Bardella est-il fake ?
Jordan Bardella se prépare. Et il serait fou de le sous-estimer, de le réduire à un simple rôle de créature médiatique biberonné aux éléments de langage. Sa candidature pourrait bien nous faire passer du rire aux larmes.
Certes on peut légitimement rire quand il juge que « Chateaubriand est le plus grand auteur français ». Sérieux ? Qui peut même croire que Jordan Bardella, jeune homme du 21ème siècle, a lu Chateaubriand ? Et qu’il a une telle culture littéraire qu’il peut toute l’embrasser et l’évaluer ?
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On peut se gausser de son vocabulaire suranné, de ses formules toutes faites. On peut le juger ridicule et précieux quand il se décrit comme « courtois et élégant », qu’il est fake quand il porte de façon aléatoire des lunettes supposées lui conférer davantage de sérieux, qu’il se moque de nous quand il vante la « valeur travail » sans en avoir aucune idée personnelle… Oui, Jordan Bardella endosse un rôle : il est très jeune et veut jouer au vieux singe. Il sait bien que son inexpérience le dessert et que beaucoup de Français le voient avec scepticisme à l’Élysée. Lui, détenteur de l’arme nucléaire !? Folie.
Beaucoup ont alors vu dans l’inéligibilité de Marine Le Pen un sursis offert. Jordan Bardella est une créature médiatique et un tiktokeur. Il n’a aucune crédibilité. Si ce n’est elle, alors la voie est libre pour tous les autres.
Mais si on se donne la peine de l’écouter dans les longues interviews que les sondages et la sortie de son livre lui offrent, alors… Jordan Bardella est intelligent et a construit, avec son entourage, une cohérence solidement d’extrême droite. Il promet d’être « le pays le plus répressif d’Europe » et annonce la remise en cause du droit du sol. Il affirme vouloir passer outre le conseil constitutionnel et soumettre à référendum une révision de la constitution. Il envisage avec lucidité les troubles à l’ordre public que tout cela occasionnerait. Il est prêt.
Bardella se prépare à devenir président avec la bénédiction d’une partie de la droite, des patrons, avec la protection de Bolloré et l’effacement progressif de Marine Le Pen. Il se rêve en chef, en homme providentiel d’une France qu’il estime en mal d’autorité.
Il vitupère les éoliennes pour leur caractère intermittent et se place au côté des paysans supposés pro-pesticides. Il prétend parler au nom de tous ceux qui ne peuvent que voter et retourner travailler dès le lundi. Il parle au nom de leur rancœur contre les assistés. Il veut cesser de subventionner les « sciences molles » (sic) et valoriser dès le collège les filières manuelles : comme la terre, pour Jordan Bardella, le travail manuel ne ment pas. Il affirme que l’on croule sous « l’enclume des taxes et des normes » et sert ainsi un discours calibré pour séduire les entrepreneurs, les investisseurs, les décideurs, sans écarter les travailleurs.
Il joue sur tous les tableaux : sa proximité avec François-Xavier Bellamy des LR et son maniement des réseaux sociaux. Il travaille concrètement à l’absorption des Républicains et à la séduction d’une jeunesse en quête de normalité et de stabilité.
Jordan Bardella se prépare à devenir président avec la bénédiction d’une partie de la droite, des patrons, avec la protection de Bolloré et l’effacement progressif de Marine Le Pen. D’ores et déjà, il envisage de se présenter dans le Sud pour siéger à l’Assemblée nationale en lieu et place de la présidente de groupe inéligible. Il se rêve en chef, en homme providentiel d’une France qu’il estime en mal d’autorité.
D’un coup tout s’organise et prend sens : Chateaubriand, la courtoisie et l’élégance, les lunettes en écaille et les costumes aux larges épaules. Jordan Bardella n’est pas un technicien, mais un homme politique cohérent et déterminé. Dans les sondages, il est déjà devant Marine Le Pen. Le switch entre les deux têtes du RN n’est pas une bonne nouvelle et assurément pas un gage de victoire pour ses opposants.