Hôpital : on se politise ?

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Interpellé sur l’hôpital public par un jeune Haut-Viennois la semaine dernière, Emmanuel Macron avait rétorqué : « Vous êtes très politisé vous ! ». Ce jeune, Damien Maudet, nous livre ici son regard de la situation et sa critique de la politique gouvernementale en matière de santé.

 

Deux ans maintenant que nos dirigeants prennent toutes leurs décisions sanitaires au regard des capacités hospitalières. Plus de places en réa ? On confine, on couvre-feuise, on ne danse plus, on sort les QR-code.

Tout tend à ce que la capacité d’accueil de l’hôpital public soit un fait naturel et figé. Or, si aujourd’hui les hôpitaux ont de plus en plus de mal à faire face à l’afflux de patients, c’est parce que pendant cinq ans, les macronistes ont attaqué notre système de santé. Parce que la digue est sans cesse abaissée, que les fermetures de lits s’enchaînent au fur et à mesure que le Parlement coupe dans les budgets ou que les soignants démissionnent.

 

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Une situation de tension connue depuis le début du quinquennat

En décembre dernier, Jean Castex osait : « La crise sanitaire a mis en lumière les difficultés de l’hôpital ». Au mieux le Premier ministre est dans le déni, au pire il ment. Cela faut plusieurs années que les hôpitaux français sont en crise. Le début de quinquennat d’Emmanuel Macron a d’ailleurs été particulièrement marqué par les mouvements des hospitaliers.

En 2018, sept soignants de l’hôpital psychiatrique de l’hôpital du Rouvray entament une grève de la faim pour dénoncer leurs conditions de travail, la psychiatrie étant particulièrement impactée par les coupes budgétaires. En 2019, en réaction à l’agression de soignants, les urgentistes entament un mouvement de grève illimité. À l’époque, ils dénoncent un taux d’occupation des lits à 95%, ne permettant aucune souplesse en cas de crise. Quelques mois plus tard, une épidémie de bronchiolite leur donnera raison, puisque des enfants seront envoyés à 200 kilomètres de chez eux, faute de place. Enfin, en janvier 2020, à deux mois du premier confinement, 1000 médecins hospitaliers démissionnent, en signe de protestation. Un mois plus tard, en février 2020, Macron, alors en visite à la Pitié-Salpétrière fut bien reçu : « Vous pouvez compter sur nous. L’inverse reste à prouver. »

L’hôpital frappé par le virus de la rigueur budgétaire

Affirmer qu’ils découvrent la situation de l’hôpital public est un mensonge. En vérité, ils savaient et ont largement contribué à cette dégradation du système hospitalier.

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Les deux premières lois de financement de la sécurité sociale proposées par le Gouvernement Philippe – c’est-à-dire la loi qui attribue les moyens au système de santé – ont été des plans d’économies. Le système a été sous-financé. En 2018, 1,6 milliard d’euros d’économies. Un an plus tard, 1 milliard. Entraînant rigueur budgétaire dans les hôpitaux, orchestrée par les Agences régionales de santé, et en définitive : des soignants et des lits en moins.

Entre 2018 et 2019, 7300 lits d’hospitalisations complètes ont été supprimés. Si on ajoute 2017, puisque rien n’a été fait pour stopper le désastre, on tombe à 12.200 lits supprimés. Ce chiffre était déjà colossal. Mais quelle surprise avons-nous eu en septembre 2021 ? Les premiers chiffres de la DREES (service d’études rattaché au ministère de la Santé) estiment que 5700 lits supplémentaires ont disparu en 2020. Bref, ce gouvernement c’est 17.900 lits d’hospitalisation complète fermés en 4 ans.

 

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Une pandémie, pas de changement de cap

« Ce que révèle cette pandémie, c’est la santé gratuite sans condition de revenus, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. »

En mars 2020, parce qu’il fallait unir, Emmanuel Macron a eu les bons mots. Sans y faire suivre les bons actes. Ici, donnons le bilan de l’investissement « exceptionnel » de l’État pour l’hôpital public.

La rhétorique macroniste sur le sujet est bien huilée. « Ségur » est devenu le mot magique. Lorsque je rappelle à Emmanuel Macron que la crise sanitaire n’a pas empêché de faire des économies, ce dernier réplique : « Mais… vous rigolez ! Mais… pardon… mais le Ségur, mais non. »

Alors, pourquoi les soignants alertent toujours malgré le Ségur ? L’hôpital va-t-il mieux ? La réponse est non.

