Ce que travailler veut dire

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ARCHIVES. Apparu tardivement et recouvrant des réalités très différentes, le terme de travail s’est vu donner des sens aussi multiples que contradictoires. Sa définition est l’objet de luttes qui montrent justement l’importance de l’enjeu.

L’avenir du travail serait donc en question. On mélange souvent des notions différentes : statut, emploi et travail. Qu’est-ce que je fais quand je travaille ? Cette notion, si centrale dans nos vies et pour notre identité, ne se laisse pas facilement attraper par une définition. Quand on remonte les siècles à la recherche de sa genèse, on découvre qu’elle est en réalité très récente. Les Grecs anciens, nous apprend l’historien Jean-Pierre Vernant, avaient des termes pour désigner l’effort, les tâches, les métiers, le savoir-faire… mais pas pour désigner le travail. Le travail ne constituait tout simplement pas une catégorie de pensée séparée dans les sociétés précapitalistes.

« Il faut se résoudre à prendre une position nominaliste : est travail ce que les institutions appellent travail. »

Marie-Anne Dujarier, sociologue

Aliéné ou libéré ?

Le concept apparaît seulement au XVIIIème siècle, en même temps qu’un autre : consommation. Smith définit le travail comme ce qui permet de créer de la valeur. Ce que les économistes traduisent depuis par « facteur de production ». Synonyme de peine (son origine étymologique tripalium signifie instrument de torture…), il assure la double fonction de fabriquer des richesses et de fonder l’ordre social. Depuis, il s’est revêtu de nouvelles couches de significations radicalement différentes. Dans son Que sais-je ? sur le travail, la sociologue Dominique Méda distingue deux autres moments historiques dans sa détermination conceptuelle. Avec Marx, le travail apparaît potentiellement comme la liberté créatrice qui va permettre à l’humanité de transformer le monde à son image, de progresser vers le bien-être, mais aussi de « réaliser son individualité ». Il faudra toutefois attendre le milieu du XXème siècle pour que cette idée du travail comme vecteur de réalisation de soi entre dans la pratique.

La troisième étape est celle de la société salariale. Alors que pour Marx, l’abolition du salariat était la condition sine qua non pour transformer le travail réel aliéné en travail libéré, la pensée socialiste de la fin du XIXème siècle va abandonner cette condition. Loin de remettre en cause le salariat, la social-démocratie va même faire du lien salarial le lieu où s’ancrent tous les droits : droit du travail, droit à la protection sociale mais aussi droit à la consommation. Depuis, emploi salarié et travail sont quasiment équivalents.

Le travail n’existe pas

Bien que contradictoires, ces différentes définitions du travail continuent de coexister. Aucune d’entre elles n’est pourtant pleinement satisfaisante. Travail et emploi ne vont pas nécessairement de pair : l’employé placardisé va tous les jours « au travail », a un emploi rémunéré, mais il ne « travaille » pas. Le « travailleur bénévole », inversement, n’est pas rémunéré… La vision marxienne du travail comme transformation de la matière devient trop limitée. L’approche purement instrumentale des économistes, consistant à réduire le travail à un moyen de créer de la richesse et d’obtenir un revenu, est contredite par l’expérience des travailleurs, qui évoquent souvent le plaisir et l’épanouissement trouvés dans l’exercice de leur métier. Surtout, en décrivant le travail comme pénibilité, la théorie économique dominante part du principe que l’homme a besoin d’être « incité » pour travailler. « Ils commettent là une erreur anthropologique, estime la sociologue Marie-Anne Dujarier. Car tout travail renvoie au faire, à l’agir, à l’activité. Et l’activité est vitale. Priver quelqu’un d’activité est pathogène. »

Si tout travail est activité, l’inverse n’est pas vrai. Mais alors, quelle activité est « comptée » comme travail ? Cette question ne peut trouver de réponse définitive, pour la raison que le travail n’existe pas substantiellement. « Il n’y a pas d’essence du travail, poursuit Marie-Anne Dujarier. La même action humaine peut être ou ne pas être considérée comme du travail selon la situation : lire, faire l’amour, faire à manger. Il n’existe pas de critère unique qui serait à la fois spécifique et systématique au travail. Il faut se résoudre à prendre une position nominaliste : est travail ce que les institutions appellent travail. Et cette qualification sociale est l’objet de luttes, car elle donne accès au code du travail, au marché du travail, à la médecine du travail, à la protection sociale, à la rémunération… » Ainsi, les femmes ont-elles bataillé dans les années 70 pour que soit reconnu le travail domestique, si ce n’est juridiquement, au moins sémantiquement, tandis que les « travailleuses du sexe » se battent encore autour du slogan « sex work is work ».

 

Laura Raim

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