Primaire populaire : les dés pipés ?
En finir avec la sclérose démocratique de la Vème République pour faire gagner la gauche. L’idée est bonne. Sur le papier. Reste à survivre à l’épreuve de la réalité. Et là, ça se complique toujours un peu.
Sur le papier, la Primaire populaire a tout pour plaire : une initiative démocratique, née dans le but de faire face à une catastrophe qui semble inéluctable – la défaite collective de la gauche et des écologistes à la présidentielle. L’enjeu est colossal. Comment faire en sorte que le meilleur de la gauche ne termine pas cinquième de l’élection, derrière la droite et l’extrême droite ? Une situation qui pourrait avoir des conséquences dramatiques à long terme pour la gauche.
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Voilà ce à quoi s’attellent les petites mains de la Primaire populaire depuis plus d’un an. Ils interpellent les politiques, font des sittings devant les sièges des partis, font, peu à peu, parler d’eux. L’affaire n’était pas si aisée alors que s’amorce la campagne présidentielle et son rouleau compresseur médiatique.
Pour autant, deux problèmes de taille se posent devant les ambitions de la Primaire populaire. 1/ la complexité du processus – pas aidé par les atermoiements quant à savoir qui sont les politiques en lice ; 2/ la perméabilité entre la Primaire populaire et le « vrai monde » politique.
Une primaire pour qui ?
Fin novembre dernier, à l’issue du processus de désignation au jugement majoritaire, les dix personnalités présélectionnées étaient les suivantes : Anna Agueb-Porterie, Clémentine Autain, Gaël Giraud, Anne Hidalgo, Yannick Jadot, Pierre Larrouturou, Charlotte Marchandise, Jean-Luc Mélenchon, François Ruffin et Christiane Taubira. Cinq hommes et cinq femmes. À noter qu’à ce stade, le candidat communiste Fabien Roussel n’avait pas recueilli le nombre de parrainages suffisants pour concourir.
Parmi ces dix « finalistes », certains n’étaient pas franchement consentants au process. Voyez donc :
- Jean-Luc Mélenchon : « Battez-vous entre vous et laissez-moi tranquille ! »
- Yannick Jadot : « Je ne suis pas dans la Primaire populaire, je l’ai déjà dit 100 fois, donc je ne vais pas me répéter. »
De leur côté, les députés insoumis Clémentine Autain et François Ruffin ont poliment décliné, faisant campagne derrière Jean-Luc Mélenchon. Anne Hidalgo quant à elle a d’abord été tentée par l’idée d’une primaire – sans que l’on comprenne bien s’il s’agissait ou non de la Primaire populaire –, avant d’abandonner. Motif : personne n’en voulait. Enfin, samedi dernier, le jour de la clôture des candidatures à la Primaire populaire, Christiane Taubira a mis fin au suspense et a annoncé sa candidature à l’élection présidentielle, en passant par la case Primaire populaire.
Si officiellement il y a bien sept candidats en lice, seules Christiane Taubira, Anna Agueb-Porterie et Charlotte Marchandise sont officiellement en campagne pour l’investiture de la Primaire populaire. De quoi largement alimenter l’idée que la Primaire populaire maintient sa proposition que pour être une rampe de lancement à la candidature de Christiane Taubira. D’ailleurs, les organisateurs veulent faire signer une sorte d’acte d’engagement à la fin du processus. Un document que seule Taubira accepterait. Ainsi, les organisateurs créent les conditions pour ne pas avoir à soutenir Jean-Luc Mélenchon s’il devait gagner. Exactement ce que nous racontait ce lundi dans #LaMidinale Guillaume Lacroix, président du PRG (et soutien de Taubira et de la Primaire populaire) : « Entre Jean-Luc Mélenchon et moi, il n’y a pas d’animosité personnelle mais il y a une distance politique basée sur des projets diamétralement opposés. Je ne vais donc pas vous dire que je vais faire sa campagne, on le sait tous. »
En décembre, les organisateurs de la Primaire populaire ont tenté un « coup », dont personne n’a bien compris les détours. Soudainement, le groupe des dix finalistes a disparu pour ne garder que les candidats officiellement déclarés à la présidentielle – sauf les Roussel, Montebourg, Poutou, Arthaud et Kazib. L’idée n’a pas survécu à elle-même. Qui décide ? Comment ? Pourquoi ? On a connu plus transparent comme mouvement. Quand à la stratégie, comment dire… Telle qu’elle est expliquée par Samuel Grzybowski, un des co-fondateurs de la Primaire populaire, elle peut laisser pantois : de la « data », « empêcher les candidats d’avoir les 500 signatures », critiquer les candidats sur les réseaux sociaux pour dégrader leur image dans les sondages et ainsi rendre plus difficile l’obtention d’un prêt auprès d’une banque pour financer leur campagne. Bonne ambiance.
Prochaine étape : « Un vote inédit aura lieu du 27 au 30 janvier 2022 pour permettre d’identifier le ou la candidate à la présidentielle dont la Primaire Populaire soutiendra la campagne », lit-on sur le site de la primaire. Le suspense est à son comble. Ou pas vraiment…
La primaire populaire, un monde parallèle ?
Le grand gagnant du jeu-concours aura pour légitimité le vote des inscrits : 250.000 personnes ont annoncé les organisateurs ce lundi matin. Ils espèrent plus de 300.000 votants d’ici au 27 janvier. À titre de comparaison, Benoît Hamon avait obtenu 596.647 voix au premier tour de la primaire de 2017.
Et après ? Admettons que Christiane Taubira l’emporte. Hidalgo, Jadot, Mélenchon ou Roussel vont-ils bouger d’un iota ? Vont-ils abandonner en plein vol leur campagne et les millions d’euros déjà investis ? Rien n’est moins sûr.
Au fond, la Primaire populaire restera une belle tentative mais vaine car déconnectée de la « vraie » campagne présidentielle. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Et n’allez pas croire que les militants de cette expérience n’y sont pas allés le cœur en fête ! Faut-il y voir une incapacité quasi constitutionnelle de la Vème République ? Article 4 : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. » Ainsi va la démocratie française…