David Guiraud insoumis à taille humaine
Les élections municipales seront-elles un tournant pour La France insoumise ? Le parti de Jean-Luc Mélenchon avait délaissé les élections locales ; il espère désormais conquérir quelques villes – au risque de créer des « baronnies ». Roubaix est sur la liste des conquêtes possibles. Et c’est David Guiraud, le député du Nord, qui part à l’abordage.
Dans le Grand Café, celui qui fait face à l’hôtel de ville de Roubaix, on vient autant s’abriter de la pluie que pour déjeuner. Tout le monde se salue, d’un air entendu et sympathique. Ce jour-là, le maire sortant, Guillaume Delbar, et son équipe déjeunent à une table à l’étage. Son challenger, David Guiraud, et moi sommes attablés au rez-de-chaussée, en vitrine. Quand l’édile de droite sort avec son aréopage, il ne manque pas de venir saluer l’insoumis : on se rend des civilités cordiales, presque joviales. Il y a dans ces échanges quelque chose qui existe davantage dans les réalités locales qu’à l’Assemblée nationale : la rivalité existe, la tension politique est là, mais la vie commune impose des formes de civilité. Cette proximité sans affrontement spectaculaire dit déjà beaucoup de celui qui l’accepte sans façon : la bataille sera rude, mais elle se jouera sur le terrain du quotidien et de la crédibilité réelle des projets plus que dans les postures et les post-assassins sur les réseaux sociaux.
David Guiraud a trente et un ans. On le connaît pour ses interventions à l’Assemblée et à la télévision, coupantes et efficaces, ses questions qui font mouche et ses emportements millimétrés qui deviennent des extraits viraux. Mais réduire son parcours à ces instants serait passer à côté de l’essentiel : sa campagne est d’abord une histoire d’installation et de filiation. Car le député LFI n’est pas né à Roubaix. Il est le fils de son père, maire socialiste des Lilas en Seine-Saint-Denis, qui lui a transmis très tôt une culture municipale, un sens de l’action locale, une familiarité avec le pouvoir, ses rouages et ses grandeurs modestes. Fils de socialiste, il a aussi grandi avec l’idée que la politique peut transformer concrètement une ville. Mais il connaît l’exigence qui a accaparé son père durant toute son enfance. Parachuté à Roubaix par La France insoumise, il a choisi, contrairement à d’autres, de s’installer tout de suite dans la ville, d’y vivre, d’y inscrire son quotidien. Ce choix a compté : au lieu de rester une silhouette de passage, il s’est fait un voisin, un interlocuteur, une présence.
Entre la mairie des Lilas que son père dirigea et l’Assemblée nationale – où il était collaborateur d’Éric Coqurel –, David Guiraud a construit une trajectoire singulière. Cette double filiation forme son profil composite : bagarreur et gestionnaire, orateur et organisateur, héritier et autonome.
En vérité, David Guiraud a une double paternité politique. D’un côté, son père biologique, de l’autre, un père d’adoption politique : Éric Coquerel, dont il a été le collaborateur parlementaire durant plusieurs années. À ses côtés, il a appris le travail d’amendement, la précision des dossiers, la confrontation parlementaire, l’art d’occuper la scène politique nationale. Entre la mairie des Lilas et l’Assemblée nationale, entre un socialisme municipal de terrain et une insoumission parlementaire offensive, David Guiraud a construit une trajectoire singulière. Cette double filiation forme son profil composite : bagarreur et gestionnaire, orateur et organisateur, héritier et autonome.
Architecture politique
On le retrouve dans son local de campagne, pensé comme un atelier-usine politique. Très vaste, il peut accueillir une centaine de personnes. Les murs portent des plans, les tables recouvertes de maquettes de la ville : il montre, avec une baguette de maître d’école, les portions de la ville, les structures et les ambitions, les liaisons piétonnes existantes et à venir, les projets de reconversions de friches. Le directeur de campagne, architecte, tient une place centrale : il traduit volontiers des enjeux sociaux en dispositifs spatiaux. Ce n’est pas un simple argument de communication ; la question urbaine n’est pas accessoire mais constitutive du projet.
Elle structure l’édifice des propositions. David Guiraud et son équipe ne séparent pas l’écologie, le social et l’emploi. Nawri Khamallah explique la logique avec des mots d’architecte mais une visée sociale : « Si on repense les parcours entre les écoles et les transports, si on crée des espaces partagés qui favorisent la micro-économie, on fabrique aussi de la sécurité, de l’emploi, de la mixité ». Ce vocabulaire technique est pris comme un outil pour rendre le politique intelligible : les plans servent à mettre à plat des choix qui, sinon resteraient abstraits.
