Êtes-vous prêt pour une autre réforme des retraites d’ici 5 ans ?

Macron est content

Après tout, ça fait 30 ans que les gouvernements successifs s’empressent à réformer les retraites. Mais jusqu’à quand pourra-t-on encore ignorer la biologie ?

La réforme des retraites a fini par être mise en œuvre malgré l’opposition et les protestations massives d’une grande partie de la population. La question est bien sûr de savoir si nous avons assisté au dernier acte de la bataille des retraites qui aurait alors duré 30 ans, de Balladur en 1993 à Macron en 2023. Certains penseront que la réponse est positive alors que d’autres, comme Hervé Le Bras, sont déjà convaincus qu’une nouvelle réforme sera conduite d’ici cinq ans.

De fait, le Conseil d’orientation des retraites (COR) et le Comité de suivi des retraites (CSR) sont au travail et, dans sa réunion du 21 septembre, le COR a écouté le CSR qui a, entre autres choses, donné ses hypothèses et prévisions pour l’après 2030. En particulier, le CSR écrit que la réforme de 2023 diminue les dépenses de retraites jusqu’en 2040 et les augmente ensuite « en raison d’un fort effet sur la pension moyenne », concluant que c’est « un choix qui peut se défendre, mais [qui] appellera, du coup, à rééquilibrer sur les deux autres leviers : cotisations et, à nouveau, âge de la retraite », et donc à procéder à une nouvelle augmentation de cet âge d’ici quelques années. 

Le CSR semble donc faire, en creux, l’hypothèse d’une augmentation continue de l’espérance de vie dans les années qui viennent, puisqu’on imagine mal, sans nouvelle explosion sociale, augmenter encore l’âge légal de départ alors que l’espérance de vie serait stable, voire diminuerait. Son rapport in extenso semble plus prudent, puisqu’il s’interroge sur « ce qui pourrait se passer en cas de nouvelle déviation par rapport au scénario d’évolution de cette espérance de vie actuellement retenu comme central ». Ce scénario de l’Insee prévoit une augmentation continue de l’espérance de vie jusqu’en 2070 pour atteindre 90 ans chez les femmes et 87,5 ans chez les hommes (Figure 1), en baisse par rapport au précédent scénario de respectivement 93 et 90,1 ans en 2070.

Figure 1 : espérance de vie à la naissance en France de 1993 à 2022 et projections de l’Insee de 2021 à 2070. Les données de 2022 débordent sur la projection, puisque celle-ci commence en 2021. Les années de baisse sont indiquées (canicule de 2003 par exemple). Les projections d’espérance de vie centrale (traits continus : 90 ans pour les femmes et 87,5 ans pour les hommes en 2070) et basse (traits discontinus : 86,5 ans pour les femmes et 84,0 ans pour les hommes en 2070) de l’Insee de 2021 à 2070 sont indiquées.

La question de l’espérance de vie dans les années et décennies qui viennent est donc cruciale. Or, il s’avère que les experts des retraites, voire les démographes, ont des difficultés à appréhender cette question. Le CSR met ainsi sur le même pied les hypothèses de hausse, baisse ou stabilité de l’espérance de vie, écrivant dans son rapport que « c’est si l’espérance de vie devait repartir fortement à la hausse que [la] réactivation [des mesures d’âge] apparaîtrait pertinente. À l’inverse, si elle se maintenait durablement sur la trajectoire basse observée depuis quelques années, l’ampleur et le rythme de la mobilisation de ce levier pourraient être réinterrogés ». Par ailleurs, les décideurs politiques, de quelque bord que ce soit, ont souvent une mauvaise appréciation de la situation. Le Président Macron déclarait ainsi le 26 octobre 2022 que « comme on vit plus longtemps […] la démographie fait qu’on doit travailler plus longtemps », semblant ignorer que l’espérance de vie stagne depuis des années en France. Si certaines déclarations sur l’augmentation continuelle de l’espérance de vie n’avaient pour but que de justifier la réforme des retraites de 2023, il n’en reste pas moins que les décideurs et les parlementaires qui s’inquiètent de la situation financière des régimes de retraite, peuvent estimer — de bonne foi — qu’une espérance de vie en hausse continue rend inévitables de nouvelles réformes dans les années qui viennent.

