Mikhaïl Gorbatchev, 1931-2022
Mikhaïl Gorbatchev est décédé. Isabelle Lorand, Jean-Claude Kennedy, Jean-Claude Lefort et Jean-Thomas Laurent refusent de le condamner à l’oubli.
Samedi 3 septembre, à Moscou, ont eu lieu les funérailles de Gorbatchev. Ni Poutine, ni aucun dirigeant étranger n’étaient au rendez-vous – excepté le Premier ministre hongrois. « L’Histoire a été doublement cruelle à son égard, en l’entraînant dans l’échec, puis en le précipitant dans l’oubli », écrivait dans ces colonnes Roger Martelli. Quatre militants communistes, élus locaux et nationaux, syndicalistes, nous livre leurs souvenirs du dernier dirigeant de l’URSS.
À l’annonce du décès de Mikhaïl Gorbatchev, un souvenir émouvant me revient. En 1985, quand il arrive à la présidence de l’Union soviétique, je résidais à Moscou pour préparer le douzième festival mondial de la jeunesse et des étudiants pour la fédération mondiale de la jeunesse démocratique.
Un an de préparation pour huit jours de débats, de rencontres, d’activités culturelles, sportives, de spectacles, de fêtes, et pour commémorer le 40ème anniversaire de la victoire sur le nazisme. Un an aussi de vie quotidienne avec les moscovites.
Je peux témoigner ici de l’espérance qu’à fait naître la « perestroïka », littéralement reconstruction, cette promesse d’un renouveau du communisme marqué du sceau de la liberté et de la confiance dans l’initiative citoyenne.
Voilà venu le jour de l’inauguration. Digne de celle des Jeux olympiques, elle se déroule au stade Lénine devant 100.000 personnes.
Il m’appartient de prononcer le discours inaugural du festival aux côtés de Mikhaïl Gorbatchev. Avant d’entrer dans le stade, j’ai eu l’immense honneur d’échanger avec lui. Je garde en mémoire la joie qu’il avait d’accueillir ce festival dont la participation était exceptionnelle. Plus de cent pays représentés, des centaines d’organisations de tous les continents étaient réunies autour d’une charte anti-impérialiste, la solidarité, l’amitié et la paix.
Ce souvenir, gravé dans ma mémoire, reste un des plus grands moments de mon parcours politique.
Mais je garde aussi en mémoire tous les signes de la résistance au changement dont le désastre du concert de Renaud au parc de la jeunesse n’était qu’un modeste symptôme d’une catastrophe en train de se nouer. Souvenons-nous. Renaud adulé par la jeunesse moscovite, a chanté en plein air pour le festival. Les milliers de jeunes venus écouter l’artiste ont été refoulés pour laisser la place aux « dignitaires ». Grossiers et outrageants pendant le tour de chant jusqu’à se lever et partir pendant la chanson « Le déserteur ». Résistance d’un appareil dont on ne savait jamais s’il était d’État ou de parti. Et en tout cas, d’un appareil qui semait les peaux de banane devant tout espoir d’émancipation.
Prix Nobel de la paix, Gorbatchev aura marqué le combat pour le désarmement nucléaire. Il n’aura pas gagné son autre combat : celui de la reconstruction du communisme. Dommage pour l’Humanité. Dommage pour la planète.
Jean-Claude Kennedy, maire honoraire PCF de Vitry-sur-Seine
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Mes années Gorbatchev
Rue du prolétaire rouge, le récit de deux ans passés en URSS, signé Nina et Jean Kéhayan, tous deux militants communistes, n’autorisait plus le doute. Le système ne marchait pas. Les atteintes à la liberté étaient légion. L’économie était en panne. Les tracasseries bureaucratiques étaient la norme. La dépolitisation était globale.
