Bruno Le Maire, ce héros qui protège les impôts des ultra-riches (deuxième partie)

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L’économie est exsangue, le déficit atteint des niveaux records et… le ministre de l’Économie refuse toute participation des plus riches des Français. Pourquoi ?

Notre chroniqueur Bernard Marx poursuit le détricotage de l’argumentaire du ministre de l’Économie, vent debout contre toute hausse d’impôts sur les superprofits et contre toute taxation des super-riches. La première partie de cet article est à lire ici.

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Argument 4. La politique de baisse d’impôts pour les détenteurs de capitaux a été efficace :

« Nous avons eu le courage dès 2017, avec le président de la République, d’abaisser la fiscalité sur le capital, sans laquelle aucune réindustrialisation n’est possible ; baisser la fiscalité sur le capital, ce n’est pas faire un cadeau aux riches, c’est ouvrir des usines et soutenir l’emploi ouvrier » ; « Avec la prochaine baisse des taux d’intérêt, nous allons pouvoir rallumer le moteur de la consommation et de l’investissement » ; « Veut-on vraiment inquiéter les ménages, en laissant entendre qu’il pourrait y avoir la moindre augmentation d’impôts ? Ce serait stupide économiquement dans un pays où le taux d’épargne – à 18 % – est déjà l’un des plus élevés de tous les pays développés » ; « Nous sommes devenus la nation la plus attractive en Europe pour les investissements étrangers. Ne faisons pas le cadeau à nos concurrents de ruiner, en une décision, sept années de travail qui ont permis de créer 400.000 entreprises par an en moyenne et 2 millions d’emplois », nous raconte Bruno Le Maire.

Dans la vraie vie, sous Emmanuel Macron

  • Il n’y a pas de début de réindustrialisation en France. Les données fournies par l’économiste Patrick Artus sont probantes. Du moins, si l’on utilise « des indicateurs objectifs du poids de l’industrie, et pas des indicateurs partiels (nombre d’investissements étrangers, emplois créés par ces investissements) ». La production manufacturière recule par rapport à ses niveaux antérieurs dans tous les secteurs sauf celui des biens de consommation.

L’emploi dans l’industrie manufacturière remonte un peu à partir de 2019, mais cela est dû au recul de la productivité du travail dans l’industrie.

La balance commerciale pour les produits industriels se dégrade en tendance continûment depuis 2004.

Seule donnée positive : le taux d’investissement de l’industrie manufacturière augmente mais pas vraiment plus depuis 2017 et il reste à des niveaux très bas.

  • Le moteur de la consommation et de l’investissement ne va pas se rallumer en réduisant les dépenses publiques. La baisse attendue des taux directeurs de la BCE n’interviendra qu’en juin. Elle restera certainement limitée et pas du tout à même de soutenir une économie européenne qui s’inscrit dans une stagnation durable. L’économiste très mainstream Olivier Blanchard alertait début mars« Les prévisions de croissance pour l’Europe viennent d’être révisées à la baisse. Il faut donc être prêt à soutenir encore l’économie, même si cela implique un déficit plus important pendant un moment ».

    Son collègue Patrick Artus a fait les comptes, si on applique cette politique de 2024 à 2027, on aura non pas 0,8% de croissance annuelle, ce qui est déjà peu, mais -0,1% : « Prenons l’exemple de l’année 2024. Le gouvernement a annoncé une réduction des dépenses publiques par rapport à son budget initial d’un peu plus de 10 milliards d’euros. Mais pour obtenir une baisse de 10 milliards d’euros du déficit public, in fine, il faut réduire les dépenses publiques de 20 milliards d’euros, et il y aura alors une baisse du niveau de PIB de 20 milliards d’euros ». Face à une croissance de la production et à une baisse de la productivité, mieux vaudrait selon lui « s’inspirer de la politique menée aux États-Unis : hausse des dépenses publiques favorables à la croissance, supplément en conséquence des gains de productivité et de croissance, et réduction du déficit par la hausse des recettes fiscales due à la hausse de la croissance ».
  • Bruno Le Maire ressert le théorème du chancelier Schmidt : « Les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». C’était déjà critiquable en 1974. Ce n’est pas du tout adapté à la situation d’aujourd’hui. Oui, le taux d’épargne est très élevé à 18%. Cela vient justement des profits et de dividendes surabondants qui ne font pas les investissements, les emplois et les augmentations de salaires. On est en fait sur une mécanique assez infernale de l’enrichissement en bande organisée par l’investissement financier et l’inflation des valeurs boursières et immobilières. Et, il faut sans cesse augmenter les dividendes et les rachats d’action. C’est un cercle vicieux qu’il est urgent de rompre.1 

Moins de dépenses, mais plus efficace ?

Argument CQFD : augmenter les impôts, c’est se détourner de la priorité, à savoir baisser les dépenses publiques et faire plus avec moins.

