Fatima Benomar : « En France, le déni de patriarcat s’adosse au déni de justice »
Affaires PPDA, Taha Bouhafs… Que reste-t-il de #MeToo ? Fatima Benomar, membre de la coordination nationale de Nous Toutes, est l’invitée de #LaMidinale.
UNE MIDINALE À VOIR…
ET À LIRE…
Sur l’émission Mediapart des femmes victimes de PPDA
« C’est la puissance du collectif et la puissance de l’espace qui a été réalisée. »
« #MeToo a permis qu’il y ait un espace médiatique mais aussi un espace emphatique pour que la parole des femmes soit entendue. »
« On voit une diversité de femmes victimes de PPDA prendre la parole et décrire un même système qui a été efficace pour toutes les silencier. »
« #MeToo a été un mouvement révolutionnaire à plusieurs titres et dans bien des pays (…). Il a fait tomber de nombreux hommes et parfois pas n’importe lesquels. »
« En ce moment, il doit y avoir plein de mecs au bout de leur vie qui redoutent l’appel d’Elise Lucet. »
Sur le tribunal médiatique contre le procès d’assise
« Il s’agit d’un procès médiatique qui met en exergue le fait qu’il n’y a pas de justice. »
« Au plus haut niveau de l’Etat en France, on admet qu’1% seulement des violeurs sont condamnés. »
« La vertu de la justice est dysfonctionnelle. »
« En France, le déni de patriarcat s’adosse au déni de justice. »
« Le patriarcat est un système tellement vieux, antérieur au capitalisme et au racisme, qu’il n’a plus besoin de l’Etat ou de lois sexistes pour fonctionner. Il fonctionne naturellement. »
« Quand je vais porter plainte pour agression sexuelle au commissariat et que le policier me répond que j’aurais dû rentrer plus tôt et accompagnée, il ne fait pas référence à un loi ou à un Etat social mais à un ordre social. »
« Dans l’affaire PPDA comme dans tant d’autres, on en arrive à se réjouir et à considérer comme une victoire quand les femmes ne sont pas condamnées pour dénonciation calomnieuse. »
Sur le consentement
« La prochaine étape de #MeToo c’est d’essayer de travailler sur ce qu’il se fait dans d’autres pays – en Espagne, en Suède, au Canada, en Australie – la question de s’assurer du consentement. »
« Il y a beaucoup de personnes qui disent qu’il n’est pas glamour d’acter le consentement par écrit, par une preuve tangible avant de consommer un rapport sexuel. Il y a plein de choses qui ne sont pas très glamour dans la société : le fait de prendre le temps de mettre une capote n’est pas forcément le truc le plus glamour. C’est juste un changement de convention sociale. Les implicites de la société changent (…). Maintenant, on saura peut-être qu’avant d’avoir un rapport sexuel avec quelqu’un, on s’assure de manière officielle de son consentement. »
Sur la prescription des faits
« La position à laquelle on a été amenées à réfléchir dans le mouvement féministe, c’est l’imprescriptibilité des violences sexuelles sur les mineurs – du fait notamment de l’amnésie traumatique. »
« C’est donc une question qui n’est pas tranchée de manière consensuelle par les féministes mais qui est poussée. »
Sur Taha Bouhafs
« Dans le mouvement féministe, on a toujours un temps d’avance et on a toujours les bails avant tout le monde donc ça faisait longtemps que Taha Bouhafs était une personne qui posait problème par rapport à la violence de son comportement dans les milieux militants. »
Sur l’injonction à porter plainte
« La plupart des collectifs féministes qui croient en la justice transformative, enlèvent complètement cette idée d’injonction à la plainte. D’autant qu’il y a 9 chances sur 10 que tu offres sur un plateau, le blanchiment à ton violeur. Comme 9 fois sur 10, il n’y a pas de condamnation dans les affaires de viol. »
« Deuxièmement, nous ne sommes pas toutes égales face à la justice. Porter plainte est un privilège, du fait d’avoir des papiers, de ne pas être une femme trans, de ne pas être une femme marginalisée dans la société. »