La biologie de l’évolution explique la longévité des espèces… et la nôtre

Comme tous les mammifères, les humains ont une longévité maximale qui n’est atteinte que par très peu d’individus. Cette limite est d’environ 120 ans. Ce n’est pas une limite fixe – comme l’eau qui bout à 100°C sous une atmosphère, pas un de plus ou de moins –, mais la fin observée des derniers individus et peut-être verrons-nous un jour quelqu’un dépasser un peu Jeanne Calment et ses 122 ans et 164 jours. Les baleines boréales, le plus grand mammifère connu, vivent plus longtemps que les humains (Figure 2), mais la plupart des mammifères vivent moins longtemps.

Chez les mammifères, la longévité maximale d’une espèce est liée à de nombreux caractères et n’évolue pas au hasard. Les humains se situent dans la tendance des autres mammifères pour qui le poids moyen de chaque espèce est lié à sa longévité maximale (Figure 2). Ainsi, on trouve à une extrémité les mammifères de grande taille qui vivent longtemps, par exemple, les humains et les baleines boréales, et à l’autre tous les petits mammifères à la vie courte.

Figure 2 : relation entre le poids moyen d’une espèce de mammifère et sa longévité maximale, c’est-à-dire la longévité des derniers survivants. La longévité d’une espèce tend à augmenter avec sa taille. Pour certaines espèces, comme les baleines boréales, peu d’individus sont disponibles et leur longévité pourrait donc augmenter en cas de découverte d’un individu à la longévité plus élevée. 

Une espèce de petite taille se reproduit souvent vite, a beaucoup de petits par portée, et ceux-ci sont rapidement indépendants. Pour une telle espèce prolifique, une forte longévité est inutile à sa survie en tant qu’espèce et n’a donc souvent pas été sélectionnée au cours de l’évolution : tuer les souris avec des tapettes ne met pas l’espèce en danger, car elles ont sûrement déjà assuré leur descendance. Une espèce de grande taille qui, comme les humains ou les éléphants, a peu de petits mettant longtemps à se développer doit vivre longtemps pour ne pas disparaître en tant qu’espèce : pour récupérer leurs longues défenses en ivoire, les braconniers tuent les éléphants adultes, ce qui laisse les petits, les futurs reproducteurs, à l’abandon et compromet donc la survie de l’espèce. 

La longévité maximale d’une espèce est donc fixée au cours de son évolution, comme sa taille. Les femmes doivent vivre au moins 65 ans en moyenne pour amener à l’indépendance, soit 15 ans, le dernier enfant né avant la ménopause, et c’est ce qu’on observe par exemple au Québec au 18ème siècle en l’absence de soins médicaux mais aussi d’épidémies et de famine dans un environnement sain. Dans les conditions les plus optimales, quelques personnes atteignent aujourd’hui les 110 ou 115 ans, mais une longévité maximale de 200, 300 ou 1000 ans serait complètement déconnectée de l’histoire évolutive des humains et n’a donc aucune chance d’être observée : toutes les recherches du monde sur le vieillissement ne pourront pas nous faire vivre des centaines d’années. Les journaux et les sites internet rapportent presque quotidiennement des propos de chercheurs (ou charlatans) promettant la maîtrise du vieillissement sous peu et une longévité explosant le record de Jeanne Calment. Mais tout ceci est généralement lié à des intérêts financiers ou à une recherche de notoriété et revient à dire que la longévité serait indépendante des autres caractères, comme la taille et la fécondité, ce qui nous ramène à des conceptions d’avant Darwin – ce qui est piquant pour des gens se réclamant de la science la plus avancée.

Donc, les humains dépassant les 120 ans continueront à faire la Une des journaux, du fait de leur rareté. De plus, la longévité moyenne des humains ne sera jamais proche de 120 ans, parce que, comme pour tous les caractères biologiques, il y a une variation entre les individus : tout le monde ne meurt pas au même âge. 

