Mélenchon Premier ministre : ce que l’histoire électorale de la Vème République nous en dit

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Entre le premier tour d’une élection présidentielle et la composition de l’Assemblée nationale, il y a un monde. Avant le présent scrutin, dix présidentielles ont eu lieu, dont cinq ont été suivies de législatives. Le candidat de l’Union populaire peut-il prendre Matignon ? Retour vers le futur de la gauche.

« Je demande aux Français de m’élire Premier ministre. » Le 19 avril, sur BFMTV, Jean-Luc Mélenchon entre de plain-pied dans la campagne du « troisième tour ». Candidat malheureux du premier tour de l’élection présidentielle, il entend désormais remporter les élections législatives : « Je ne veux pas que Madame Le Pen prenne le pays et je ne veux pas que Monsieur Macron garde le pouvoir. Donc je ne résous cette contradiction que d’une manière : en disant, il y a un troisième tour ».

 

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Mais imposer une cohabitation à celui ou celle qui sera désigné chef de l’État dimanche 24 avril sera tâche ardue et l’intéressé lui-même ne l’ignore pas. Tout d’abord, si la gauche a progressé entre 2017 et 2022, elle reste dans ses basses eaux électorales. Pour gagner les législatives, il lui faut donc a minima surmonter ses divisions. Consciente de cette nécessité, la France insoumise a tendu la main aux autres forces de gauche, ratissant large : du PS au NPA en passant par les communistes et les écologistes. Les ONG et les syndicats devront aussi être de la partie, a martelé le leader de l’Union populaire. Comme nous le disait Manuel Bompard dans #LaMidinale : « On ne peut pas à la fois se dire qu’on va aborder les législatives dans une perspective majoritaire et en même temps ne pas tout faire pour élargir l’Union populaire. […] Nous proposons un label et un cadre commun sur l’ensemble du territoire. […] Nous devons nous ancrer dans une perspective de moyen et long terme. […] Nous ne demandons à aucune des organisations politiques de se dissoudre mais de participer à un cadre intégré et stratégique. » Il reste que le rassemblement à gauche n’aboutira que s’il enclenche une dynamique suffisante. Or, jusqu’à ce jour, que les législatives suivent immédiatement la présidentielle ou qu’elles en soient éloignées, le vote a toujours confirmé le camp dominant de l’élection présidentielle. La seule exception est celle de 1997 : deux ans après son élection confortable, confronté à des difficultés au sein même de sa majorité, Jacques Chirac devance d’un an le calendrier électoral en prononçant la dissolution de l’Assemblée. Déjouant ses attentes, la gauche progresse de 10%, emporte la majorité des sièges et permet à Lionel Jospin de prendre pour cinq ans la tête d’un gouvernement de « gauche plurielle » – auquel va participer Jean-Luc Mélenchon. Dans tous les autres cas de figure, les élections législatives confortent le Président élu. C’est d’ailleurs ce constat qui explique la décision, prise en 2005, de coupler la présidentielle et les législatives pour éviter la complexité des phases de « cohabitation ». L’infographie présentée ci-dessous permet de visualiser les écarts entre le niveau présidentiel de la gauche et sa place dans les assemblées élues après chaque élection présidentielle. presidentielle_assemblee.png

[cliquez sur le graphique pour l’agrandir]

 

Que faut-il retenir de tout ça ?

