Borne : ni de gauche, et de droite
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« Nous venons de famille politiques différentes ». C’est en ces termes que la nouvelle Première ministre, Élisabeth Borne, a pris la parole lors de la passation de pouvoir avec Jean Castex, hier sur le perron de Matignon. Le storytelling était écrit à l’avance. C’est la mise en scène du en même temps. Macron a nommé deux ex premiers ministres de droite lors du quinquennat précédent. Il nomme aujourd’hui une première ministre de gauche pour entamer le nouveau quinquennat.
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« Cette ère nouvelle ne sera pas la continuité du quinquennat qui s’achève », avait promis Emmanuel Macron dès le soir de sa réélection. Première promesse de Macron II, non tenue. Élisabeth Borne était ministre d’un gouvernement de droite depuis mai 2017. Trois fois ministre. Ministre des Transports. Ministre de la Transition écologique. Et ministre du Travail. On prend les mêmes et on recommence. Dans la continuité…
La seconde promesse, la promesse de toujours, celle du en même temps – vous savez : en même temps de droite et en même temps de gauche – n’a guère plus était tenue. Pas plus dans le quinquennat qui s’achève que dans celui qui s’annonce. Pourtant, les éléments de langage de la Macronie sont rodés. Ils l’assurent : « Nous avons une Première ministre de gauche ». D’autres nuances : « Elle vient de la gauche ». Quelle soit de gauche ou issue de la gauche, c’est faux. On la dit proche du Parti socialiste. C’est faux. D’ailleurs, c’est elle-même qui l’assure lorsqu’elle était préfète du Poitou-Charentes : « Un préfet n’est pas proche d’un parti, un préfet est un fonctionnaire de la République ».
Sauf que depuis, la préfète a suivi les pas de nombreux hauts fonctionnaires. Beaucoup d’entre eux, énarques ou polytechniciens comme elle, font le choix très stratégique et dès le début de leur carrière publique d’intégrer les cabinets ministériels. Un choix qui permet de booster les carrières. Rien de très politique. Tout de très opportuniste. Pierre Bourdieu avait lui-même décrit ce processus avec le cas Royal. Ségolène Royal. Il expliquait qu’à la sortie de l’ENA, ni de gauche, ni de droite – et d’ailleurs plutôt avec un ethos de droite – elle avait opté pour la gauche par opportunisme. Quand elle sort de l’ENA, c’est la gauche qui a le vent à poupe. Alors après un court passage au tribunal administratif de Paris, ça sera direction les cabinets ministériels, l’Élysée – comme chargée de mission – et suivront les premiers pas politiques : députée, ministre, présidente de région et re-ministre.
Parcours similaire pour Élisabeth Borne qui a été la directrice de cabinet de Ségolène Royal lorsqu’elle était ministre de l’Écologie. Borne n’a rien d’une femme de gauche. Ses seuls faits d’armes sont ceux des postes qu’elle a occupés : la fin du statut des cheminots, c’est elle. L’ouverture du rail à la concurrence, c’est elle. L’inaction climatique, c’est elle. La baisse des allocations chômage, c’est encore elle. On fait mieux pour une femme de gauche. Son chantier : la hausse du départ légal de l’âge à la retraite. Et la réduction de la dette. La feuille de route : un Etat au service des entreprises. La réduction des dépenses. Ses marges de manœuvre : aucune. Si Borne n’a rien d’une femme de gauche, elle n’a rien, non plus, de politique. Elle n’y goutte que trop peu.
En nommant Borne à Matignon, Macron finit de dépolitiser la fonction de premier ministre. Elle ne sera qu’une exécutante. Une collaboratrice. Elle aura à charge – et sans doute à cœur en bonne fonctionnaire qu’elle est – de veiller à la mise en place, sans broncher, des politiques décidées depuis l’Élysée. À quatre semaines des législatives, elle ne sera pas une cheffe politique. Encore moins une cheffe de la majorité. Jupiter is back. Parce qu’en nommant Borne en super-cheffe d’administration, Macron s’assure à nouveau une super-présidence.