Impôt sur les profiteurs de guerre : le sparadrap du Président Macron

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Vous non plus, vous ne savez plus dire si le gouvernement vous badigeonne de bobards, ou s’il vous prend simplement pour des imbéciles ? Bernard Marx vous aide à faire la distinction.

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L’affaire Tournesol, Hergé

 

* * *

 

Le ministre des Comptes publics argumente de la façon suivante :

  • Depuis des années nous menons une politique de baisse de la fiscalité sur les entreprises pour permettre le développement économique et attirer les investissements.
  • C’est si efficace qu’on collecte plus d’impôts sur les entreprises qu’avant. On collecte plus d’argent avec l’impôt sur les sociétés depuis que le taux est à 25% que quand il était à 33%. « Quand vous taxez moins un gâteau plus gros vous avez plus d’argent que quand vous taxez beaucoup un gâteau qui se rétrécit ».
  • La priorité est que les entreprises qui font des profits permettent d’en faire profiter les Français tout de suite soit en distribuant des primes Macron à leurs salariés, soit en baissant le niveau des factures, « plutôt qu’une taxe dont on ne sait pas trop quand elle serait collectée, et ce qu’elle changerait dans la vie quotidienne des Français ».
  • « Si on constate à la fin de l’année que les efforts n’ont pas été faits massivement, à ce moment là on ne ferme pas la porte ».

 

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Un empilement de mauvais arguments

Que la politique fiscale de Macron ait privilégié les baisses des impôts sur les entreprises (baisse progressive de l’IS statutaire de 33 à 25%, baisse des impôts dits de production) ainsi que les profits distribués (transformation de l’ISF en IFI et flat taxe à 30% sur les revenus du capital) est incontestable.

Que cela ait été un succès en termes de développement économique et d’investissement l’est beaucoup plus. Ainsi :

Qu’on collecte plus d’impôts sur les sociétés parce qu’on en baisse le taux est un bobard. Il ne faut pas se fier aux apparences.

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[cliquez sur le graphique pour l’agrandir]

 

En 2021, le produit de l’IS s’est élevé à 46 milliards d’euros. Le même niveau qu’en 2006, mais presque 1 point de PIB en moins. La baisse massive à partir de 2014 correspond à l’invention du CICE par Hollande. Depuis 2021 le CICE a été remplacé par une diminution des cotisations sociales. Il n’apparaît donc plus dans la comptabilisation des impôts sur les sociétés qui passe de 36 à 46 milliards. Mais ce n’est pas l’effet de la baisse du taux de l’IS. Les 10 à 15 milliards d’avantages fiscaux subsistent pour les entreprises. Simplement ils n’apparaissent pas au même endroit dans les comptes du budget de l’État.

En 2022 le rendement de l’IS augmenterait effectivement de 10 milliards. Mais une bonne partie vient d’un report de paiement de l’IS de 2021 du fait de bénéfices réalisés supérieurs aux prévisions.

Et d’autre part il faut comme toujours bien distinguer entre les petites et les grandes entreprises :

Une affaire de… 65 milliards

Prétendre qu’un tel impôt ne changerait pas la vie quotidienne des Français et préférer des « gestes » des entreprises vis-à-vis de leurs salariés et des consommateurs, c’est vraiment nous prendre pour des imbéciles. L’impôt peut être mis en place en urgence et son rendement peut se compter en milliards et pas en centaines de millions.

À cet égard l’économiste Raul Sampognaro a publié sur son compte Twitter une imparable démonstration sur les Comptes Nationaux du 2ème trimestre 2022. Globalement la baisse du pouvoir d’achat des ménages va de pair avec la hausse du taux de marge des sociétés non financières[[Cela exclut le secteur de la finance, les entreprises à but non lucratif, les entreprises individuelles (comme les auto-entrepreneurs).]] à 32,2% de leur valeur ajoutée. Certes cela reste inférieur au niveau record d’avant Covid. Mais ce résultat global masque des évolutions énormes dans certains secteurs. Les profits des secteurs de l’énergie, des raffineries, des transports maritimes ont explosé. Dans ces secteurs, on est sur du 65 milliards d’explosion des profits.

Et globalement les profits des très grandes entreprises françaises vont très bien. La boucle salaires/prix est une fiction mais la boucle profits/ prix est une réalité :

« Les stars de la cote parisienne ont une nouvelle fois dépassé les attentes avec des profits cumulés en hausse de 26% au premier semestre, à 72,5 milliards d’euros. Les grandes entreprises françaises ont réussi à défendre leurs marges en répercutant largement les hausses de coûts à leurs clients ». (Les Échos, 4 août 2022)

Elles dépensent un pognon de dingue pour les actionnaires et jettent des miettes aux salariés, aux consommateurs ou pour la lutte contre le réchauffement climatique.

« Les actionnaires sont à l’honneur. Les dividendes versés par les grandes entreprises ont atteint un niveau record de 44 milliards d’euros au deuxième trimestre en France ». (Les Échos, 24 août 2022)

« Les rachats d’actions, l’autre manière avec les dividendes de rendre de l’argent aux actionnaires (en soutenant indirectement les cours), n’ont jamais eu autant la cote en France : ils ont atteint près de 15 milliards d’euros au sein du SBF 120 au premier semestre, contre 5,6 milliards l’an passé. » (Les Échos, 2 septembre 2022)

Une taxation conséquente des profits des profiteurs de guerre pourrait donc servir à changer la vie quotidienne des Français. Elle est même indispensable pour ne pas rester enfermé dans l’injonction contradictoire d’accroître les dépenses publiques et en même temps de baisser la fiscalité sur les entreprises et de réduire le déficit budgétaire. La vie quotidienne des Français changera pour le meilleur ou pour le pire selon qu’il y aura ou non continuation d’un « bouclier tarifaire » pour l’électricité et le gaz, redressement des services publics, rénovation thermique des logements, amélioration ou non des transports collectifs…

Signal rouge

Bien entendu, la taxation des sur profits ne suffira pas à elle seule. Il faut la refonte du système d’imposition et notamment des profits des grandes entreprises au plan national et au plan mondial. Mais comme l’a dit, à raison, l’économiste Esther Duflo, le 2 septembre, sur France Inter, même si c’est juste une partie de la solution, cela a deux effets bénéfiques : d’une part, cela fait partie de la solution. Et cela aide à ouvrir le débat sur l’ensemble du problème de la fiscalité sur les profits.

Nicolas Beytout, le directeur du très néo-libéral L’Opinion, le dit lui aussi à sa façon : la taxe sur les superprofits serait le signal rouge que c’en serait fini de la baisse des impôts.

La défense par le déni des Borne, Attal, Le Maire et compagnie n’arrive pas à tenir devant la multiplication des exemples de mise en route d’une telle taxation, en Espagne, au Portugal, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas.

Emmanuel Macron en a conscience. Il ne peut expliquer que « nous sommes en guerre », proclamer la fin de l’insouciance et de l’abondance et ne pas taxer les profiteurs de cette guerre. Il essaye de transmettre le sparadrap à l’Union européenne. Qui plus est sous la forme entièrement édulcorée d’une simple contribution exceptionnelle. En même temps que le ministre Attal argumente contre la taxe en France en arguant des délais et de la complexité de la mise en œuvre.

Mais on ne se débarrasse pas comme cela d’un sparadrap aussi collant…

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L’affaire Tournesol, Hergé

 

Bernard Marx

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