Sincèrement communiste, j’étais balancé entre l’incapacité a accepté que la Révolution d’octobre aboutisse à un tel désastre et le secret espoir qu’enfin le système se réveille. Mes vacances à l’Est ne faisaient qu’attiser cette certitude. Les gens en avaient ras-le-bol. Particulièrement la jeunesse de RDA, laquelle transpirait la soif de liberté. Ça craquait de partout. Déjà sous Andropov, quelques timides prémisses ouvraient l’espoir. Bien vite refermé par son successeur Tchernenko. Enfin, vient la perestroïka avec Mikhaïl Gorbatchev. Le pari était simple : en donnant du pouvoir au peuple, en faisant confiance à l’initiative citoyenne, en autorisant le petit artisanat et le commerce de proximité, en décentralisant les décisions et en libérant la parole… on déverrouillerait un système à bout de souffle. C’était sans compter sur le pouvoir de nuisance des apparatchiks. Jaloux de leurs prérogatives et de leur avantages, l’appareil du PCUS s’est cabré de bas en haut. Jusqu’à 19 aout 1991, jour du putsch orchestré par les conservateurs, qui a enclenché le processus de dislocation de l’URSS et d’effondrement du socialisme réel, comme on disait.
Gorbatchev a porté un formidable espoir : celui d’un communisme dynamique où il fait bon vivre. Mais il est également le symbole le plus cinglant de l’effroyable incapacité des partis communistes à chérir la liberté, la fraternité et l’égalité. Et à opérer les évolutions inhérentes à tout corps vivant. Et donc à s’autodétruire sous la pression du conservatisme.
Isabelle Lorand, chirurgienne, membre du Conseil national du PCF
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Et puis Gorbatchev est arrivé
En apprenant la mort de Gorbatchev, j’ai « rajeuni » de trente ans. À cette époque j’étais convaincu que le communisme ou le socialisme, en fait je n’ai jamais voulu chercher à différencier les deux, étaient l’avenir de l’humanité. Je voulais croire que quelque chose de positif pouvait sortir de cette belle idée.
Je lisais dans leur intégralité le compte-rendu du comité central français mais aussi le compte-rendu des congrès du PCUS, c’est dire !
Et puis cet homme est arrivé, je n’en n’avais jamais entendu parler. Il s’est positionné, a dit des choses que je n’avais jamais entendues auparavant, et il m’a donné un grand espoir : mais oui, il était possible de « réformer » le système de l’intérieur sans utiliser la force, juste par la grâce des mots, des idées.
Évidemment des camarades étaient méfiants mais dans l’ensemble je peux dire qu’on y croyait. Je n’ai pas assez de connaissance du système en place en URSS, ni de l’intérêt éventuel que certains avaient en URSS et ailleurs de voir cette tentative de changement pour du mieux échouer.
En tout cas j’ai la conviction qu’il était sincère et honnête.
Sa mort ne me peine pas à proprement parler, elle me fait réfléchir aux formes que doivent prendre nos actions personnelles et collectives pour construire un monde juste.
Jean-Thomas Laurent
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Mikhaïl Gorbatchev, l’inaccessible étoile
Je me souviens de l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev aux plus hautes responsabilités de l’URSS. Pour beaucoup ce fut un moment d’immense espoir.
Ce qui avait précédé durant tant de temps donnait du communisme une image aussi repoussante que révoltante.
Il devenait possible de croire en la possibilité de révolutionner de l’intérieur ce système figé et archaïque, après cette si longue période dite de « stagnation » qui s’établit après la révélation des terribles crimes de Staline en 1956.
Gorbatchev tenta cette prouesse, cette « Révolution dans la révolution ». Ses mots firent alors le tour du monde : « perestroïka » et « glasnost ». Il mit fin à la guerre froide et reçu un accueil populaire mondial des plus fabuleux. En France en particulier.
Il n’a pas réussi. Sans doute était-il trop tard. Mais une chose est certaine : ce n’est pas lui qui a mis fin à l’URSS. Elle s’est écroulée toute seule, sous l’implosion de ses propres contradictions.
Il nous laisse avec cette énigme toujours non résolue et cette idée en charpie : c’est quoi, et est-ce vraiment possible, ce vrai communisme ?
Gorbatchev a tenté de démentir, avant l’heure, la thèse de Fukuyama pour qui le capitalisme est la « fin de l’histoire ».
Son bref passage à la tête de l’URSS finissant dans le fracas donnera lieu à bien des remarques acides ou pire encore : à des insultes.
À ces derniers je répondrai volontiers avec ces mots d’Aragon :
« Vous n’aurez rien appris de nos illusions, rien de nos faux pas compris.
Nous ne vous aurons à rien servi vous devrez à votre tour payer le prix
Je vois se plier votre épaule A votre front je vois le pli des habitudes. »
Jean-Claude Lefort, député honoraire du Val-de-Marne