TRIBUNE. Oublier Liz Truss ?

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Agression en règle sur les droits démocratiques des salariés, sur les droits humains des réfugiés, et promesse de fossilisation toujours plus rapide de l’écosystème planétaire… Liz Truss n’est plus, mais son successeur de Premier ministre britannique Rishi Sunak vaut-il mieux ?

L’accession de Rishi Sunak au poste de Premier ministre du Royaume-Uni a été « saluée » par « les marchés » : rebond de la livre sterling face au dollar, repli du rendement des obligations d’État et détente des taux d’intérêt de la dette, optimisme bien compris des analystes financiers. Le tour funeste des dernières semaines serait intégralement à porter au compte de l’effroyable tandem Liz Truss-Kwasi Kwarteng et on en déduirait volontiers que leurs 44 jours au pouvoir n’auraient alors été qu’une parenthèse lamentable avant le fragile mais vaillant retour de la raison et de la discipline au service de la stabilité.

Si les choix immédiats présentent certaines nuances entre Truss et Sunak, la poussière soulevée par la panique de divers milieux capitalistes, et le vaste commentariat si soucieux d’en faire partager les états d’âme, risqueraient toutefois de masquer leur communauté de vues en matière de carnage social, pour le bien du pays. On croit utile d’en indiquer quelques aspects.

Banques, hedge funds, lobby pétrolier, évitement fiscal… et repression

Pour commencer, rappelons que comme Kwarteng, ministre des Finances de Truss, Sunak est lui aussi issu du secteur de la banque et des hedge funds. Sunak créa d’ailleurs son propre hedge fund, Theleme Partners, enregistré aux îles Cayman, paradis offshore par excellence. Incidemment, les 500 millions de dollars de Theleme Partner dans le laboratoire Moderna incitèrent plusieurs journaux à se demander, en novembre 2020, si Sunak était susceptible de tirer un profit personnel de cette position. Ce dernier refusa toutefois d’apporter quelque précision que ce fut sur le sujet.

Au pouvoir, comme Liz Truss, Sunak s’est montré plein de solicitude pour le lobby pétrolier. Il est vrai que l’un et l’autre ont d’excellentes raisons d’en être véritablement épris : Truss a passé quatre ans chez BP qui, au cours de l’été 2022, a soutenu sa campagne de candidate à la succession de Johnson avec une donation de 100.000 livres. Sunak, quant à lui, entretien un lien notable avec l’entreprise Shell : son épouse, Akshata Murty, dispose d’une part estimée à 690 millions de livres dans l’entreprise Infosys, propriété du milliardaire indien Narayana Murty, son père. Or, ce dernier se trouve avoir passé un accord lucratif avec le géant Shell. En 2020, cette part rapporta la somme de 11,5 millions de livres à Mme Murty (qui su par ailleurs faire bon usage de son statut de non-résidente pour un évitement fiscal estimé en mars 2022 à hauteur de 20 millions.)

Aussi comprend-on un peu mieux les conditions dans lesquelles, en mai dernier, à bonne distance de toutes les problématiques et urgences environnementales de la période, Sunak fit le choix de proposer de généreuses « incitations » fiscales afin de promouvoir l’investissement dans l’extraction de pétrole et de gaz. Les grandes entreprises du secteur, soumises à une taxe temporaire de 25 pour cent sur leurs super-profits exceptionnels, eurent ainsi droit à un rabais sous forme de super-déduction : un abattement de 80% sur les dépenses d’investissements, pour un coût annuel de 1,9 milliard de livres.

Compte tenu de ces précédents, et en dépit des premières déclarations de rigueur sur la nécessaire la lutte contre le changement climatique, l’annonce de la non-participation de Sunak à la COP 27 de novembre prochain en Égypte ne peut qu’inquiéter.

Sur le terrain social, en guise de réponse aux revendications contre le décrochage des salaires face à une inflation galopante, une paupérisation toujours plus grande sur fond de profits massifs, Sunak – comme Truss – entend faire adopter de nouvelles mesures anti-grèves dans les services publics jugés essentiels, ce dans un pays, faut-il encore le rappeler, pratiquant le régime de restrictions anti-syndicales les pires en Europe.

Sunak a aussi re-nommé au poste de ministre de l’Intérieur une figure de proue de la guerre aux immigrés et aux réfugiés, Suella Braverman, qui venait de démissioner du gouvernement de Truss. L’extrémisme de Braverman, qui dit rêver de voir des avions chargés de réfugiés expulsés, décoller vers le Rwanda, scandalise les défenseurs de droits humains et exaspère nombre de milieux patronaux dont les secteurs dépendent directement de la présence de main d’oeuvre étrangère.

On pourrait continuer ainsi.

Il parait donc avisé de se dispenser du récit en cours tendant à présenter Rishi Sunak en garant du sérieux géstionnaire après le naufrage d’une Liz Truss dont il serait l’antithèse. Les vertus prêtées à Sunak ne sont que celles requises par le seul magistère « des marchés ». Faut-il être surpris de voir s’en contenter une grande partie des commentaires concernant les récents rebondissements survenus entre Downing Street et Westminster ? Probablement pas, certes.

La mutilation du réel qu’exige un tel confinement au monde mental du capital s’avère cependant plus sauvage encore qu’à l’accoutumée : le consensus pour l’agression en règle sur les droits démocratiques des salariés, sur les droits humains des réfugiés, et pour la promesse de fossilisation toujours plus rapide de l’écosystème planétaire, peut rester inaperçu dans un lointain second plan indistinct. Comme peuvent rester largement et durablement hors du champ de vision les 14,5 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté au Royaume-Uni ; ou encore, les 1,3 million de personnes dont on prévoit le basculement dans la pauvreté absolue en 2023, parmi lesquelles 500.000 enfants.

Début août 2022, Sunak, dont la fortune s’élève à 730 millions de livres, se targait ouvertement d’avoir reaffecté aux villes de classes moyennes du sud des fonds destinés aux quartiers pauvres des villes du nord du pays. Dans une polarité sociale maintenant parfaite, chacun de ces enfants pourra incarner le prix du sérieux, de la compétence et de la stabilité peut-être enfin de retour, non plus au service de l’oligarchie régnante, mais maintenant directement aux mains d’un de ses représentants en personne. La revendication populaire d’élections législatives anticipées se fait entendre avec force. Pour un quatrième premier ministre en six mois ? Comptons sur l’argument de la « stabilité » (pour qui, au fait ?) pour l’emporter sur la revendication démocratique la plus élémentaire.

Thierry Labica

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