Averroes vs Stanislas : cherchez la (seule et unique) différence
Au-delà de « l’affaire Oudéa-Castera », qui fait grand bruit uniquement par la médiocrité de la ministre de l’Éducation, la différence de traitement entre un établissement catholique et musulman est flagrante : racisme et mépris de classe font bon ménage dans la bourgeoisie.
« Les valeurs de Stanislas sont celles de l’Évangile, sa première légitimité est celle de l’Église, la deuxième la République. » Voilà ce que l’on peut déclarer sereinement à la télévision française quand on dirige un établissement privé… non-musulman. Encore mieux si dans cet établissement sont scolarisés les enfants de la ministre de l’Éducation nationale Amélie Oudéa-Castera.
La presse a largement informé de « l’affaire Oudéa-Castera », mais sans mettre l’accent sur la différence stupéfiante de traitement entre établissements privés catholiques sous contrat d’association avec l’État et leurs équivalents musulmans. Il faut reconnaître que le phénomène est assez nouveau, mais aussi que l’offensive islamophobe était cantonnée à l’extrême droite jusqu’au début des années 2000. Puis elle a gagné progressivement la droite et aujourd’hui touche jusqu’à la Macronie. C’est ainsi que le lycée musulman Averroes de Lille a vu Xavier Bertrand, président du conseil régional des Hauts-de-France, couper ses financements publics plusieurs années sans respecter la réglementation en vigueur. Le lycée a dû engager des démarches juridiques en obtenant gain de cause à chaque fois. Néanmoins, les grands médias n’ont pointé que les soupçons accusatoires contre le lycée Averroes sans mettre en avant les pratiques non-réglementaires menées contre lui.
En décembre 2023, le préfet (sous l’autorité hiérarchique de l’exécutif national) a finalement décidé de supprimer le contrat d’association du lycée privé Averroes avec l’État. Cette décision menace de ce fait la survie même de l’établissement et l’emploi de ses salariés. Le seul élément à charge concernant le caractère « réactionnaire » de cet établissement repose sur un ouvrage inscrit dans la bibliographie donnée aux élèves. Aucun rapport officiel n’a établi la moindre utilisation concrète de cet ouvrage dans l’enseignement ou dans les propos tenus par les agents du personnel.
Les résultats aux examens des élèves du lycée privé catholique Stanislas et ceux du lycée privé mulsulman Averroes sont tous deux remarquables. En revanche, la comparaison équivalente s’arrête là. Du point de vue des autres critères du ministère, ces chiffres sont considérés comme excellents pour le lycée Averroes et normaux pour Stanislas. En effet, l’Éducation nationale compare les résultats des élèves à leur sociologie, c’est-à-dire au niveau de revenus ainsi qu’à la profession des parents ou leur niveau d’études1. Un grand nombre d’élèves d’Averroes sont boursiers et la majeure partie des autres sont issus de milieux populaires ou de petites classes moyennes. Obtenir, dans ces circonstances, des résultats supérieurs à la moyenne académique relève de la performance, ce qui est souligné par la totalité des rapports sur le lycée Averroes.
Le privé n’est pour eux qu’une stratégie d’évitement social des établissements publics. Ils souhaitent un entre-soi de classe sociale, une forme « d’élitisme scolaire », ainsi qu’un vernis de rituels religieux. Dans le fond, la fraction réactionnaire de la bourgeoisie ne les dérange pas.
Le directeur de Sciences Po Lille a protesté contre la rupture de contrat d’association avec l’État de ce lycée qu’il considère comme « un formidable outil républicain ». Il ajoute « qu’il y a 60% de boursiers à Averroès ! Chaque année, 30 à 40 de leurs élèves passent du temps chez nous. Certains ont réussi notre concours et étudié à Sciences Po ». Lorsqu’il s’agit d’instrumentalisation raciste, les responsables politiques de droite oublient très rapidement leurs discours sur « l’excellence scolaire » et la nécessité du « renouvellement des élites ».
Le ministère utilise quant à lui le concept « d’effet établissement ». Il faut savoir que cet « effet d’établissement » est excellent pour Averroes et nul dans le cas de Stanislas car les enfants de milieux défavorisés ne représentent qu’environ 1% de ses élèves. Dit autrement, les élèves du lycée privé Stanislas auraient d’excellents résultats, quelque soit l’établissement dans lequel ils seraient scolarisés. Ce constat est d’ailleurs valable pour la grande majorité des établissements privés. Le choix du privé n’est donc pas d’abord lié à des considérations proprement scolaires ou religieuses. L’embourgeoisement de l’enseignement privé est une tendance fondamentale depuis que le catholicisme s’est effondré.
L’affaire Stanislas, une simple erreur de com’ ?
Si le cas de l’établissement Stanislas a finalement fait grand bruit, on le doit uniquement à la communication désastreuse de la nouvelle ministre, ainsi qu’à sa situation personnelle. Les pratiques de cet établissement sont certes minoritaires dans l’enseignement privé catholique mais elles ne sont, hélas pas exceptionnelles. À l’intérieur de cette minorité proactive, les établissements ne se distinguent que par le degré d’homophobie et de sexisme dont ils font preuve. Les rapports remis aux différents rectorats et au ministère ne se comptent plus. Ils finissent en général enterrés, rangés dans des dossiers classés au fond de tiroirs bien verrouillés. Au mieux, la direction de l’établissement indique qu’elle mettra en place les « recommandations » du rapport, sans qu’aucune garantie ne soit donnée.
