Pour redonner du sens au travail, une autre entreprise est possible

Autogérées, coopératives, participatives : des entreprises ont choisi d’accorder la priorité aux intérêts de ceux qui y travaillent. Pour durer et se développer, elles tentent aussi de partager leurs expériences.

« Chez nous, le PDG est tiré au sort tous les deux ans parmi les salariés volontaires, à condition de ne jamais avoir exercé cette fonction auparavant, raconte Louis, vingt-huit ans, salarié chez Ambiance bois, une entreprise autogérée basée à Faux-la-Montagne dans le Limousin. On a tous le même salaire quelle que soit notre fonction, on n’a pas de hiérarchie et nos décisions sont prises par consensus. »

Travailler autrement, telle est la devise de cette société anonyme à participation ouvrière où les bénéfices sont redistribués à parts égales entre le capital et le travail et où le temps partiel est facilité pour ceux qui le souhaitent.

L’entreprise au service de ses salariés

« Sur vingt-cinq salariés on compte seulement deux ou trois temps plein, la majorité d’entre nous préfère consacrer du temps à sa vie privée, sa famille ou bien à des associations locales », explique Louis. Si aujourd’hui ce dernier considère « l’entreprise comme un outil au service de ses salariés », le choix de l’autogestion n’a pas toujours été une évidence.

Après son apprentissage, il a d’ailleurs choisi de quitter l’entreprise pour rejoindre une grosse boîte du bâtiment : « J’avais besoin de savoir si je voulais un patron ou pas, parce qu’avoir un patron c’est avoir moins de responsabilités ». Finalement, malgré une promesse d’embauche à 2.600 euros par mois, ce passionné d’éco-construction a préféré réintégrer Ambiance bois et son éthique écolo, estimant que ce dont il avait surtout besoin « c’était d’être fier de [son] travail ».

Pour aussi atypique qu’elle puisse paraître, Ambiance bois n’est pas une entreprise unique en son genre. Elle participe avec une cinquantaine d’autres structures au réseau Repas, un réseau d’échanges et de pratiques alternatives et solidaires. Une initiative née il y a vingt ans, en Ardèche, sous l’impulsion de Béatrice Barras et quelques autres pionniers de l’économie sociale et solidaire.

L’accent sur la coopération

Mais pour comprendre la genèse du réseau, il faut remonter en 1982, date à laquelle Béatrice Barras, son mari et d’autres copains décident de plaquer leurs boulots respectifs et de créer la Scop Ardelaine afin de réhabiliter la filière laine locale. Au cœur du projet : travailler autrement, mettre l’accent sur la coopération, respecter une éthique écologique et surtout relancer le développement local. « Nous voulions faire quelque chose qui profite au village car à cette époque les gens partaient vers la ville », se souvient Béatrice Barras.

L’ambition étant de taille, très vite les nouveaux entrepreneurs ont ressenti le besoin d’échanger avec des gens engagés dans des expériences similaires et « qui partageaient les mêmes valeurs ». Toujours très actif aujourd’hui – les entreprises se rencontrent deux fois par an – le réseau Repas a aussi diversifié ses activités. Il compte désormais une maison d’édition et a mis en place un dispositif de formation : le compagnonnage. Des formations itinérantes au sein des entreprises du Repas dont l’objectif n’est pas de former des jeunes à un métier, mais de leur apprendre à travailler autrement pour que naissent d’autres « projets utopiques ».

Béatrice Barras et ses amis ont gagné leur pari : non contents d’avoir initié le réseau Repas, ils emploient aujourd’hui au sein de leur Scop une soixantaine de salariés dans un village qui en 2014 recensait 546 habitants.

Alternative ou expérimentation ?

Qu’on se le dise, si les utopies poussent dans les champs, elles fleurissent aussi dans les villes. À Montreuil, Pierre et Thomas ont eux aussi tout plaqué pour monter une boulangerie. Leur conquête du pain est une Scop autogérée où les salariés sont tous rémunérés au taux horaire de 11,96 euros et où les décisions sont prises collégialement lors de réunions hebdomadaires. Ici, le pain est bio et les prix abordables, l’enjeu étant de nourrir les gens du quartier. Tout ce qui n’est pas vendu est donné, les habitants démunis ont accès à un tarif de crise, ceux qui ne le sont pas peuvent acheter une « baguette suspendue » qu’ils déposent dans un panier à destination des habitants qui le sont totalement.

Un projet politique qui a trouvé sa place au sein du réseau Repas même si « cette année, nous nous sommes pas mal disputés, une partie des salariés est partie, nous avons dû réembaucher et avons manqué de temps pour accueillir des jeunes en formation, explique Thomas. Certes, l’entreprise est rentable, mais nous avons les deux pieds dans le monde capitaliste, nous sommes soumis à des contraintes que l’autogestion n’efface pas. Il faut payer les salaires, les cotisations, etc., donc il faut produire. Et si on veut vendre à tout le monde, donc pas cher, il faut produire beaucoup et c’est épuisant. Au début de l’aventure, je pensais que nous étions une alternative, mais je me suis trompé. Nous sommes une expérimentation. »

Et si, aujourd’hui, Thomas souhaite « faire un break par rapport à la dimension collective », il reconnaît éprouver « une vraie satisfaction personnelle à participer à un projet politique qui démontre que l’autogestion est possible, parce que même si on a des crises, même si c’est difficile, ça marche et c’est rentable ».

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