La droite qui préfère le pire : le basculement Retailleau

La lettre du 8 octobre 📨
par Pablo Pillaud-Vivien
Alors que le président des LR appelle à voter RN plutôt que PS lors d’une partielle à Montauban, la droite bascule un peu plus dans le rejet total du camp progressiste. Une réalité politique très inquiétante.
C’est un événement local qui pourrait n’avoir qu’une dimension locale. Une législative partielle à Montauban, dans le Tarn-et-Garonne. Une circonscription perdue dans la tempête politique du pays. Et pourtant, ce qui s’y joue dépasse de très loin les limites de ce bout de Sud-Ouest : c’est un moment de vérité pour la droite française. Car au second tour, alors que s’affrontent une socialiste et un candidat RN, Bruno Retailleau, patron des Républicains, a lancé un mot d’ordre qui restera comme un marqueur : “Pas une voix à la gauche.” Autrement dit : entre le candidat RN et la candidate de gauche, il faut voter RN. Le vernis “républicain” d’antan craque ; la mue s’acheve.
Depuis des mois, le discours de la droite traditionnelle s’est affûté contre LFI, devenue le bouc émissaire commode d’un système médiatique et politique qui ne veut surtout pas nommer ce qu’il rejette vraiment : la gauche en tant que telle. Ce que Retailleau vient d’énoncer ne souffre plus d’ambiguïté : il ne s’agit plus seulement de “tenir tête aux excès de Mélenchon”, mais de refuser toute alliance, toute proximité, toute voix à l’ensemble du camp progressiste. L’épouvantail “insoumis” n’est qu’un prétexte : c’est toute la gauche qui est renvoyée dans le camp de l’ennemi. Et ce basculement n’est pas qu’un mot d’ordre électoral : c’est une recomposition idéologique. La preuve ? Ce matin, Sébastien Lecornu a annoncé qu’il allait recevoir “toute la gauche républicaine”, sous-entendu tout le monde sauf LFI. Une manière d’entretenir la petite musique d’une “gauche non républicaine”, bonne à exclure du jeu démocratique. Ainsi, on trace des frontières imaginaires pour justifier des alliances impossibles, et on réduit le champ politique à ce qu’il reste de “raisonnable”, c’est-à-dire à ce qui ne remet rien en cause. L’exclusion symbolique de LFI sert de prétexte au rejet global de la gauche et, plus largement, à la préparation d’un nouvel ordre politique où toute alliance à gauche serait jugée suspecte.
Pourtant, tout le monde n’adhère pas. À Montauban, le candidat LR battu au premier tour a refusé d’obéir à la consigne de son chef et a laissé les électeurs maîtres de leur vote. Un petit acte de résistance, sans doute voué à l’échec, mais révélateur des tiraillements internes : une partie de la droite ne veut pas de la confusion des droites. Car derrière Retailleau et ceux qui rêvent d’un bloc conservateur allant des “sociaux-chrétiens” aux zemmouriens, il reste un courant pour qui le RN demeure infréquentable. Pour eux, l’union des droites serait l’effacement de la droite. Ils se souviennent du “UMPS” brandi jadis par Jean-Marie Le Pen pour dénoncer un “système” prétendument unifié. Ironie de l’histoire : c’est aujourd’hui la droite classique qui risque de devenir la caution de ce système-là, celui du tout-RN.
Et comme toujours dans ces moments de bascule, les mots comptent. Lors d’une réunion avec les cadres LR hier, Bruno Retailleau a répété qu’il n’était “pas question d’une alliance avec le Rassemblement national”. Une manière de se rassurer ou de sauver les apparences. Mais le même jour, sur TF1, la stratégie qu’il a dessinée était pour le moins équivoque : il évoquait “une solution nationale” pour éviter la dissolution… autrement dit, une majorité alternative, un “autre socle commun”. Les mots sont choisis, prudents, mais le sens est clair. Et quand il précise les trois thèmes autour desquels cette “solution nationale” pourrait se bâtir (immigration, sécurité, lutte contre l’assistanat), difficile de ne pas y voir les piliers rhétoriques de l’extrême droite. La ligne de fracture avec le RN devient alors presque invisible.