Tout d’abord, sur les réanimations, les services les plus exposés durant la crise : aucune mesure n’est prise. Dans le discours de conclusion d’Olivier Véran, pas une seule fois le ministre de la Santé ne prononce le mot « réanimation ». Dans une audition devant le Sénat, la Cour des comptes estime même qu’après la première vague, concernant les soins critiques, « aucune décision n’a été prise qui pourrait indiquer que les pouvoirs publics envisageaient une évolution ». Un constat largement partagé par la profession. Jusqu’à Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Tenon à Paris : « Ce qui nous emmerde à l’hôpital, c’est qu’on a commencé cette crise à 5000 lits de réanimation et qu’on est toujours à 5000 lits de réanimation. »

Et l’hôpital public dans son ensemble ? Déjà, était-ce le but du Ségur puisque dans la convocation de ce dernier, le terme « public » n’était pas mentionné. Pourtant c’est bien l’hôpital public qui a supporté 85% de la vague Covid.

Le Ségur était censé provoquer un choc de l’attractivité, en augmentant les salaires de 183 euros, en ouvrant 7500 postes de soignants supplémentaires. Cela fut un échec, et ça n’a pas marché. L’hôpital est plus fragile qu’avant le Ségur.

Ce qui en vérité n’est pas une surprise. Aucune mesure n’a permis le renforcement d’un véritable service public hospitalier, alors que cela aurait dû être l’occasion d’enterrer « l’hôpital entreprise ». Le Ségur n’a par exemple pas mis fin au dogme de suppressions de lits. Les grands projets n’ont pas été arrêtés. Le nouvel hôpital de Nantes entraînera la fermeture de près de 200 lits ; la fusion de Bichat et Beaujon en région parisienne provoquera la fermeture de 300 lits.

Ensuite, ouvrir des postes ne suffit pas à recruter. Surtout lorsque les soignants partent. En octobre 2021, le Conseil scientifique fait état d’un fort nombre de postes vacants, à tel point que cela a entraîné la fermeture de 20% des lits d’hospitalisation. De récentes images partagées par Blast et François Ruffin montrent des couloirs peuplés de lits vides au Centre hospitalier de Laval, ne pouvant ouvrir faute de soignants. Une situation qui nous est régulièrement remontée par les syndicats et les collectifs.

Ainsi, au mieux, le Ségur a été un énorme coup d’épée dans l’eau. Une cible manquée. C’est ce que l’on pourrait croire. Seulement, coup sur coup, le gouvernement a de nouveau attaqué l’hôpital, le budget santé post-Covid (le PLFSS 2021) annonce 900 millions d’euros d’économies. Puis en instaurant un ticket modérateur de 19,61 euros pour les patients qui ressortent des urgences sans être hospitalisés. Covid ou pas, c’est business as usual.

Remettre l’hôpital au centre du village

Il y a quelques jours, par voie de presse, on apprenait qu’Emmanuel Macron refuserait de débattre avant le premier tour de l’élection présidentielle. Lorsque l’on voit son bilan en matière de santé, on ne peut que le comprendre. Mais alors, faut-il que chaque citoyen « politisé » ou non aille directement le voir, « le chercher » pour qu’il s’exprime sur le sujet ?

La question de l’hôpital public est l’affaire de tous. C’est l’un des plus énormes points noirs du quinquennat Macron. Nous avons tout intérêt à politiser ce sujet. À l’été 2021, le collectif « Notre hôpital c’est vous » a tenté de remettre l’hôpital au centre des débats, avec une proposition de référendum d’initiative partagée. En vain, à cause de la censure du Conseil constitutionnel.

Instaurer une démocratie sanitaire, un nombre minimum de soignants par patients[[En moyenne, il y a un soignant pour treize patients, en France !]], revoir l’offre de lits dans tout le pays, revoir le financement des hôpitaux sont des points cruciaux qui ne doivent pas échapper aux débats présidentiels.

Dans une récente étude, on observe que la santé est le deuxième thème de campagne le plus important aux yeux des Français. À nous de répondre à leurs attentes et de tout faire pour sauver l’hôpital public.

 

Damien Maudet, militant politique de l’Union populaire, cofondateur du compte Twitter @allo_véran

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