« Il existe aussi le privilège de ne pas porter plainte. Par exemple, lorsque moi militante, je subis des agressions, je sais que cela est dû à un système et j’ai d’autres moyens de me défendre que par le système judiciaire. Donc nous notre rôle, c’est de protéger les femmes qui n’ont pas cette chance là. On leur donne ce dont elles ont besoin : d’écoute, de reconstruction, d’un collectif qui s’organise autour d’elles, d’accompagnement peut être pour aller porter plainte. Et on veut restaurer la force de ces femmes, pour qu’elles même puissent aider d’autres femmes à leur tour. »
« Le rôle des organisations internes au parti est de faire le choix politique que cet homme précisément doit être mis hors d’état de nuire. »
Sur le problème de l’ultra personnalisation des luttes
« C’est un problème de stariser des personnalités politiques, car le jour où elles tombent, on se retrouve d’une certaine manière ‘cocufiée’. Lorsque l’on donne le poids à une personne de la représentation d’une cause, cela a un coût politique lorsque la personne tombe. C’est pour cela qu’on y réfléchit à deux fois avant de mettre de côté les personnalités qui posent problèmes. Cela peut faire partie de la stratégie de l’agresseur, lorsqu’il devient indispensable, on a un sentiment d’impunité, ce qui peut expliquer des passages à l’acte. »
« La narrative dans les partis c’est ‘tu comprends tu vas faire du mal au parti si tu fais tomber untel’. Il y a toujours eu cette narrative d’opposer aux femmes le coût de leur action de dénoncer les agresseurs dans les partis politiques. C’est exactement la même dynamique que dans un système familial : ‘tu vas détruire la cellule familiale, pense à ta mère qui va en souffrir’, beaucoup de victime attendent par exemple la mort de leur mère pour dénoncer le viol de leur père. »
« Il faut sortir de cette histoire de conflit de loyauté. La méthodologie intersectionnelle dit qu’il y a une imbrication des rapports de domination qui s’abattent sur des sujets politiques. Cette logique se projette tout autant sur des hommes coupables. Le genre, la race, la classe d’un homme va créer un rapport différentiel dans la manière dont il est jugé. Non seulement par la justice institutionnelle mais aussi par le jugement de la société. Quand un homme ravisé va commettre des violences, cela va paraître comme plus violent que si cela avait été des hommes blancs. Et inversement quand ils subissent des violences, cela est perçu comme moins violent que si cela avait été sur un homme blanc. »
« On ne pas continuer à taire les violences que l’on subit du fait des scrupules qu’engendrent les structures que je viens de décrire. »
Sur la grande cause féministe promue par Emmanuel Macron
« C’est un excellent communiquant, il arrive à faire le replay de son discours de 2017. Il nous refait les mêmes promesses, comme s’il n’y avait pas eu un quinquennat et le bilan allant avec. C’est du mytho, il n’a aucun résultat sur la question des violences faites aux femmes, comment penser que cela puisse changer. Il a quand même nommé dans les deux ministères concernés, à l’intérieur et à la justice, deux hommes gravement mis en cause sur la question patriarcale. Gérald Darmanin qui est accusé de violences sexuelles et de viol. Et Dupont-Morreti qui a tenu des propos immondes au moment de MeToo, défendant même Weinstein. »
Sur la nomination d’une femme à Matignon
« Dans le mouvement féministe certaines réclament l’égalité aux postes de pouvoirs. Elles considèrent que l’incarnation est suffisante. Moi je ne me reconnais pas dans de ce récit-là, une femme qui est à la tête d’une grosse entreprise qui va par ailleurs exploiter d’autres femmes au Pakistan, n’est pas un modèle pour moi. Je ne crois pas que le fait d’avoir une femme Première Ministre changera quoi que ce soit au destin des 99% d’entre elles qui sont dominées ».