Pendant ce temps, Marion Maréchal, sur tous les plateaux, distille la ligne : la droite et l’extrême droite doivent se retrouver, car “elles pensent la même chose sur l’essentiel”. Le travail idéologique est déjà bien avancé. La “droite identitaire” n’est plus un gros mot, c’est un projet politique. Le RN a changé de visage, la droite classique de boussole : la rencontre est désormais possible, presque naturelle.
Mais attention : au RN, on ne rêve pas d’un partage du pouvoir avec la droite, on rêve du pouvoir tout court. On l’a vu lors de l’épisode Lecornu, ce gouvernement éphémère dont la formation a aussitôt suscité la menace d’une censure venue de Marine Le Pen et Jordan Bardella. Mieux encore : le RN a refusé d’aller rencontrer le Premier ministre démissionnaire qui refait un tour de table dans ses « ultimes négociations ». Le message est clair : le RN ne veut pas “davantage de droite” dans le système. Il veut être le nouveau système. Retailleau peut bien tendre la main, il ne récoltera qu’un bras arraché.
Ce qui se joue à Montauban, ce n’est pas un simple duel électoral. C’est un renversement moral et politique : une partie de la droite préfère le pire à la gauche. Ce basculement ne dit pas seulement la faiblesse de la gauche, mais la dérive d’un camp qui, jadis, faisait encore de la République un horizon commun. Le vieux “front républicain” est mort, tué non par lassitude populaire mais par calcul politicien. Retailleau l’a enterré sans trembler. Et avec lui, c’est une digue démocratique qui cède. “Pas une voix à la gauche” : cette phrase pourrait n’être qu’un slogan. Elle est en réalité le symptôme d’un pays où la droite ne sait plus ce qu’elle est, où la peur de la gauche a remplacé toute idée du bien commun, et où la route vers le pouvoir passe désormais par les ombres.
Pablo Pillaud-Vivien
🔴 RECULADE DU JOUR
Borne découvre l’eau chaude

L’ancienne première ministre aujourd’hui ministre démissionnaire de l’Education nationale se dit désormais « favorable à une suspension de la réforme des retraites jusqu’à la prochaine présidentielle ». Dans une interview au Parisien, l’ancienne Première ministre, celle-là même qui avait porté la réforme à coups de 49.3, semble aujourd’hui découvrir que le pays n’en voulait pas. Ce “revirement” n’est pas un épisode de plus dans la série sans fin de la tambouille politicienne. C’est le simple produit d’un refus profond, massif, persistant : la société française (ses syndicats, ses salariés, ses retraités, ses jeunes) n’a jamais accepté cette réforme injuste. Elle a tenu bon, dans la rue comme dans les esprits. Deux ans plus tard, la réforme reste illégitime, et son abrogation demeure la seule issue politique sensée. L’exécutif macroniste, lui, continue de faire semblant de ne rien voir. Il tient, donc il vacille. Car c’est toute sa logique qui se fracasse sur le réel : on ne gouverne pas durablement contre un pays. Même aveuglement du côté de la dissolution : Emmanuel Macron et ses soutiens expliquent qu’un retour aux urnes plongerait la France dans le chaos. Autrement dit, que laisser les Français s’exprimer serait dangereux. Alors on invente des alliances de circonstance, on force les institutions, on bricole des majorités de papier… Tout pour éviter le peuple. Ridicule, et révélateur. Le macronisme aura tout essayé, sauf la démocratie.
P.P.-V.
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Sexe faible : l’Amérique en guerre contre ses femmes. Sur Arte, un documentaire poignant et d’une violence presqu’insoutenable qui rappelle qu’aux Etats-Unis, l’offensive réactionnaire contre les femmes ne se cantonne pas à la lutte contre l’IVG.
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