Parler avec les gens, même les racistes et électeurs du RN…

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Ne serait-ce que pour neutraliser une partie des gens qui pourraient être dangereux un jour, il faut leur parler, pas les excommunier à vie.

Depuis quelques jours, un débat anime la gauche sur l’intérêt ou non d’essayer de gagner l’électorat du Rassemblement national, en particulier cet électorat populaire vivant dans ce qu’on appelle souvent la France profonde ou périphérique. Jean-Luc Mélenchon déclare dans une manifestation (ici par exemple) qu’« il faut mobiliser la jeunesse et les quartiers. Tout le reste, laissez tomber, on perd notre temps. » Cela rappelle fortement le rapport de Terra Nova en 2011 qui faisait une croix sur la possibilité de conserver un électorat populaire pour le Parti socialiste, la tendance de droite de la social-démocratie. La France insoumise et son premier dirigeant, ce qu’on pourrait appeler la gauche de la social-démocratie puisque aussi issus du Parti socialiste, semblent partager finalement les conclusions de Terra Nova. LFI et, plus largement, la gauche, ont-elles raison d’abandonner toute une partie de la population au RN ? François Ruffin dans Regards et d’autres à gauche ne partagent pas ce point de vue depuis longtemps.


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L’erreur qui semble fondamentale, que ce soit dans le rapport de Terra Nova ou aujourd’hui à LFI, est de considérer que les individus, une fois qu’ils ont adopté une opinion ou un vote, ne peuvent pas changer : « On perd notre temps ». Toutefois, des électeurs du RN sont peut-être racistes, mais il ont aussi pu manifester contre la loi sur les retraites avec à leurs côtés des salariés arabes ou noirs. La question est de savoir comment, malgré des sentiments racistes ou xénophobes plus ou moins forts, il est possible que ces électeurs du RN décident en majorité de se mobiliser pour une autre politique en ne votant plus pour le RN. En somme, il faut accepter qu’un individu peut être à la fois avancé sur les questions sociales et rétrograde sur les questions sociétales. À l’inverse, dans les quartiers chics, on est souvent rétrograde sur les questions sociales et avancé sur les questions sociétales. Depuis des décennies, la France a beaucoup avancé sur les questions sociétales, et c’est tant mieux, mais la politique sociale mise en œuvre depuis 1983 n’a fait que plonger la majeure partie de la population dans une situation de plus en plus dégradée. L’enjeu est donc de gagner tous ceux qui ont intérêt à une autre politique, malgré ce qu’ils sont, même s’ils sont racistes, misogynes, homophobes, en un mot, fort peu sympathiques au premier abord. Avec la mise en œuvre d’une politique progressiste, voire d’une autre société, ils changeront plus probablement que si la politique actuelle continue pour des décennies. On peut même dire que, si cette politique continue, ces tendances rétrogrades ne feront que s’affirmer sur le terreau du ressentiment où on cherche toujours des coupables, et plus souvent en-dessous qu’au-dessus : le niveau de la campagne présidentielle aux États-Unis avec les déclarations de Donald Trump sur les Haïtiens mangeurs de chats montre qu’il n’y a guère de limite dans ce domaine.

Il faut donc aussi parler aux racistes, misogynes, homophobes, etc., car c’est exactement ainsi que l’on gagne et l’erreur serait de les laisser sur le côté, abandonnés aux bons soins du RN. Un bel exemple littéraire est ce passage du roman Le Bout-Galeux de Jean-Pierre Chabrol1, cet écrivain des montagnes cévenoles situées en partie en Lozère, alors qu’un jeune militant communiste, se désolant des jeunes plus intéressés par un gala de boxe que par la lutte sociale, s’en ouvre à un militant aguerri qui répond : « Les jeunes, […] pour les changer, il faut d’abord les accepter comme ils sont. […] L’important, […] ce n’était pas d’aller vers les autres avec des idées toutes faites, mais de rester au milieu des autres. L’important, ce n’était pas de faire dix kilomètres tout seul, mais trois pas en avant, avec tous les autres […] Ce n’est pas avec des airs supérieurs qu’on aide les gens, il faut d’abord les aimer. »

Une seconde erreur est de ne pas voir que chaque individu est un océan de contradictions, et pas un bloc de marbre, et que, selon les circonstances et les moments, il adoptera des comportements différents. Deux exemples historiques volontairement forts. Le 16 juillet 1942, les policiers parisiens livrent les Juifs aux nazis, même si certains les préviendront ; en août 1944, la police parisienne se bat : nul doute que certains ont à la fois participé à la rafle et à l’insurrection. Que fallait-il faire ? Refuser aux policiers la possibilité de combattre et, pour certains, voire beaucoup, la possibilité de tenter de se racheter en risquant leur vie ? Le 26 avril 1944, des Parisiens en nombre crient « Vive Pétain ! » lors de sa visite : combien d’entre eux vont crier « Vive de Gaulle ! » le 26 août ? Entre les deux dates, les choses ont changé… et des gens aussi, il n’y a pas simplement de la duplicité et l’opportunisme le plus crasse. Il en a toujours été ainsi, parce que, selon les circonstances, on peut être au pire un salaud ou au mieux un héros, et les gens peuvent changer quand la situation change : Daniel Cordier passe de l’antisémitisme et de l’Action française à la Résistance ; Jacques Doriot passe du Parti communiste à la Collaboration. Pour les gens « ordinaires » comment ne pas penser au film Monsieur Batignole ? 

De nos jours, dans une situation qui n’a rien à voir, chacun de nous peut adopter des positions ou comportements traduisant ces contradictions. Face à cela, le rôle de la gauche n’est-il pas de s’appuyer sur les côtés positifs des individus plutôt que de les rejeter à cause de leurs côtés négatifs ? C’est bien ce que faisaient les militants du Parti communiste quand ils faisaient massivement du porte-à-porte : certaines portes s’ouvraient sur un sourire et d’autres non, mais il fallait quand même y frapper, car c’était le meilleur moyen pour faire bouger les choses. La gauche, pour ne pas dire le pays, a besoin que les électeurs du RN ne soient pas laissés sur le côté, bien renforcés dans leurs certitudes par les déclarations du RN, mais au contraire perturbés dans leur réflexion par la discussion avec ceux qui tiennent un autre discours. Le RN n’y a pas intérêt, c’est clair, le régime en place non plus.


  1. pages 169-172 en Folio ↩︎

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