Anatomie d’une interdiction

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Une conférence que devaient donner Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan sur la Palestine à l’université de Lille ce jeudi a été annulée. On fait le point.

Le fond de l’air est vicié. Hier, on interdit à Lille une conférence de la personnalité la plus proéminente de la gauche française et d’une candidate à une élection. D’abord dans une université, ensuite dans la salle où ils avaient essayé de se replier. Le sujet ? La Palestine. Demain, une manifestation parisienne contre tous les racismes a aussi été empêchée. Et à chaque fois, le même argument : la sécurité de l’événement ne peut être assurée.

Deux choix de lecture : ou bien on considère que des fonctionnaires aux ordres, qu’ils soient directeur d’université ou préfets de police, participent dangereusement à un jeu, délétère pour la démocratie, orchestré par un pouvoir à la dérive qui fait mine de ne pas savoir qu’une interdiction est en soi une violence. Ou bien on octroie une vérité à l’argumentaire des censeurs et la conclusion est presqu’encore plus vertigineuse : il est de moins en moins possible d’organiser le débat public en France.

Le mouvement de mise à l’index du soutien au peuple palestinien apparait comme la pointe avancée et particulièrement douloureuse de la disparition d’une certaine conception de la République française comme cadre commun d’expressions politiques plurielles. Bien évidemment, elle touche d’autant plus durement l’auteur et, je le pense, les lecteurs de ces lignes car les causes et les luttes de la gauche que d’aucuns cherchent à criminaliser définissent nos identités. 

Dans une telle situation, l’alternative est la suivante : ou bien on assume le rapport de forces, c’est-à-dire que l’on acte que nous avons raison et qu’ils ont tort, que nos vérités et convictions ne sont pas miscibles avec les leurs, qu’il faut tenir la barricade du front culturel, quitte à se considérer dans une citadelle assiégée. Une stratégie qui vaut ce qu’elle vaut : quand l’on met en regard l’urgence du risque génocidaire à Gaza et le peu de personnes (en tous les cas, pas assez) dans les mobilisations en France les samedis après-midi, on se dit qu’assumer de se faire traiter d’antisémites sans baisser la tête n’est pas forcément la meilleure voie pour conquérir l’hégémonie culturelle.

Ou bien on s’inquiète des forces centripètes à l’oeuvre dans notre société et l’on se met à chercher activement les voies et moyens pour que le mot de République soit synonyme d’entente et de paix sociale. Avec une difficulté que l’époque rend aiguë : la dynamique de l’extrême droite qui travaille en profondeur les coeurs, les corps et les esprits. Quelle place, quelle vérité accepte-t-on de leur laisser avoir ? Ne serait-ce que laisser s’exprimer un condamné pour haine raciale comme Eric Zemmour pose des problèmes éthiques. De même, la confrontation avec ceux qui continuent de nier la situation du peuple palestinien est nécessaire : mais jusqu’où ? 

Le clivage doit rester un moyen et le rassemblement et la clarté les objectifs. Perdre cela de vue, c’est se couper de la possibilité de créer des dynamiques majoritaires. Sur la question palestinienne, comme sur toutes les autres qui nous meuvent et nous émeuvent.

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