La mémoire de Roubaix traverse notre entretien. Ville ouvrière, productrice, organisée, elle fut longtemps un exemple pour la gauche municipale. Cette mémoire s’accroche aux pierres des usines, aux vieux commerces, aux syndicalismes encore vivaces. Elle explique l’attachement des habitants à leur ville et la colère que suscite le déclassement. La désindustrialisation a laissé des traces profondes : chômage, précarité, logements dégradés, équipements publics qui s’usent. Sur ces terrains, la parole de David Guiraud résonne : il évoque des parcours de rénovation, des fonds de solidarité, des coopératives pour relancer des activités locales. Il sait aussi que les retours électoraux sont marqués par l’abstention, que beaucoup ont cessé de croire dans les vertus du vote.
Dans la ville, les opinions sont multiples. Une boulangère du centre dit : « Il est jeune, on le voit, il écoute. Mais nous avons eu des élus qui disaient la même chose. Moi, j’attends de voir. » Un éducateur associatif qui sirote un café devant la gare note : « Ce qui change, c’est la volonté d’impliquer les jeunes. Guiraud, je me demande si c’est juste du spectacle ou si c’est une porte pour dialoguer. Mais franchement, j’ai envie d’y croire. » Un retraité, prudent, nuance : « On a besoin que cela tienne sur la durée, que ce ne soit pas que de la com’. » David Guiraud entend ces voix et répète qu’il ne vend pas des illusions : sa communication est un moyen, pas une fin.
Insoumission à échelle locale
La campagne, dans sa mécanique, articule action culturelle, travail de proximité et technicité des politiques publiques. L’équipe a abattu un travail titanesque : ils ont produit un programme de plusieurs centaines de mesures… un peu à l’image du programme de La France insoumise, la fameuse bible intitulée L’avenir en commun, qui comprend le même nombre de mesures. Et d’ailleurs, David Guiraud explique comment il l’a élaboré : de la même façon que le mouvement au niveau national. L’équipe est allée voir les associations et les habitants et a noté doléances et propositions. Résultats : tout est là et chacun est censé y retrouver ce qu’il a raconté. Et, donc, de valider la proposition. On sait qu’à la fin, il n’émergera dans le fort de la campagne que quelques idées-forces mais cela permet, dans un premier temps, de rassembler tout le monde et de faire montre d’une envie de participation. Déjà des idées affleurent, plus fortes que d’autres : par exemple celles du directeur de campagne, qui met en garde contre la gentrification : « On ne veut pas transformer Roubaix pour ceux qui viendront après. Il faut des modèles qui permettent à ceux qui sont là de rester ». C’est sur ce fil que la campagne construit ses propositions de mixtes fonctionnelles et de préservation des loyers.
Les adversaires politiques sont bien présents : la droite municipale, portée par un maire habile à apparaître comme gestionnaire ; l’extrême droite qui prospère sur le ressentiment. David Guiraud ne minimise pas ces forces. Il identifie deux fronts : l’affrontement politique traditionnel – campagnes, débats, tractations – et la lutte contre la résignation. « Le vrai adversaire, me dit-il, c’est que les gens cessent de penser que la ville peut changer. » Pour lui, le remède est double : des résultats tangibles à court terme et une stratégie de long terme de transformation urbaine et socio-économique. Objectif : que les Roubaisiens ne se sentent plus abandonnés par tous, à commencer par leurs propres élus.
L’urbanisme n’est pas un simple volet esthétique ; il est au cœur de la justice sociale. David Guiraud imagine des parcours piétons qui relient écoles et équipements, des micro-ateliers d’économie circulaire sur des friches, des lieux culturels portés par des collectifs locaux. L’architecture, ici, est conçue comme une fabrique de communs. Son architecte de campagne parle volontiers d’« urbanisme d’usage » : des interventions modestes mais visibles pour transformer la manière dont la ville est vécue.
Faire mieux
« Je suis militant depuis dix ans. » Dans l’intervalle, David Guiraud est devenu une figure médiatique, pas une star mais une voix identifiée – « J’avais mon rond de serviette dans les médias », dit-il en souriant. Et pourtant il n’a pas voulu se présenter pendant ces années-là : il tenait à finir ses études, à vivre une première expérience « de collaboration » auprès d’Éric Coquerel. « J’étais à l’école de la politique, je ne suis pas un ovni. Mais je voulais bosser, pas forcément être devant. » 2022 arrive et l’idée s’impose : « Je me dis que ça peut être le moment ». Il décrit, sans dramatiser, ce moment banal et décisif de tant de trajectoires politiques : une maturation, des encouragements, puis une porte qui s’entrouvre.
