LA LETTRE DU 2 DÉCEMBRE
Censure ou pas censure, la crise politique demeure
Michel Barnier et son gouvernement ne tiennent qu’à un fil. La question ne se résume pas à savoir quand ce fil cédera, mais comment on sort de ce bourbier.
Faisons un pari : cette fois encore, le gouvernement Barnier va tenir ; la censure ne sera pas votée aujourd’hui. Deux raisons à cela :
- La première est qu’une motion d’irrecevabilité sera présentée par le groupe socialiste en ouverture de séance pour protester contre l’élaboration du projet de budget de la sécurité sociale : aucun des amendements venant du NFP ni en séance ni en commission mixte paritaire n’a été retenu par le gouvernement et « le socle commun ». Cette motion a de grandes chances d’être votée. Dès lors, le texte sera rejeté et il repartira pour discussion entre les deux assemblées. Premier ouf ! pour le premier ministre.
- La seconde raison est une option : si la motion d’irrecevabilité venait à ne pas être votée, rien n’oblige Michel Barnier à dégainer un 49.3. Pourquoi le ferait-il puisque Marine Le Pen et les élus du RN font savoir qu’ils voteraient la censure dans ce cas ? Donc, Barnier fera des discours mielleux, annoncera qu’il veut encore donner du temps au temps et de la place au dialogue. Le texte repart faire un tour. Second ouf !
Tout ceci ne change rien: avant le 21 décembre, les budgets de l’État et de la Sécurité sociale doivent être adoptés. Soit par 49.3, soit par ordonnance constatant les délais dépassés. Une motion de censure suivra et elle sera cette fois adoptée par le NFP et le RN. La fable qu’un gouvernement issu du plus petit groupe avec, comme alliés, les battus du scrutin de juillet et qui, ensemble, ne réunissent pas la majorité des députés, va donc se terminer.
Cela parait loin… mais l’Assemblée ne siège que depuis début octobre. Ces deux mois n’auront pas servi à rien : ils auront montré à quel point le socle commun est fragile et divisé. Il n’y a pas plus grand contempteur de Barnier qu’un député macroniste, tout à sa mission de sauver le bilan d’Emmanuel Macron. Ces deux mois auront aussi montré que le NFP est capable d’obtenir des majorités sur certains amendements, parfois par convictions, parfois par débandade des élus du « socle commun ». Ils auront surtout révélé que tout n’est pas possible en même temps : sauver les riches, rétablir un peu les comptes publics, préserver le pouvoir d’achat des Français et le service public. Il va falloir choisir.
C’est bien cela qui coince chez Barnier et chez Le Pen. Barnier s’est plus ou moins engagé à continuer la politique de l’offre favorable aux riches dans l’espoir que leur fortune ruisselle. Il doit donc taxer le plus grand nombre. Marine Le Pen se fait la chantre des intérêts du peuple mais elle travaille sa respectabilité auprès des milieux économiques et financiers.
Ce qui fait la différence entre elle et lui, c’est qu’elle peut encore noyer le poisson et surtout qu’elle n’a aucune raison d’endosser les résultats calamiteux sur le plan économiques du Mozart de la finance et de son orchestre. Tôt ou tard, elle va décrocher le scotch de sa chaussure, cesser d’apparaître comme celle par qui le pouvoir se maintient et elle votera la censure. C’est inéluctable.
Donc ? La crise politique ne cesse de s’aggraver avec un éclatement toujours plus grand de l’hémicycle. Ce n’est pas trois blocs mais – hormis le RN – une atomisation croissante des blocs. Pourquoi ? Parce qu’en dehors des logiques de rivalités entre candidats putatifs, il n’y a pas eu de débat démocratique à l’échelle de la société depuis 2017. Macron s’était fait élire avec un programme à mille miles de ce qu’il a fait. Il se fait réélire en 2022 en pariant sur l’affrontement avec Marine Le Pen et en endossant l’habit du chef de guerre. Election présidentielle sans débat avec le sortant-candidat : il fallait le faire ! 2024 : il dissout l’Assemble par surprise et donne trois semaines pour voter. Bref, la France est dans la mouise d’abord parce qu’il n’y a plus de cap politique démocratiquement décidé.
C’est le cœur du problème. Il faudra donc revoter, présidentielle et législatives. Mais pas dans l’urgence. Il faut le temps de la confrontation politique. La gauche doit proposer une methode institutionnelle qui inscrit ce retour aux urnes dans des délais rapprochés (on ne peut pas continuer ainsi) mais dans des délais raisonnables qui permettent que les grands choix soient présentés, débattus, votés.
Catherine Tricot
LICENCIEMENT DU JOUR
Un patron viré pour de trop bons résultats ? C’est le cas de Carlos Tavares, le PDG de Stellantis.
Celui qui considérait la concurrence dans le secteur automobile comme darwinienne et dont l’obsession était une marge à deux chiffres, quitte à pressuriser ses équipes, à décaler le paiement des sous-traitants et à réduire les coûts partout, a été débarqué par le conseil d’administration du quatrième groupe automobile mondial. Celui-ci « a entendu les messages remontés de l’interne et a fait son travail », estime un administrateur cité par Le Monde. Les capitalistes au chevet des travailleurs et des PME sous-traitantes? Il ne faut pas exagérer mais cela dit quelque chose de la fébrilité du moment que l’on traverse collectivement. Et, en l’espèce, douter ne nuit pas – même si gageons qu’il ne partira pas comme un va-nu-pied, c’est-à-dire sans parachute doré.
P.P.-V.
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Le podcast « Le Nazisme », sur France Inter. Thomas Legrand fait discuter les historiens Johann Chapoutot et Christian Ingrao autour de la modernité du fascisme allemand. On parle des conditions d’imprégnation d’une société, pas de l’exceptionnalité hitlérienne. On parle d’aujourd’hui, pas de l’Histoire.
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Licenciement du jour : « Celui qui considérait la concurrence dans le secteur automobile comme darwinienne et dont l’obsession était une marge à deux chiffres, quitte à pressuriser ses équipes… »
Pressuriser : maintenir à une pression d’air normale
Pressurer : Tirer de quelqu’un tout ce qu’on peut en tirer, exploiter