À partir de 1965, l’histoire de la gauche est dominée par une dynamique : celle de l’union de la gauche, proposée au départ par le PCF et acceptée par le PS de François Mitterrand en 1972. En 1967, la gauche – qui est en difficulté depuis la mise en place des institutions de 1958 – profite de l’élan de la première candidature unitaire de Mitterrand, pour conforter ses positions dans l’enceinte du Palais Bourbon et pour venir taquiner l’hégémonie gaulliste, totale depuis 1962. En 1973, elle est de la même manière dopée par la signature en juin 1972 du programme commun PC-PS-radicaux de gauche. On notera un premier accroc dans la dynamique unitaire entre 1974 et 1978 : en 1974, le candidat unique de la gauche – c’est pour la seconde fois Mitterrand – frôle la victoire ; mais la rupture de l’union en 1978 ne permet pas à la gauche – où, pour la première fois depuis 1945, le PCF est légèrement distancé par le PS – de retrouver son niveau de 1974 et de devenir majoritaire à l’Assemblée. Il lui faudra attendre trois ans pour parvenir à ses fins, dans la lancée persistance de ce qui fut l’union de la gauche. Le 10 mai 1981, la gauche exulte avec la victoire historique de Mitterrand, à sa troisième tentative. Le nouveau Président élu dissout aussitôt l’Assemblée. Dans l’enthousiasme, le peuple de gauche élit la plus forte majorité en députés que la gauche ait connue depuis la Libération. Le PS du Président élu devient le parti dominant à gauche ; le PC marque le pas et entame son déclin. Sur onze élections législatives depuis 1965, la gauche n’aura la majorité absolue des sièges qu’à trois reprises. Par deux fois, en 1988 et en 2012, elle y parviendra dans la foulée d’une élection présidentielle gagnée par le PS (Mitterrand pour un second mandat en 1988, François Hollande en 2012). Une seule fois – en 1997, soit deux ans après la présidentielle – elle parvient à ses fins, alors qu’elle est en nette minorité dans l’Assemblée sortante. La gauche gagnant les législatives après avoir perdu la présidentielle ? Ce n’est arrivé qu’une fois, et pas immédiatement après…

Le choc de l’extrême droite

Jusqu’en 1988, la gauche est structurée autour de ses forces historiques anciennes (communistes, socialistes, radicaux) : le PC la domine jusqu’en 1978, le PS prend sa relève entre 1978 et 1981. Dans les trois élections où la gauche gagne les élections législatives dans la foulée d’une présidentielle (1981, 1988, 2012), elle se situe à un niveau présidentiel supérieur à 40% (47% en 1981, 45% en 1988, 44% en 2012). Et, chaque fois, cette gauche est dominée par une formation au-dessus de 25%, en l’occurrence le Parti socialiste (26% en 1981, 34,1% en 1988, 28,6% en 2012). La structuration ancienne s’est peu à peu affaissée ; le PC a été le premier à reculer ; les écologistes ont à leur manière pris la place des radicaux ; en 2017, c’est au tour du PS de s’effondrer. Cette élection atypique de 2017 a rompu la logique binaire traditionnelle : quatre candidats se partagent 85% des suffrages exprimés. La gauche est dominée par Jean-Luc Mélenchon (19,6%) et la droite par François Fillon (20%). Mais la tête du classement est occupée par deux individus (Emmanuel Macron et Marine Le Pen) qui totalisent 45% et qui récusent ouvertement la référence au binôme droite-gauche. Les législatives de 2017 enregistrent de façon étonnante la rupture historique : la victoire de Macron est amplifiée par celle de La République en marche (54,4% des sièges), tandis que le bon résultat de Le Pen est annulé (7 élus seulement) par sa solitude qui l’éloigne partout de la majorité. De leur côté, la droite classique des Républicains doit se contenter de moins d’un élu sur cinq et le total LFI-PC de moins de 5% de la représentation nationale.

Et aujourd’hui ?

La situation a changé depuis 2017 : la gauche a progressé de près de 4%, l’extrême droite de 5% et si Macron a gagné 4%, le total de la droite qu’il a phagocytée a reculé de 4%. Macron est en tête dans 265 circonscriptions métropolitaines, Le Pen dans 205 et Mélenchon dans 105. La gauche requinquée n’est pas encore rassemblée. Le PS n’est plus le navire-amiral, mais Mélenchon a consolidé son leadership. Si Marine Le Pen est élue, s’ouvre une période de crise et de bouleversements que l’on peine à imaginer. Si Macron est élu, il va chercher à bénéficier de l’effet majoritaire voulu par les institutions et jouera sans nul doute de la peur du chaos et du besoin de majorité stable. Mais la présidentielle a aussi montré que tout se jouait dans un mouchoir de poche dans ce qui n’est plus un quatuor mais un trio de tête. Alors, la gauche majoritaire aux législatives ? Ce n’est pas l’hypothèse la plus vraisemblable, loin de là. Mais à la veille du premier tour présidentiel, l’hypothèse d’un second tour Macron-Mélenchon n’était pas non plus la plus vraisemblable. Le leader de la France insoumise joue une fois de plus la carte de la volonté : Yes we can ! Elle ne lui a pas si mal réussi entre sa déclaration de candidature et son résultat du 10 avril. Tout est possible ? En tout cas, tout reste à faire.

 

Loïc Le Clerc

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