L’espérance de vie atteint un plateau et c’est une bonne nouvelle

Jadis, de nombreux enfants mouraient en bas âge et de nombreux jeunes adultes de maladies infectieuses comme la tuberculose. Cette mortalité précoce a pratiquement disparu en France et, depuis un siècle, l’espérance de vie a beaucoup augmenté. Comme on meurt de moins en moins à des âges jeunes, la mortalité se concentre aux âges les plus avancés. À ces âges, les progrès de longévité sont de plus en plus difficiles pour la simple raison que, du fait de la longévité maximale des humains, les gains de longévité ne peuvent qu’être modestes. Sauver un enfant d’une maladie infantile lui donne le potentiel de vivre des dizaines d’années, sauver un humain de 85 ans ne lui donne que quelques années de vie potentielle, voire quelques mois. Dans ces conditions, nous nous rapprochons d’un quasi-plateau de l’espérance de vie et c’est paradoxalement une bonne nouvelle, car cela signifie que nos sociétés ont fait des progrès immenses, permettant à beaucoup d’entre nous de se rapprocher de la longévité maximale de notre espèce. Il en est de même pour la taille adulte (Figure 3).

Depuis plusieurs décennies la taille n’augmente plus dans beaucoup de pays, simplement parce que les humains se rapprochent de la limite de la taille humaine. De même qu’aucun remède ne nous fera vivre 200 ans, le meilleur régime nutritif au monde ne nous permettra jamais de mesurer trois mètres parce que, comme une longévité de 200 ans, une taille de trois mètres n’a pas été sélectionnée au cours de l’évolution des humains. Par contre, cette figure 3 montre que les humains ont vu leur taille moyenne augmenter fortement au 20ème siècle grâce aux progrès de la nutrition, mais aussi grâce à la lutte contre les maladies infectieuses : si l’organisme doit lutter contre les infections, cela se ressent sur sa taille. Comme pour la longévité, si la taille moyenne peut être de 1,80 mètre, cela n’empêche pas certains de dépasser les deux mètres, comme on le voit chez les basketteurs. En fait, d’autres caractères biologiques tendent vers une limite, comme par exemple les records sportifs qui ne progressent plus guère.

Figure 3 : taille adulte des humains de tous les pays du monde en fonction de l’année de naissance. Femmes en haut, hommes en bas. Du fait de la reproduction de la figure directement depuis l’article, les légendes sont en anglais. Abscisses, année de naissance ; ordonnées, taille moyenne à l’âge adulte pour les différents pays.

Quelle prévision d’espérance de vie pour le futur ?

L’espérance de vie, dont certains pensaient qu’elle allait augmenter de façon linéaire au cours des années, ne peut que se rapprocher d’un plateau, simplement parce que la longévité humaine a une limite autour de 120 ans.

Depuis une dizaine d’années, on assiste en France à des oscillations de l’espérance de vie autour d’un quasi-plateau (Figure 1) : les bonnes années elle augmente très légèrement, les mauvaises, du fait des grippes ou canicules par exemple, elle diminue comme indiqué sur la figure 1, et c’est bien ce qui est attendu si on a affaire à un quasi-plateau de l’espérance de vie. C’est une situation différente de celle des États-Unis dont l’espérance de vie stagne au plus bas niveau des pays développés depuis 15 ans et décroît même, en particulier du fait des morts de désespoir et de la crise des opioïdes. Pour ce pays, il est loisible de dire qu’il est encore loin d’atteindre un plateau d’espérance de vie limité par la longévité maximale de l’espèce humaine. Pour la France, qui ne souffre pas de ces problèmes, la projection centrale de l’Insee indiquée par un trait continu sur la figure 1 (90 ans pour les femmes et 87,5 ans pour les hommes en 2070) semble bien peu probable, mais les services officiels continuent à privilégier ce scénario, au lieu des 86,5 et 84 ans de la projection basse (en tiretés sur la figure 1), bien plus crédible. Quant à la projection haute, qui fait l’hypothèse de 93,5 ans et 91 ans en 2070 – la précédente ayant même projeté des espérances de vie de 96 et 93,1 ans en 2070 –, elle est en décalage total avec la réalité observée depuis des années et imposerait d’avoir immédiatement une augmentation brutale de l’espérance de vie, ce qui est simplement irréaliste. 