Il précise tout de suite un nœud biographique : Les Lilas. « Je ne voulais pas me présenter là-bas. Je n’avais pas envie d’être dans l’ombre de mon père, ni d’être dans sa lumière. » Il cherche un territoire qui lui ressemble davantage et, à ce moment, des camarades l’appellent : à Roubaix, en 2017, la gauche avait été éliminée au premier tour, faute d’unité et de projet. « Pourtant, quand tu regardes la sociologie, c’est très populaire. » Il sent qu’il manque quelqu’un qui veut y aller pour gagner. Le comité électoral s’en mêle. Il arrive, observe, tranche une première chose : s’installer. « À partir du moment où je suis candidat là-bas, j’y habite. » Il en parle comme d’une condition éthique et d’une évidence pratique, surtout pour un trentenaire sans enfants : « Vivre dans sa ville, c’est la première condition si tu veux t’implanter vite. » Après la campagne, il achète un appart sur place et « s’enkyste ». Sa compagne accepte de bouger avec lui. « Je n’avais pas forcément l’objectif d’être maire. Mais j’ai tout de suite eu une pratique du mandat très locale. »
David Guiraud revendique une forme de loyauté disciplinée à LFI et, en même temps, une autonomie municipale : « Les municipales, c’est 30 000 communes. On ne peut pas avoir un seul discours pour tous. »
Il décrit ensuite la mécanique parlementaire « à petits bras » transposée à l’échelle d’une ville pauvre : « On répond à tout le monde. On traite tous les dossiers. On est deux salariés, parfois un de plus, c’est ridicule par rapport à une mairie, mais on s’y met. » À Wattrelos aussi, dit-il, mais surtout à Roubaix. Il cite des luttes, parfois gagnées, parfois perdues : des emplois francs arrachés, des fermetures administratives combattues, des commerces soutenus – « le Grand Café », glisse-t-il. Ce qui l’exalte : « Réussir à faire changer des trucs localement ». Ce qui le travaille : « Voir tout ce qu’on pourrait faire si la mairie faisait son taf ». C’est là que la question urbaine l’agrippe pour de bon. « Franchement, si les élus étaient à la hauteur, on pourrait faire énormément de choses. »
Sa critique des doctrines actuelles tient en une phrase : « On densifie et on vide les pauvres. » Le renouvellement urbain, pour lui, commence par réparer ce qui a été abandonné par les bailleurs, détruire ce qui est irrémédiable, rouvrir les espaces verts, les parkings, « rouvrir ce qui appartient aux gens ». Sa ligne : plus d’habitants, pas moins ; et surtout des logements adaptés à la vie réelle des Roubaisiens, « y compris la jeunesse non étudiante ». « On construit des logements étudiants sur les friches… et les jeunes de Roubaix, qui ne sont pas tous à la fac, ils vivent où ? »
La mixité sociale ? « Notre ville remplit une fonction politique : elle accueille. Oui, les autres villes doivent prendre leur part. » Il détaille la réalité économique : pas de « mono-employeur » massif, mais une mosaïque de services, d’activités, des logistiques qui ferment, des PME qui tiennent, des boîtes de l’immobilier au sud de la métropole. « C’est diffus. » Une jeunesse « en colère », parfois, mais « pas de grandes manifs ». « À Roubaix, les gens se débrouillent. »
La nouvelle France insoumise ?
Une question interroge quand on imagine un insoumis à la tête d’un exécutif municipal : comment vont-ils composer avec les entreprises, serrer les mains de ceux qu’ils dénoncent à longueurs de tribunes, « faire le tour des patrons » comme le font tant de maires. Il ne botte pas en touche : « Je ne serai pas là pour commander en chef de ma commune avec des patrons. Mais s’ils m’interpellent, je répondrai. La bonne gestion n’est pas un gros mot. »
Il revendique une forme de loyauté disciplinée à LFI et, en même temps, une autonomie municipale : « Les municipales, c’est 30 000 communes. On ne peut pas avoir un seul discours pour tous. » Il reconnaît des frottements, des désaccords de tempo, assume d’avoir parfois « pris la main » sur une annonce. « Ce n’est pas dictatorial. On a besoin de discipline, oui, mais aussi d’initiative. » Pourquoi LFI lui laisse-t-elle cette marge ? « Parce que je suis loyal. Je ne fais pas ça pour me pousser moi. Et parce qu’ils pensent peut-être que je peux y arriver : alors ça vaut le coup de soutenir. »
« Plus c’est local, plus c’est complexe. » Il décrit des espaces de discussion entre députés candidats, des allers-retours avec le comité électoral, la réalité triviale des lundis-mardis-mercredis à Paris où, entre deux votes, on parle de logements et d’éclairage public. Il n’idéalise pas. Il assume. On lui dit qu’on l’accusera de tout – parachutage (déjà fait), radicalité (bien sûr), incompétence gestionnaire (à démontrer). Il hausse les épaules : « On établira la vérité. » Et il reformule, une dernière fois, l’idée fixe qui traverse toute sa campagne : « Rendre Roubaix vivable pour ceux qui y vivent. Pas pour une vitrine. Pas pour demain au détriment d’aujourd’hui. »
Quand on se lève, la pluie a cessé. Il jette un dernier regard vers l’hôtel de ville. La scène s’emboîte : le local-atelier où l’on manie des maquettes comme des promesses tangibles ; la double filiation politique condensée dans un projet urbain. « On verra, dit-il, mais au moins, on fait. » Et, dans cette phrase, quelque chose de Roubaix répond.
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Cet article est extrait du n°63 de la revue Regards, publié en octobre 2025 et toujours disponible dans notre boutique !
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