LETTRE DU 5 FEVRIER

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Fou qui attise la guerre des gauches

Les dés sont jetés. Les députés du NFP vont se diviser sur le vote de la censure du gouvernement Bayrou. Peut-on dès lors parler de schisme ? La gauche peut-elle se payer ce luxe ?

par Roger Martelli

Le Parti socialiste ne votera pas la censure. Comme pour la France insoumise, son attitude à l’égard de la censure est déterminée par des considérations mêlant des enjeux stratégiques et tactiques. Pour Jean-Luc Mélenchon et ses camarades, il n’y a pas d’autre solution que de durcir l’opposition frontale au pouvoir en place, d’aviver la crise politique et de provoquer une élection présidentielle anticipée. Les insoumis sont convaincus que Mélenchon passera cette fois le cap du premier tour et bénéficiera au second du sursaut provoqué par le refus d’un RN au pouvoir.

Les socialistes redoutent au contraire une précipitation qui favoriserait selon eux une dynamique d’extrême-droite, dans un système politique solidement droitisé. Ils redoutent qu’une confrontation possible de second tour entre le leader insoumis et un.e candidat.e du RN ne débouche sur une victoire inéluctable de la machine lepéniste. À cela, Lionel Jospin vient d’ajouter une dimension moins tacticienne : dans un monde instable et un Occident en voie de trumpisation, la France ne peut se passer de gouvernement et l’État ne peut résister sans budget lui assurant de fonctionner.

On peut être d’accord avec l’une ou l’autre de ces positions. On peut choisir la censure sans être un risque-tout irresponsable. On peut au contraire préférer la non-censure, sans être un « traître » ou un « supplétif » de l’Élysée et de Matignon. Dans l’état actuel des forces à l’Assemblée (une Chambre éclatée, mais une droite largement majoritaire), on sait qui décide véritablement du succès ou de l’insuccès d’une motion de censure : le Rassemblement national. Seul son appoint en voix peut rendre possible l’adoption d’une motion de censure et seul son non-vote peut éviter la démission de l’exécutif.

Le problème, à ce jour, est tout à la fois que le RN est en embuscade et que la gauche est à nouveau en pleine guerre entre deux gauches présumées irréconciliables. Cela ne se passe pas dans un contexte de classique affrontement de la droite et de la gauche. Le RN ne se contentera pas de droitiser un peu plus ce qui l’est déjà : il nous ferait basculer dans un autre cadre, dans une rupture que Trump a d’ores et déjà engagée chez lui et que Javier Milei a théorisé.

Peut-être la gauche a-t-elle tort de faire du choix en faveur de la censure ou de la non-censure, un nouveau mur séparant irrémédiablement la « bonne » et la « mauvaise » gauche, la radicalité vertueuse mais solitaire et la compromission réaliste mais corruptrice. Peut-être, comme nous le suggérions ici et ici, aurait-on pu envisager de conditionner la non-censure à un seul engagement solennel, fait par l’Élysée – qui est le premier artisan du blocage -, de procéder dans les six mois à de nouvelles élections.

Sans doute est-il trop tard pour parvenir à un objectif auquel Emmanuel Macron n’a aucunement l’intention de se résoudre. Il n’y a donc pas d’autre choix que de se déterminer sur la question de la censure débattue ce mercredi. Dans l’imbroglio que provoque notre crise politique, le choix le plus cohérent et le plus conforme aux valeurs de la gauche est celui de la censure. C’est le seul outil qu’une Constitution dépassée offre pour annuler un budget inacceptable que nulle contorsion verbale ne peut dépouiller de son contenu ouvertement réactionnaire et explosif.

Mais face à la menace de l’extrême-droite française, il serait irresponsable d’attiser la guerre des gauches. Aux partisans de la censure de montrer que leur vote est un préalable pour ouvrir une nouvelle voie autour d’autres visées, d’autres normes, d’autres méthodes pour stabiliser le budget de la France. Aux partisans de gauche de la non-censure de faire la démonstration que leur vote ne vaut en aucun cas blanc-seing et ne détermine pas les votes à venir.

Contre les vents mauvais, l’impératif à gauche devrait rester celui du rassemblement, sans lequel la voie est ouverte vers le pire. La gauche est diverse, jusqu’au possible désaccord. Mais elle a montré qu’elle n’est dynamique que si elle s’accorde sur l’essentiel et la profondeur de cet accord ne se mesure pas à l’aune du nombre de propositions communes.

L’accord possible doit se faire sur une méthode : la rigueur d’une gestion appuyée sur la mobilisation populaire continue. Cette gestion publique s’appuierait sur un récit que l’on peut opposer à ceux des technocraties et des extrêmes-droites. Elle se conforterait par un mode de fonctionnement échappant soit à la cacophonie, soit à l’hégémonie. Si nous n’y parvenons pas, quel que soit le choix face à la censure, nous ne connaîtrons à gauche que des lendemains qui pleurent.

Roger Martelli

REAFFIRMATION DU JOUR

Coquerel engage sa légitimité

Dans Le Monde, Eric Coquerel, président LFI-NFP de la commission des finances de l’Assemblée nationale, met dans la balance son expertise et sa crédibilité pour affirmer que la France aurait un budget, y compris en cas de censure. Mieux : le budget palliatif issu de la loi spéciale du 1er janvier serait même meilleur si il était accompagné d’autres lois spéciales pour éviter l’augmentation des impôts sur le revenu pour 18 millions de Français et pour continuer de pouvoir investir et subventionner. A bons entendeurs, salut.

ON VOUS RECOMMANDE

Pour éclairer les débats à gauche, en France et aux États-Unis, la matinale de France Culture recevait ce matin deux historiens, Jean-Numa Ducange, qui vient de publier un Que sais-je sur les marxismes et Ludivine Gilli, spécialiste des Etats-unis. Rien n’est simple mais rien ne l’a jamais été… et au moins c’est dit. A écouter ici !

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