En résumé, l’espérance de vie en France se rapproche d’un plateau pour les femmes, augmentant de 11 jours par an sur la période 2011-2022 : on est loin des 3 mois par an de la période 1962-2010. Pour les hommes, on peut espérer que leur mortalité plus importante que celle des femmes aux âges jeunes se réduira et l’espérance de vie devrait donc encore augmenter légèrement dans les années qui viennent, pour l’instant de 28 jours par an sur la période 2011-2022. Avec une longévité maximale de 120 ans et dans des conditions de vie bien meilleures qu’il y a un siècle, il est logique d’observer une espérance de vie se rapprochant de ces 120 ans et un nombre de plus en plus grand de personnes décédant au-delà de 95 ans, mais il est illusoire de penser que, demain, tout le monde vivra au moins 95 ans. La mortalité précoce peut être réduite, mais pas supprimée, du fait en particulier de la mortalité accidentelle et des pathologies finalement mortelles. Si personne ne peut dire précisément quelle sera l’espérance de vie, par exemple en 2070, une nouvelle augmentation de trois mois par an similaire à celle observée dans la période 1960-2010, soit 12,5 ans en 50 ans, serait une brusque rupture des tendances actuelles et amènerait la moitié de la population à mourir presque subitement entre 97 et, pour l’essentiel, 100 ans. Une telle diminution de la variabilité de la longévité serait tout simplement incompatible avec les données de la biologie : même les animaux génétiquement identiques élevés au laboratoire dans des conditions elles-mêmes identiques présentent une grande variabilité de leur longévité. On peine à voir comment des humains, différents d’un point de vue génétique et ayant vécu dans des conditions différentes, pourraient pour la plupart mourir dans un aussi faible intervalle de temps. Dans ces conditions, on peut accepter au moins provisoirement la projection d’espérance de vie basse de l’Insee indiquée sur la figure 1.

Implication pour l’âge de la retraite

Au premier abord, on peine à comprendre pourquoi l’Insee et les autres organismes publics comme le COR, par ricochet, continuent à privilégier l’hypothèse d’une augmentation continue de l’espérance de vie dans les décennies qui viennent. Cela ne s’explique certainement pas par une volonté maline de préserver cet argument pour aider à l’adoption d’une future réforme des retraites repoussant encore l’âge de départ, mais bien plutôt par la difficulté qu’ont ces organismes, mais aussi nombre de démographes, à faire des projections tenant compte des données et concepts de la biologie, ce qui les amène à des résultats étranges. Ainsi, des démographes de renom ont fait l’hypothèse que 50% des Japonais nés en 2007 pourraient vivre 107 ans, et donc plus encore pour les femmes (110 ans ?), ce qui implique qu’ils devraient tous mourir en quelques mois, à moins de faire l’hypothèse que la longévité maximale atteigne 150 ans et plus, ce qui revient à écarter les concepts de la biologie évolutive et nous ramène, encore et encore, à la science du début du 19ème siècle, avant Darwin. On ne peut qu’espérer que l’Insee va finir par intégrer ces concepts de base à ses réflexions et pourra, à l’avenir, proposer des projections de l’espérance de vie qui en tiennent compte, ce qui permettra au COR, au CSR et aux décideurs politiques de travailler avec des hypothèses plus assurées.

La conséquence de l’existence d’un plateau de l’espérance de vie, proche des valeurs observées aujourd’hui chez les femmes, est que si on pense que l’âge légal de départ à la retraite doit augmenter en fonction de l’augmentation de l’espérance de vie – ce qui est l’idée à la base de l’article 5 de la loi Fillon de 2003 –, alors la logique voudrait que l’on dise que, puisque l’espérance de vie n’augmente plus guère, l’âge légal de départ ne devrait plus augmenter non plus. Le faire augmenter malgré tout lors d’une prochaine réforme des retraites signifierait que cet argument n’a été brandi que pour mieux faire adopter les réformes passées, en les présentant comme la conséquence de la fausse évidence indiquée par le Président Macron le 26 octobre 2022 : « Comme on vit plus longtemps […] la démographie fait qu’on doit travailler plus longtemps ».

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1 commentaire

  1. Jenny le 30 septembre 2023 à 06:03

    Avez vous observé que votre image en debut d’article n’est pas une photo mais est réalisée par IA ?

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