces mêmes juges ont permis le renversement historique de la décision dite « Roe v. Wade », jugement qui légalisait l’avortement depuis 1973. En conséquence, vingt-et-un États sur cinquante l’ont depuis banni ou fortement restreint – dont l’Arizona, qui vient de réadopter une loi de la guerre de Sécession l’interdisant même en cas de viol ou d’inceste. Du battement des ailes de papillons en 2016, ou plutôt du froissement du bulletin des grands électeurs, a donc découlé l’application d’un projet conservateur d’une ampleur dévastatrice. 

Car avant toute autre considération, et notamment politique, il s’agit d’un recul catastrophique des droits des femmes et humains : « Women’s are human rights », rappelait déjà Hillary Clinton en 1995. Les témoignages de femmes enceintes fuyant leur État de résidence alors que leur capacité à procréer – voire leur vie – dépend d’un avortement d’urgence font tristement partie du paysage médiatique américain. Mais alors que des lois similaires à l’Arizona sont étudiées dans des États encore préservés, comment ne pas s’inquiéter d’une Amérique anti-avortement chaque jour moins dystopique ?

L’avortement, thème central de la présidentielle de… 2024

C’est là qu’intervient la politique, pour le meilleur et pour le pire. Côté face, Joe Biden – dont l’âge, les racines irlandaises et le catholicisme n’en font pas, a priori, le défenseur le plus acharné – s’est positionné sans ambiguïté en faveur d’un droit à l’avortement sans restriction. Ces jours-ci, 90% de ses publicités de campagne donnent la parole aux victimes de cet accès à l’avortement sous forme de loterie géographique. Côté pile, Donald Trump – qui comptait encore récemment l’annulation de « Roe v. Wade » parmi ses plus grandes « fiertés » – joue l’ambiguïté, conscient que la performance démocrate lors des mid-terms de 2022 illustre la colère face à cette décision ; il temporise en proposant de laisser la main aux États, accusant Joe Biden d’être en faveur d’avortements « après la naissance »

En 2016, nous espérions une femme à la Maison blanche. En 2024, ramenés un demi-siècle en arrière, nous en sommes réduits à espérer que les femmes puissent encore avorter en Amérique. Une réalité « terrifiante », selon les mots de Taylor Swift, qui pourrait influencer jusqu’à 18% des votants, d’après Newsweek. Comme la chanteuse, une majorité d’Américains sont en faveur de l’avortement ; dans les swing states, où seules quelques dizaines de milliers de voix ont permis la victoire de Biden en 2020, cette question déterminera-t-elle le résultat ?

C’est l’enjeu dramatique d’un duel entre deux mâles octogénaires. Ces prochaines semaines, le premier martèlera son message « pro-choice » (pro-choix) dans les États qui s’annoncent les plus serrés, tandis que le second, bloqué au tribunal à New York, se défendra face à Stormy Daniels, conscient qu’une condamnation pourrait influencer les indécis. Que le responsable du recul de l’avortement sur la moitié du territoire soit impliqué dans le paiement d’une ex-star du porno pour son silence en pleine campagne est accablant pour la démocratie ; qu’il soit le leader incontesté des Républicains, écurie de zélotes religieux et évangélistes en tous genres, au coude-à-coude avec Joe Biden, est terrifiant pour les droits des femmes – et humains. 

Corinne Narassiguin, sénatrice de Seine-Saint-Denis et ancienne élue des Français des États-Unis ; Guillaume Gonin, chargé d’enseignement, culture politique américaine, Sciences Po Bordeaux et auteur de Robert Kennedy aux éditions Fayard (2017)

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1 commentaire

  1. Frédéric Normand le 1 mai 2024 à 23:03

    Le peuple américain a toujours su trouver en lui-même les ressources pour se tirer d’un mauvais pas. Après, tourné à nouveau vers l’avenir, il est reparti. Assurément le retour de Trump, candidat indigne d’être président, est un mauvais pas. Les Américains devraient se montrer capables de contourner un tel obstacle. C’est à leur portée.

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