Glucksmann : la longue route vers la social-démocratie

Place Publique et son presque candidat à la prochaine présidentielle, Raphaël Glucksmann, viennent de sortir leur programme. Beaucoup plus qu’un tweet : 84 pages, 10 chapitres, 42 chantiers. Un document qui s’affranchit du programme du Nouveau Front populaire.
Découvrant le document de Place Publique, Manuel Bompard a fustigé sur X que ne figurent seulement « neuf des trente mesures d’urgence du programme défendu par la gauche en juin 2024 ». C’est pourtant là son intérêt. Jean-Luc Mélenchon le raconte souvent : lors des discussions pour écrire le programme de la Nupes ou du NFP, seule La France insoumise avait une proposition à mettre sur la table. L’exercice a consisté à élaguer ses propositions. Il peut donc paraître normal qu’une formation qui ne se reconnaît pas dans la logique insoumise s’autorise à proposer une alternative. En réalité, la gauche se meurt de l’absence d’idées et de débats, non d’un trop plein. Jean-Luc Mélenchon, qui ne manque pas de panache, devrait se réjouir de combattre des adversaires et non de pâles fantômes.
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Raphaël Glucksmann ne s’en cache pas : il veut reconstruire une social-démocratie européenne. « Je serai prêt à y laisser ma peau. Les démocrates de confort doivent devenir des démocrates de combat », affirme-t-il depuis des mois. Il semble vouloir s’en donner les moyens et commence par réfléchir. Bonne intuition. Le document Notre vision pour la France a tout d’une esquisse de projet présidentiel, en présumant que cet « acte I » ne soit qu’un début car s’il contient des idées intéressantes, il manque au moins deux sujets : l’argent et la politique. Une bricole…
Relevons d’abord quelques idées intéressantes. Sur l’école par exemple, enfin prise à sa mesure : Place Publique propose de former à la liberté de penser dans le monde de l’IA, des réseaux sociaux et de s’interroger sur la prépondérance de l’image sur l’écrit. On se réjouit aussi de voir la question du travail revenir en première place. Raphaël Glucksmann promet un « nouveau contrat social » au cœur duquel il veut replacer les travailleurs. On n’en dira pas davantage : les idées sont générales et vagues. Le travail est ici essentiellement un espace de réconciliation nationale, pas un champ de lutte. Bien qu’il énonce vouloir redonner sens au travail, les outils de démocratie dans l’entreprise sont à peine esquissés. L’économie sociale et solidaire est également en bonne place dans le projet Glucksmann.
Les puissances de l’argent qui définissent les politiques environnementales, industrielles, culturelles, de l’information sont-elles prêtes aux belles idées de Place Publique ? C’est là une des difficultés majeures de la social-démocratie.
Passons aux idées structurantes mais très discutables. Place Publique lie intimement l’écologie et la puissance. Idée vraiment très problématique. Moins par ce qui est dit de l’écologie que de la puissance. Le document s’ouvre sur la question de la puissance à reconstruire : « Nous ne croyons ni à la fatalité du déclin français ou européen, ni à l’inéluctabilité de la chute des démocraties libérales […] Nous assumons donc la nécessité absolue de la puissance comme la condition nécessaire de tout le reste ». Il en fait l’horizon de l’action publique et la pense dans le cadre européen. La discussion sur la puissance sera assurément des plus intéressantes. Raphaël Glucksmann l’inscrit d’emblée dans le champ de la guerre. Le premier chapitre « Défendre la France et l’Europe » commence ainsi : « Les services des nombreux pays européens tirent la sonnette d’alarme : une guerre sur le sol de l’Union européenne est probable d’ici 2029 ». Le député européen veut nous y préparer. Qui veut la paix doit-il s’inscrire dans cet horizon ? Discussion nécessaire.
Il promet de revenir ultérieurement sur le chiffrage de son projet. Il y a là une faille intellectuelle de premier plan. Comment penser la transformation en ramenant ces questions de mobilisations des richesses au rang de question secondaire voire technique. Hier, l’échec du conclave sur les retraites a rappelé que le patronat n’est prêt à aucune concession, aussi modeste soit-elle. Les puissances de l’argent qui définissent les politiques environnementales, industrielles, culturelles, de l’information sont-elles prêtes aux belles idées de Place Publique ? C’est là une des difficultés majeures de la social-démocratie.
Autre absence du programme, qui est en vérité totalement lié à l’utilisation de l’argent : celui de la politique. Pour changer, il faut un rapport de force politique, une société mobilisée. Raphaël Glucksmann n’a pas de pensée sur le sujet. Il a déjà fait savoir son refus de participer à une primaire, en particulier parce qu’il récuse La France insoumise. Mais il ne nous dit rien des moyens pour reconstruire une gauche majoritaire qui mobilise la société sans LFI. Merci pour ces idées. Courage pour résoudre ces impossibilités.