« Dépasser la social-démocratie par le socialisme écologique »

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François Ruffin se veut social et démocrate. Social-démocrate ? On a proposé à six personnalités de gauche de prolonger la réflexion. Arthur Delaporte est député PS-NUPES du Calvados.

La social-démocratie est un terme galvaudé dont nous avons perdu le sens. Historiquement, le projet social-démocrate se manifeste par la défense de l’intérêt des travailleurs en acceptant le jeu électoral. Le socialisme républicain qui s’est développé en France avec Jean Jaurès s’inscrit dans cette perspective où, à l’inverse du syndicalisme révolutionnaire notamment, les institutions démocratiques ne sont pas vues comme des obstacles à la révolution sociale mais bien comme une force motrice qui s’appuie sur la collaboration constructive avec les corps intermédiaires, la société civile organisée, et en particulier sur les syndicats.

 

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À l’heure où les démocraties font face à la montée des mouvements populistes d’extrême droite, antidémocratiques, anticorporatistes et antisociaux, la social-démocratie est le symétrique de ce néolibéralisme autoritaire. Elle n’a donc rien perdu de son actualité.

Nous ne pouvons pas laisser aux libéraux et aux conservateurs la défense de la démocratie. D’abord parce que leurs politiques inégalitaires ne font qu’accroître le ressentiment des citoyens envers nos institutions. Et ensuite parce que leur programme constitue parfois moins un contre-projet qu’une modération du programme de l’extrême droite, ce qui particulièrement frappant si l’on prend le cas de l’immigration. La réforme de l’assurance chômage, dernier épisode en date, marque l’affaiblissement des droits sociaux et le contournement du paritarisme qui est au cœur du fonctionnement de l’assurance chômage depuis 1958, révélateur d’une logique à la fois dirigiste et libérale où le « social » a disparu et le « démocrate » est invisible.

Réunir les classes défavorisées au sein d’un même projet politique

Un second trait caractéristique de la social-démocratie réside dans la volonté de dépasser les particularismes qui traversent les classes défavorisées. Elles sont aujourd’hui éclatées, tant sociologiquement que géographiquement. Comment porter un projet politique englobant à la fois le livreur Uber Eats, la mère de famille monoparentale, les agriculteurs en détresse, les Françaises et les Français sans médecins ? Le néolibéralisme a éparpillé nos dépendances. Notre tâche est celle de la social-démocratie originelle : recréer des solidarités. Former, sans nier les singularités, une force politique unie. Le jeu électoral ne suffira pas : nous devons travailler avec les syndicats et le tissu associatif qui irriguent et structurent la société. Mais le jeu électoral reste essentiel, car c’est lui qui donne corps à une vision, à une ambition politique transcendant les particularismes. En ce sens, l’union de la gauche que nous mettons aujourd’hui en œuvre est profondément social-démocrate : elle a pour objectif la pratique gouvernementale et la victoire d’une coalition de forces politiques et de mouvements citoyens dans le respect de leur pluralité.

Nous sommes à un point de bascule : nous devons être sociaux-démocrates en actes tout en rompant avec la social-démocratie pratiquée par la gauche au pouvoir ces dernières décennies.

Depuis la fin des années 1970, la social-démocratie s’est progressivement fondue dans le social-libéralisme, c’est-à-dire dans une « social-démocratie de marché », comme la caractérise Fabien Escalona, social-démocratie qui a davantage accompagné qu’entravé l’avènement d’un capitalisme financiarisé. Au Parti socialise, en dépit des politiques « de l’offre », persistait jusqu’à peu le lieu commun de l’absence de « Bad Godesberg » français, référence nostalgique à ce qui incarnait en 1956 la conversion de la gauche social-démocrate allemande à l’économie de marché. La direction social-libérale fut cependant une impasse. À celles et ceux (surtout celles) à qui l’on impose la modération salariale, la précarité de l’emploi discontinu, les temps partiels et la sobriété subies, on ne peut demander d’être silencieux ou complaisants face à l’accroissement des inégalités quand aucune structure ne leur permet effectivement de peser pleinement dans la négociation sociale.

Dépasser la social-démocratie par le socialisme écologique

Pour autant, la social-démocratie d’après-guerre qui a indéniablement fait avancer l’intérêt des travailleurs et permis de véritables avancées sociales ne peut constituer un modèle réplicable aujourd’hui. Le réformisme social-démocrate des trente glorieuses n’a pu tenir que par à une croissance économique exceptionnelle. Le prix de l’âge d’or de la social-démocratie fut l’accélération d’un système productif écologiquement insoutenable.

Au double objectif de la social-démocratie (défendre les dominés et démocratiser les institutions), s’ajoute donc un troisième impératif : préserver l’habitabilité de notre planète et le vivant. On ne répondra pas aux inégalités sociales sans prendre en compte les inégalités environnementales et, inversement, la question écologique ne se réglera pas sans s’attaquer aux inégalités sociales. De même – et ceci est parfois négligé – la démocratie doit constituer l’horizon absolu pour traiter la question social-écologique si nous voulons éviter la perspective d’un autoritarisme vert tel qu’il se dessine, notamment, en Chine.

L’urgence climatique commande donc une remise en cause de notre rapport collectif au travail et à la propriété, de nos modes de production et de consommation. Par conséquent, le socialisme écologique que nous devons porter prône de nouvelles ruptures qui ne seront pas toujours consensuelles même si elles doivent être arbitrées démocratiquement et viser plus de justice. Le socialisme écologique est la seule manière de mener la lutte pour le climat, pour la rendre socialement acceptable et donc réalisable.

 

Arthur Delaporte

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