Enquête sur les violences de l’Occupation et les silences de la mémoire
Gilles Alfonsi publie un nouvel ouvrage, Les violences de l’Occupation dans le sud-ouest (1), aux éditions La Geste, résultat de deux ans d’enquête dans des archives souvent inexplorées. Entretien en forme d’alerte pour le présent.
Regards. Quelle est l’origine de cet ouvrage ?
Gilles Alfonsi. Au cours de recherches précédentes sur différents massacres commis par l’Armée allemande dans la vallée de la Garonne (2), j’avais constaté que les violences étaient rarement contextualisées et faiblement analysées. On racontait les exactions en focalisant l’attention tantôt sur la folie de quelques soldats, tantôt sur une prétendue essence germanique. C’est-à-dire qu’on psychologisait la violence des soldats et on naturalisait la violence allemande. Surtout, on ignorait les violences présentes dans la société française, qui préexistaient aux persécutions nazies et préparaient la Collaboration. La manière de raconter l’Occupation occultait ou minorait souvent les responsabilités françaises, qu’elles soient institutionnelles ou citoyennes. Il m’a semblé nécessaire d’investir ces sujets en traitant explicitement de la variété des violences avant et pendant la guerre, en abordant de front les responsabilités en cause mais aussi en montrant les contradictions à l’œuvre, et les sursauts qui ont eu lieu.
Pourquoi avoir consacré plusieurs chapitres aux violences extrêmes ?
Du fait de sa monstruosité et de la volonté d’en faire après-guerre le symbole des crimes de guerre commis en France, le massacre d’Oradour-sur-Glane a en quelque sorte occupé tout l’espace dans la mémoire nationale. L’ampleur et la variété des violences de la période sont passées au second plan. Or, des centaines d’exactions ont été commises non seulement par la division Das Reich mais aussi par la Wehrmacht, par la Gestapo et par les organisations collaborationnistes composées de Français. Je documente le maintien de plus de la moitié des troupes de la Das Reich dans trente-cinq villes du sud-ouest des semaines après le débarquement, démentant la représentation populaire selon laquelle tous ses soldats auraient rejoint la Normandie juste après le 6 juin. J’évoque les massacres collectifs de civils, certains relevant de l’idéologie et de la politique génocidaire du Reich, comme le massacre des Tsiganes à Saint-Sixte (Lot-et-Garonne) du 23 juin 1944 (3), d’autre relevant de l’objectif d’écraser la Résistance en terrorisant la population. J’aborde les massacres de femmes et d’enfants, qui ont été jusqu’à présent traités chacun de manière isolée et le plus souvent sans souligner le rapport direct entre ces actes de cruauté, ces passages à l’acte sadique, et l’idéologie et le projet nazis. Je consacre un chapitre au cas de la gestapo d’Agen, montrant la place des Français en son sein, avec le rôle central de la torture à l’articulation entre les activités de renseignements et les activités répressives, avec des documents inédits exhumés des archives des tribunaux militaires.
Pourquoi consacrez-vous des chapitres à l’Église catholique et à certains journaux de la presse régionale ?
Mon approche de la violence inclut les violences symboliques et les discours qui ont largement contribué à promouvoir la Collaboration, encouragé la délation et couvert les exactions allemandes. J’essaie par exemple de comprendre pourquoi l’Église catholique a failli. Avant la guerre, elle avait déjà commencé à perdre son influence dans la société. L’avènement de Pétain est apparu pour les conservateurs comme un espoir pour maintenir un certain pouvoir, et les éléments réactionnaires catholiques y entrevirent la possibilité de revenir à la situation d’avant 1905. Je souligne la peur du changement et le rôle de la nostalgie d’une société idéalisée et d’un ordre social pourtant profondément inégalitaire, en train de disparaître. Au total, tous les évêques ont d’abord soutenu Pétain et la Révolution nationale, et l’enfoncement dans la collaboration est resté jusqu’à la fin hégémonique. Certes, il y a eu quelques « évêques résistants » dans la région, mais la recherche de la vérité conduit à ne pas taire le caractère tardif et limité de leurs courageuses réactions aux déportations antisémites. Je fais le même travail concernant le collaborationnisme de la presse régionale, à travers deux exemples majeurs pour lesquels la disponibilité des archives des numéros publiés pendant la guerre rend incontestable une lourde implication non seulement aux côtés de Pétain, en faveur de la Collaboration, mais aussi au service de l’Europe allemande. Précisons que cela n’enlève rien, par exemple, au rôle de La Dépêche du Midi, depuis la guerre, pour valoriser la Résistance et maintenir la mémoire des exactions allemandes.