« Nous avons un niveau de dépense publique qui atteint des sommets et un taux de satisfaction des services publics qui touche le fond. Le vrai problème n’est-il pas là ? » ; « Pour garder la maîtrise de nos finances publiques, j’appelle une nouvelle fois les responsables de tous bords à une prise de conscience collective sur la nécessité de baisser la dépense publique et de renforcer son efficacité », explique Bruno Le Maire.

La chasse aux dépenses est ouverte. 

Certains s’y emploient avec ce qu’ils pensent être de la parcimonie et de la clairvoyance. Comme l’économiste Philippe Aghion2 qui préconise de ne pas frapper l’assurance-chômage. D’autres sont beaucoup plus explicites. Derrière les mots bleus à la Bruno Le Maire – « Transformer l’État providence en État protecteur » –, on sera en réalité sur une contre-réforme structurelle de l’État social en France.

Dans Le Figaro, l’influenceur Nicolas Baverez parle dru et clair : « 900 milliards de dépenses sociales absorbent près de 34% du PIB (27% dans l’Union), dont 14,5% pour les retraites (11,9% dans l’Union), 12,4% pour la maladie (contre 10,5% dans l’Union), 2,2% pour le chômage, 1,9% pour la lutte contre l’exclusion. Ces dépenses ont cannibalisé le financement des missions premières de l’État, expliquant l’effondrement de l’éducation, de la sécurité, de la justice ou de la défense ».

Le Figaro Magazine du 5 avril concrétise le projet avec douze propositions de quatre think tanks influents du lobbying néo-libéral (Iref, Institut Sapiens, Contribuables associés, Fondation Ifrap). On y trouve la proposition de « clarifier le mille-feuille territorial » ou celle de « mieux évaluer les politiques publiques ». C’est nécessaire, mais dépend du contenu qu’on leur donne. On trouve surtout les préconisations suivantes :

  • Ouvrir à la concurrence les assurances santé, chômage
  • Concentrer l’État sur ses missions régaliennes
  • Faire passer les retraites à la capitalisation
  • Sous indexer les retraites de plus de 2000 euros
  • Limiter le statut de fonctionnaire
  • Lutter plus efficacement contre la fraude sociale
  • Créer une allocation sociale unique plafonnée
  • Diminuer les coûts de fonctionnement de l’éducation publique
  • Réduire la masse salariale du secteur public.

En rupture avec le modèle social-démocrate en Europe et rooseveltien aux États-Unis, le capitalisme néolibéral est devenu dominant en Occident depuis les années 80. Avec notamment son cortège de privatisation ou de transfert à la sphère privée de larges pans des services publics et de la protection sociale. Avec sa dynamique de réduction des droits des travailleurs et d’affaiblissement des syndicats. Dans cette reconfiguration structurelle du capitalisme, la France n’a certainement pas été comme le village d’Asterix. Mais elle est restée dans certains domaines à mi-parcours. Comme les résultats se dégradent, il s’agirait… de doubler la mise et vite de devenir un champion de la mise en œuvre de ce capitalisme néolibéral. L’erreur serait fatale. Nous avons besoin d’un dépassement pas d’une contre-réforme.

La bataille de l’efficacité des dépenses publiques

Dans cette bataille, Bruno Le Maire croit pouvoir se saisir de l’argument de l’amélioration de l’efficacité des dépenses publiques. « Dépenser moins mais dépenser mieux », en quelque sorte. Sur ce terrain, il use et abuse de tous les poncifs, y compris les plus populistes. Mais le ministre n’a heureusement pas le monopole de la raison. Sur le terrain de l’efficacité des dépenses publiques, la Macronie n’est pas si fringante qu’elle le pense. Ce peut être une arme contre sa politique. 

Il y a deux ans, une étude commandée par la CGT à l’Institut de recherches économiques et sociales et conduite par des chercheurs de l’Université de Lille avait permis de lever le lièvre sur la croissance, l’ampleur et l’efficacité des aides publiques aux entreprises. Depuis, les montants continuent de croître. Le débat sur leur efficacité, leurs modalités et leurs conditionnements est encore plus nécessaire. Signe des temps, la remise en cause de certaines de ces aides est même préconisée par le président du Conseil d’analyse économique Camille Landais, comme le Crédit Impôt Recherche (CIR) pour les entreprises (7,6 milliards d’euros) ou bien au système d’aides à l’apprentissage (3 milliards d’euros). Un frétillement. L’indice qu’il faut pousser beaucoup plus fort. Car l’efficacité des aides (fiscales et subventions) aux entreprises est une question à plus de 200 milliards.


  1. Cf notamment l’interview de Camille Landais, président délégué du Conseil d’Analyse Économique, organisme rattaché au Premier ministre : « Refuser toute hausse d’impôts, au vu de notre situation budgétaire, c’est absurde » ↩︎
  2. Voir l’analyse de Esther Jeffers, Pierre Khalfa et Dominique Plihon : « La reprise en main du secteur financier par la puissance publique s’avère nécessaire », Le Monde du 3 avril 2024 ↩︎

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