La situation est connue depuis des décennies mais reste malheureusement plus que tolérée… voire étouffée par les rectorats du ministère de l’Éducation nationale. Ces derniers justifient leur inaction au motif d’une impossibilité d’agir et de contrôler les directions d’établissements catholiques, recrutées et nommées par les diocèses régionaux. Les directions d’établissements privés sont en effet constituées d’agents de droit privé – donc non contractuels avec l’État. Ces établissements parfois très côtés sont pourtant en contrat d’association avec l’État et de ce fait bénéficient de fonds publics versés par le contribuable pour payer leurs enseignants.
L’alliance de la bourgeoisie et de la réaction
D’aucuns pourraient s’interroger sur le paradoxe du placement des enfants d’une bourgeoisie se présentant comme « progressiste » dans des établissements privés connus pour leur porosité aux discours et pratiques réactionnaires. On peut rappeler en ce sens que divers ministres de l’Éducation nationale d’Emmanuel Macron ont inscrit leurs enfants dans le privé, ou en sont eux-mêmes issus. Il en est de même pour l’actuel président de la République ayant fait voter une loi contre le « séparatisme » – sous-entendu musulman. Dans les faits, les établissements privés confessionnels reposent en grande partie sur les parents d’élèves pour fonctionner. Ces parents participent à certaines activités professionnelles de droit privé internes peu ou non rémunérées sur fond propre d’établissement et recrutés sur la base d’entretiens « éclairs » par cooptation ou réseaux communs. Ces fonctions très diverses peuvent être le secrétariat, la gestion administrative, l’encadrement de la vie scolaire et des sorties scolaires, l’étude dirigée et la permanence, voire le remplacement ponctuel d’enseignants. Sans oublier bien entendu, la pastorale, voire l’aumônerie ou le catéchisme.
Le recul de l’Église catholique comme institution a laissé la place à certains parents soucieux de s’investir pour protéger le caractère propre traditionnel et religieux de l’école, des « valeurs chrétiennes », de la charité… Ces parents, acteurs et semi-agents dans les établissements, sous couverts d’être toujours prêts à « filer un coup de main » sont beaucoup plus impliqués que les autres parents au quotidien de l’école de leurs enfants. Forts de cette implication, ils n’hésitent pas faire pression sur les directions d’établissement pour « défendre les valeurs traditionnelles de la famille ». Cela s’est avéré lors du débat sur le mariage pour tous en 2013 ou le plan égalité garçons-filles en 2014 avec des demandes de révisions des manuels scolaires sous prétexte de mise en avant des études de genre.
De leur côté, les parents issus de la bourgeoisie qui ne se préoccupent pas de la question religieuse ne font que laisser faire. Ils n’ont ni le temps disponible, ni l’envie de s’engager véritablement au sein de l’établissement de leurs enfants. Le privé n’est pour eux qu’une stratégie d’évitement social des établissements publics. Ils souhaitent un entre-soi de classe sociale, une forme « d’élitisme scolaire », ainsi qu’un vernis de rituels religieux (fêtes du calendrier chrétien). Ils ne craignent pas l’influence homophobe ou sexiste sur leurs enfants puisque ceux-ci ne participent que peu ou prou aux activités religieuses. En effet, l’État a imposé qu’elles ne soient pas obligatoires. Dans le fond, la fraction réactionnaire de la bourgeoisie ne les dérange pas. Ils la considèrent comme idéologiquement dépassée et donc inoffensive pour leur progéniture. En revanche, il peut être utile de s’allier ponctuellement avec elle quand cela sert leurs intérêts, comme en témoigne le tournant très conservateur de la politique macronienne.
Le séparatisme social de cette classe les amène aisément à croire que les milieux populaires sont « communautaristes ». Les enseignants des établissements publics sont considérés comme « absentéistes » et les parents d’élèves souvent en difficulté financières, psychologiques, sociales seraient « démissionnaires ». Racisme et mépris de classe font décidément bon ménage.
- Cf. IPS ou indice de position sociale. ↩︎
Le séparatisme scolaire n’existe pas seulement dans les lycées des « capitales » régionales . Il existe et se met en place dès les écoles élémentaires, se poursuit dans les collèges avant de d’atteindre les lycées et les universités. Les moyens sont connus : dérogations en tout genre ( lieu de domicile, lieu de travail d’un des parents, garde d’enfants, choix des options, désectorisation, etc…). Dès la sortie des études, le séparatisme scolaire se poursuit par le séparatisme social : choix du quartier ou du village de résidence. Il existe ainsi des villages qui sont de véritables « ghettos de riches » et des quartiers qui sont des « ghettos de relégation sociale et ethnique ». Ainsi la lutte des classes qui auraient, pour certains, soi-disant disparue, se perpétue à tous les échelons de notre société. C’est donc dans globalité politique que le problème doit être abordé.