Vient de paraître :
Les violences de l’Occupation dans le Sud-Ouest, Enquête sur les silences de la mémoire,
Gilles Alfonsi, La Geste,
256 p., juillet 2022.
Ne surestimez-vous pas le rôle des idéologies, la guerre étant toujours synonyme de nombreuses violences ?
Je pense au contraire que les idéologies nationalistes, autoritaires et racistes ont eu un rôle décisif trop souvent minoré ou méconnu. Tout un faisceau de représentations, de peurs et de fantasmes circulaient dans la société dans les années 1930. Les adversaires de l’émancipation n’avaient pas digéré les avancées sociales du Front populaire. J’aborde pour les différents acteurs de l’époque le poids de l’hostilité à la laïcité, la haine de la démocratie, la détestation des contre-pouvoirs, l’antisémitisme, le culte de l’autorité et de l’homme providentiel, la peur du désordre, des « Rouges » et du matérialisme, le rôle de la xénophobie et de la peur des étrangers. J’évoque les glissements de langage, par exemple la désignation des résistants comme des terroristes, la dénonciation des « judéo-bolchéviques » qui n’emprunte pas seulement au vocabulaire nazi mais qui associe l’antisémitisme présent dans la société française et la peur de la Révolution. Comment comprendre la relative facilité de l’Occupation allemande sans saisir ces dimensions cruelles pour le récit national ? L’Occupant s’inscrit dans ce paysage-là, s’appuyant sur la collaboration institutionnelle, stimulant la délation citoyenne, dont je souligne la dimension politique là où on la minimise parfois dans une imagerie à la Clochemerle. Je montre comment l’Occupant agit à partir de ses propres fantasmes sur la pureté de la race et sur la crainte – déjà ! – d’un « remplacement ». Or, ces peurs ne sont guère éloignées de stigmates couramment admis dans la société. J’illustre cela avec des documents inédits, et je montre comment l’État français bricole la rhétorique odieuse opposant les « victimes innocentes » et les « terroristes », coupables en fait de résister, tout en soutenant en définitive les représailles allemandes. C’est dans un tel contexte idéologique et militaire que des individus passent à l’acte, comme par exemple à Marsoulas, en Haute-Garonne, avec les assassinats monstrueux, qui paraissent dépasser l’entendement, de très jeunes enfants : les brutalités et les monstrueuses exactions sont rendues possible par l’idéologie nazie qui déshumanise les victimes et animalise les bourreaux. Je note qu’après-guerre, sur fond de réconciliation franco-allemande et de lutte contre l’influence des idées et du Parti communistes, cette rhétorique a été en partie maintenue, et je décris comment.
Vous évoquez aussi certains silences du côté de la Résistance…
L’histoire de la Résistance n’est pas un récit sacré qu’il s’agirait simplement d’honorer sans esprit critique. A titre d’exemple, le rôle de la Résistance non armée a été sous-estimé et sous valorisé. Le rôle des états-majors masculins des maquis a été reconnu, tandis que la place des femmes, à quelques exceptions notables près, a été négligée. Et il en est de même concernant le rôle des villageois pour alimenter les réseaux clandestins, pour diffuser la propagande résistante, pour mettre sous pression les collaborateurs ou pour planquer les pourchassés. Par ailleurs, je traite des questions éthiques, par exemple concernant les exigences de l’engagement dans la clandestinité et la Résistance armée, mais aussi à propos des travers de la « justice du maquis ».
N’est-il pas risqué d’assimiler la situation d’aujourd’hui avec la période de l’Occupation ?
