Avortement : l’Espagne à l’avant-garde d’une régression européenne ?
Un projet de loi du gouvernement de Mariano Rajoy prévoit de limiter le recours à l’avortement aux cas de viols ou de « grave danger » pour la femme enceinte. La décision suscite l’indignation, dans un contexte européen qui se dégrade pour l’IVG.
Rien n’est jamais acquis, surtout pas les droits des femmes. Alors que depuis 2010 l’Espagne était, avec l’Angleterre et les Pays-Bas, l’un des pays les plus progressistes en matière d’avortement – selon le Planning familial, on estime d’ailleurs entre 3 000 et 5 000 le nombre de Françaises qui se rendent chaque année en Espagne pour avorter, en raisons de délais plus longs –, elle régresse aujourd’hui au rang de la Pologne, pays dont la législation est extrêmement sévère et restrictive sur le droit à l’IVG.
De fait, le 20 décembre dernier, le Conseil des ministres a adopté une proposition de loi visant à restreindre drastiquement l’accès à l’avortement. L’IVG sera désormais uniquement autorisé en cas de « grave danger pour la vie ou la santé physique ou psychologique de la femme enceinte », et en cas de viol.
« Attentat contre la démocratie »
Mariano Rajoy, l’actuel Premier ministre, avait fait des promesses en ce sens dans son programme de campagne, mais la nouvelle sonne comme une gifle à la face des féministes espagnoles, contraintes de ressortir des placards les banderoles qu’elles pensaient avoir rangées pour de bon. « Mi bombo es mio » (« Mon ventre m’appartient »). XXIe siècle oblige, le vieux slogan défile désormais sur les réseaux sociaux. Et si du nord au sud du pays, les mobilisations se multiplient, le PSOE (Parti socialiste) souhaite quant à lui convoquer une assemblée extraordinaire d’ici la fin du mois de janvier, soit avant la réouverture du parlement prévue le 11 février, pour réclamer le retrait immédiat de ce projet de loi qualifié par le porte-parole du parti d’« attentat contre la démocratie ».
La contestation chemine jusque dans les rangs du Parti populaire (PP), parti de la majorité. « La nouvelle d’une malformation est un drame pour le couple, l’État ne doit pas rendre les choses encore plus difficiles », déclare Javier Dorado, secrétaire général de Nouvelles générations (les jeunesses du PP), faisant ainsi référence à la suppression dans la nouvelle loi du droit à l’avortement en cas de malformation du fœtus. Cristina Cifuentes, la déléguée du gouvernement à Madrid, s’est dit davantage « partisane d’une régulation des délais ». Cette division sur la question des élus du PP n’a d’ailleurs pas échappé à l’opposition, qui réclame d’ores et déjà un vote à bulletin secret.
Difficile aujourd’hui de prévoir quelle sera la stratégie du gouvernement Rajoy. En fera-t-il une question d’autorité en maintenant le projet de loi tel quel, ou amendera-t-il quelques points, notamment dans les situations de malformation du fœtus ? Quoi qu’il en soit, l’accès à l’avortement sera sérieusement entravé et le droit des femmes à disposer de leur corps totalement bafoué.
Une indispensable mobilisation
« Ce projet de loi est totalement hypocrite et irresponsable. Les avortements clandestins vont à nouveau se multiplier et un tourisme abortif va se mettre en place », s’inquiète Marie-Pierre Martinet, secrétaire générale du Planning familial. Et de raconter l’histoire de cette femme en Pologne à qui on a refusé une IVG malgré le risque de cécité prédit par son médecin en cas de grossesse menée à terme. Certes, la Pologne a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, mais la femme est devenue aveugle.
Ce qui se passe en Espagne s’inscrit dans un contexte européen peu enclin à promouvoir l’accès à l’avortement. Pour preuve, le rejet en décembre dernier du rapport Estrella sur « la santé, les droits sexuels et génésiques » qui sollicitait une homogénéisation des droits en Europe – notamment pour l’accès à la contraception, à l’avortement et à l’éducation à la sexualité. « Il y a eu une grosse mobilisation européenne d’opposants, avec pas moins de deux millions de signataires dont 400.000 en France, rapporte Marie-Pierre Martinet. Les arguments étaient très proches de ceux de la Manif pour tous, réclamant une souveraineté des États sur ces questions. C’est d’autant plus inquiétant qu’en 2008, l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait acté une résolution qui incitait les États à permettre l’accès à l’avortement. »
« On l’a déjà expérimenté il y a quarante ans : la force de conviction et de mobilisation va être essentielle sur ces questions », prédit la secrétaire générale du Planning. De fait, en Espagne, les féministes et opposants au projet de loi se préparent à monter dans le train de la liberté qui partira le 31 janvier des Asturies pour rejoindre Madrid le 1er février. Des délégations féministes françaises seront également du voyage. Aujourd’hui, à Paris, se déroule une grande réunion unitaire des associations féministes afin d’organiser des actions de solidarité pour les semaines à venir. Selon nos informations, une grande manifestation devrait avoir lieu à Paris le 19 janvier prochain [édition du 10 janvier: la date du 1er février a finalement été retenue]. Ce qui nous laisse tout juste le temps d’inscrire sur nos vieilles banderoles, la version espagnole du fameux « Mon corps m’appartient » : « Mi bombo es mio ».