Aulnay-sous-Bois : comment l’État a abandonné le lycée Voillaume

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Manque de moyens, profs menacés de mort… face à l’urgence, le rectorat de Seine-Saint-Denis et la région Île-de-France sont aux abonnés absents.

« Alors que l’on demandait plus de moyens face à une situation de rupture dans notre établissement, le rectorat nous a répondu que nous étions déjà surdotés selon les modèles académiques ». Loïc*, professeur au lycée Voillaume d’Aulnay-sous-Bois, n’en peut plus : ses collègues et lui sont pris, depuis plusieurs mois maintenant, dans un interminable cercle vicieux. À la suite des implacables coupes budgétaires décidées par le ministère, les dotations humaines et matérielles pour leur lycée n’ont cessé de diminuer, augmentant logiquement et quasi-mécaniquement la charge de travail individuelle des différents agents de l’établissement. Certains, d’épuisement, contractent des maladies professionnelles, souvent liées à des burn outs. Et leur non-remplacement augmente encore la charge de travail pour les autres… les épuisant à leur tour.

 

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Et puis, il y a eu la goutte d’eau – celle qui est venue mettre en lumière l’ampleur du manque de moyens chronique auquel fait face le lycée. Deux enseignants on été menacés de mort par un élève. Le lendemain, la salle des professeurs a pris conscience de la situation : « On a organisé une réunion dans la foulée, pour échanger quant à la gravité des faits. La parole s’est libérée, jusqu’à ce que certains craquent. J’ai vu des collègues pleurer, la dernière barrière de l’intimité : cela montre bien que l’on avait franchi un cap », témoigne Loïc.

Le rectorat et la région aux abonnés absents

Solène*, elle aussi professeure au lycée Voillaume, raconte les échanges qui ont suivi avec le rectorat. Suite à l’exercice de leur droit de retrait, le rectorat a exigé que les enseignants reprennent le travail, sans apporter aucune solution au danger auquel ils font face. « Le rectorat nous a répondu que nous étions dans l’émotion, alors qu’en réalité – et nous leur avons signifié – nous sommes dans l’analyse ». La colère est difficile à contenir dans la mesure où la situation ne fait que s’aggraver malgré plusieurs signalements. « La semaine précédent cet incident, nous avions rédigé un courrier à la direction académique pour rappeler que nous manquions de moyens. Mais cela passe toujours à leurs yeux comme un caprice d’enfant ».

Preuve de ce manque de moyens : depuis le début de l’année, une conseillère principale d’éducation manque à l’appel. Certes, elle a bien été remplacée… par une CPE en formation, présente en tiers-temps. « La conséquence directe, c’est que les parents se plaignent de ne jamais pouvoir la joindre, avec les sous-entendus qui vont parfois avec, liée à notre fainéantise et notre absentéisme », raconte Solène. À cela s’ajoutent les difficultés matérielles : assurer le bon fonctionnement du lycée est une prérogative de la région – en l’espèce, la région Île-de-France –, qui n’est guère plus compréhensive du vécu quotidien des agents de l’établissement. Ainsi, un attaché d’intendance parti en 2018 n’a toujours pas été remplacé. Un agent d’accueil à la loge et l’ouvrier en chef du lycée manquent également, non-remplacés après leur départ. Alors certes, on s’arrange comme on peut en interne, mais, concrètement, les tableaux ne sont jamais propres, l’herbe dans les espaces extérieurs n’est pas entretenue, les poubelles ne sont pas vidées… « On est arrivé dans un lycée sale en septembre, comme si cela était normal », s’insurgent les deux professeurs.

Et ce sont les élèves qui en subissent les conséquences. D’abord parce que le temps dévolu par les professeurs aux tâches d’intendance grignote le temps d’enseignement du programme scolaire. Mais aussi parce que lorsqu’un professeur est occupé à gérer une coupure d’électricité ou un vidéoprojecteur défectueux, les tensions s’exacerbent au moindre incident avec un élève. Camille, 16 ans, témoigne : « J’ai l’impression que tout le monde est bien plus strict qu’avant. Au moindre retard d’une minute, on ne me laisse pas rentrer. Les profs ne sont pas bien formés. Par exemple, là, on a une nouvelle, elle n’est pas à l’aise et manque d’autorité naturelle. Forcément, elle crie et ensuite ça se passe mal. » Un autre élève fait le parallèle entre le manque de moyens dans le lycée et les résultats académiques : « J’ai un ami au lycée Le Corbusier à Aubervilliers, ils ont de bons résultats au bac et cela leur donne la possibilité d’avoir des moyens supplémentaires. Chez nous, le ménage n’est pas fait, les murs pas repeints : comment voulez-vous que l’on progresse scolairement ? »

La destruction orchestrée des services publics

Selon le sociologue de l’éducation Stéphane Bonnery, derrière la coupe des budgets alloués aux lycées, c’est la politique néolibérale à l’oeuvre qui vise à développer une éducation à la carte : « Officiellement selon les individus, en réalité selon les origines sociales des élèves ». Il y voit ici la logique d’un service public garantissant seulement les quelques savoirs fondamentaux, pour donner en réalité davantage de prérogatives à l’enseignement privé. Une sorte de fin de l’école unique qui ne dit pas son nom et dont le marqueur le plus fort a été la suppression des épreuves nationales du baccalauréat.

Dans le cas du lycée Voillaume à Aulnay-sous-bois, le rectorat n’assume pas tellement cette idée. « Dans les réunions, nous est rabâché qu’ils n’ont pas de moyens supplémentaires à nous donner », assure Loïc. Sauf qu’en 2021, Jean-Michel Blanquer a renoncé à dépenser 75 millions de budget pourtant alloués par Bercy à l’Éducation nationale. « Tout est opaque, cette hiérarchie est dans un rapport technique et très infantilisant avec nous. La seule chose que nous avons obtenue, c’est de faire passer une classe de ST2S de 35 à 30 élèves, soit le nombre prévu initialement. »

Il reste que les professeurs font face à une situation impossible où on leur demande systématiquement de se transformer en super-héros de l’éducation. « Lors des rendez-vous d’inspection, faire simplement son travail parait ubuesque », appuie Solène. Par mail, il est souvent demandé aux enseignants de porter des projets et de se montrer ambitieux pour leurs élèves, toujours à la seule force de leurs épaules. Sur les grilles d’inspection, figure même un item pour évaluer le rayonnement du professeur. À chacun de deviner ce que cela peut bien signifier.

Alors, tant qu’il n’y a pas de vague, c’est comme si tout fonctionnait à merveille : « L’image du lycée s’est apaisée car il n’y a plus de violences ou d’émeutes à l’occasion de blocus. Sauf que cela ne dit rien de la dégradation progressive à l’oeuvre en interne », conclut Loïc. Depuis la crise du covid, les médias observent de près la crise de l’hôpital public. Mais, suivant les mêmes logiques, le service public de l’Éducation nationale est lui aussi proche de la rupture. Les dysfonctionnement globaux deviennent le contexte quotidien du travail dans les lycées. Le pire, c’est que l’Éducation nationale apparaît comme défaillant aux yeux des élèves comme des parents d’élèves. Et c’est bien là la force de la logique néolibérale : tous les dysfonctionnements justifient le recours au privé au lieu de donner davantage de ressources aux services publics.

 

Clément Gros

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