Plus qu’un « devoir de mémoire » qui s’attacherait à vitrifier les vestiges du passé, il me semble qu’il faut mener un travail de mémoire. Mon livre montre, je l’espère, que toutes les archives n’ont pas été explorées et traitées, et que des analyses nouvelles pourront encore être posées. Pour le reste, on ne peut qu’être frappé dans notre quotidien, aujourd’hui, par la présence et par l’instrumentalisation de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, concomitante avec la manipulation des peurs et le détournement des aspirations des gens. L’usage du mot « écoterrorisme » pour qualifier des dizaines de milliers de personnes engagées dans des actions pour sauver la planète, l’empêchement du travail parlementaire, le mépris de l’opposition et des contre-pouvoirs, le dénigrement du pluralisme, la manipulation de l’aspiration à la sécurité pour exclure et discriminer, la place faite aux xénophobes et aux héritiers de Pétain sur certaines chaines d’information en continu, les discriminations contre les banlieues, l’indifférence au sort du monde rural, la diffusion de l’islamophobie, la stigmatisation des communautés ayant des modes de vie atypiques – je pense notamment aux Tsiganes – sont autant de signaux d’alerte. Au total, comparer n’est pas nécessairement assimiler mais apprécier les similitudes, les ressemblances et les différences. Au lecteur, à la lectrice de se forger son propre avis et peut-être de s’engager chacun, chacune, à sa façon.
Pourquoi avoir choisi un grand format ?
Avec mon éditeur La Geste, nous avons choisi ce format original pour rendre accessible aux lecteurs de nombreux documents, qui sont ainsi lisibles en pleine page, mais aussi de nombreuses photos destinées à donner un visage aux protagonistes de l’époque. Mon message à ce propos est le suivant : si ce sont des hommes et des femmes qui ont préservé notre humanité, il convient de se rappeler que ce sont aussi des hommes et des femmes qui ont commis l’imprescriptible. Comme dans les années 1930, toute une partie des élites économiques et politiques a choisi de céder aux idées d’extrême droite, ce qui ouvre la possibilité de coalitions inédites depuis l’Occupation entre la droite, l’extrême droite et des rejetons dégénérés issus de la gauche. Les ingrédients d’une telle évolution me semblent être peu à peu réunis, et il me semble que bien des réflexions sur la brutalisation des rapports sociaux au moment l’Occupation peuvent contribuer à éclairer le présent.
(1) Gilles Alfonsi, Les violences de l’Occupation dans le Sud-Ouest, Enquête sur les silences de la mémoire, La Geste, 256 p., juillet 2022.
(2) Gilles Alfonsi, Sortis de l’ombre, Enquête sur des massacres ignorés de la division « Das Reich », Arcane 17, 283 p., décembre 2022.
(3) Gilles Alfonsi, « Histoire d’un massacre, 23 juin 1944. L’exécution collective d’un collectif manouche par la division “Das Reich”. Saint-Sixte dans le Lot-et-Garonne », in Revue d’histoire de la Shoah, mars 2023.
Il a fallu attendre Giscard d’Estaing , 1974, presqu’une génération, pour que se traduise au plan Gvnmtal, le virage amorcée, en1973, par Pompidou commis de la banque Rothschild.
L’échec de la CED a marqué, juste après Dien Bien Phu, le rôle qu’a pu jouer, pendant l’Occupation, dans sa version qaulliste, le nationalisme de la droite populaire, quand sa version banquière ( Le Hideux) trônait à Vichy . Nous retrouvons, un clivage similaire avec le député LR, Aurélien Pradié. L’historien américain ( W. S. ) spécialiste de la période de l’Occupation souligne volontiers que » le parcours de la Division Das Reich vers la Normandie, fut jalonnée de massacres ». En outre, cette recherche va contribuer à établir que les néonazis qui paradent à Paris n’ont pas que Tulle ou Oradour à célébrer.
La « guerre » # est une « tuerie » ,un crime pour l’humanité !Raison pour ne pas l’as faire !Mais, l’histoire se répétant « hélas » avec les « mêmes erreurs » !On est condamné par ce système « auto-destructeur » à terme et, on le voit bien !La « terre » ne supporterait plus pareils outrages après un « troisième Apocalypse » …