Une révolution copernicienne venue des Suds

À Pékin, ce 3 septembre, ce n’est pas seulement la mémoire de la victoire de 1945 qui a été convoquée. En invitant Vladimir Poutine, Kim Jong-un et d’autres dirigeants à assister au plus grand défilé militaire de l’histoire chinoise, Xi Jinping a envoyé un message politique clair : le centre de gravité du monde se déplace. Ou plutôt, il s’éclate – et il ne sera plus en Occident.
Quelques jours plus tôt, à Tianjin (la quatrième ville chinoise), la réunion de l’Organisation de coopération de Shanghai avait déjà réuni un aréopage inédit depuis l’élection de Donald Trump : Poutine et Xi, mais aussi le président iranien Massoud Pezeshkian, le Turc Recep Tayyip Erdogan, le Biélorusse Alexandre Loukachenko, l’Indien Narendra Modi et le Pakistanais Shehbaz Sharif. Cette assemblée eurasiatique, hétéroclite mais significative, dit quelque chose d’un monde en recomposition accélérée. Elle coexiste avec les BRICS auxquels participent aussi l’Afrique du Sud et le Brésil.
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Il ne s’agit pas de proclamer une unité artificielle du Sud global : chacun de ces pays suit sa propre logique, ses propres intérêts, parfois antagonistes. Mais tous partagent une même volonté : reprendre leur place dans le concert des nations, après des décennies, voire des siècles de mise sous tutelle, parfois d’humiliation. Ils refusent l’universel occidental, imposé comme unique horizon depuis la colonisation, et entendent réaffirmer que leur histoire longue fonde une autre légitimité.
La banderole choisie pour illustrer cet événement (et que nous avons choisie pour illustrer l’article) est révélatrice. Contrairement aux années précédentes, les inscriptions y sont en sanskrit, en russe, en chinois. Aucune lettre romane, aucun mot en anglais. Pour un Occidental, illisible. C’est exactement ce que des milliards d’êtres humains vivent face à la domination de l’anglais : l’impossibilité de lire, de comprendre, d’accéder. Or voici que ce renversement symbolique marque un recul, même provisoire, de l’alphabet latin qui structure depuis des siècles une partie des échanges mondiaux. Pour combien de temps encore ?
Ce basculement en accompagne d’autres : la Chine est aujourd’hui l’une des plus grandes puissances scientifiques et techniques de la planète, déposant chaque année plus de brevets que les États-Unis ou l’Europe. La remise en cause de la domination du dollar se discute entre pays qui ne parlent pas anglais. Cela se fait sans l’Occident. Ce n’est pas seulement le recul de la France ou de l’Europe qui est en jeu, c’est la déstabilisation de l’architecture mondiale née de 1945. Autrement dit, c’est l’hégémonie américaine elle-même qui vacille. Hégémonie à la remorque de laquelle l’Europe s’était placée. L’arrivée de Donald Trump au pouvoir a joué le rôle de catalyseur, en même temps que d’en être le symptôme, précipitant dans les Suds l’affirmation d’un autre ordre possible.
Ce mouvement n’est pas d’abord un dessaisissement de l’Occident : c’est l’affirmation de peuples longtemps méprisés dans le grand concert des nations et du monde et qui, aujourd’hui, reprennent le pouvoir.
Faut-il adhérer aux projets chinois, russe, turc ou iranien ? Non. Tous ces pays sont contestables dans leur considération des droits humains et ne sont pas dépourvus d’ambitions impérialistes. Mais il ne faut pas les considérer comme nos ennemis inéluctables. Car il n’y aura pas de solution sans ces pays, sans leurs peuples. L’idée de faire rendre gorge à la Russie ou de maintenir la Chine à l’écart relève d’une illusion délétère qui ne mène qu’à la violence.
Le danger, pour nous, Européens, serait de réagir en nous crispant, en nous repliant, en pensant que tout cela nous vole quelque chose. C’est une des causes profondes de la montée de l’extrême droite dans tous les pays occidentaux. Pourtant, ce mouvement n’est pas d’abord un dessaisissement de l’Occident : c’est l’affirmation de peuples longtemps méprisés dans le grand concert des nations et du monde et qui, aujourd’hui, reprennent le pouvoir.
Il faut l’accepter comme une révolution copernicienne. Comme les femmes ont arraché l’égalité face aux hommes, les peuples du Sud rappellent que les Occidentaux ne sont pas supérieurs aux autres. Ils en sont les égaux. Tout l’enjeu est désormais de se comprendre – et surtout d’avoir envie de se comprendre.
Bonjour,
A mon avis, comme dans l’article « Rupture », vous avez une (très) mauvaise interprétation de ce qui se passe à l’EST (pas au Sud, pitié !).
(rappel : dans l’article « Rupture » vous écrivez « On voit le Sud s’affirmer, émerger politiquement et nous sommes partagés entre un soulagement – enfin l’Occident ne peut plus imposer sa loi – et consternés par cette brochette de dirigeants plus autoritaires et nationalistes les uns que les autres. »)
« l’affirmation de peuples longtemps méprisés dans le grand concert des nations et du monde et qui, aujourd’hui, reprennent le pouvoir. »
Comment les peuples africains peuvent-ils considérer qu’ils « reprennent le pouvoir » depuis que leurs dirigeants ont viré les français (une bonne chose à mon avis), laissent les chinois s’occuper du pillage des ressources et donnent aux milices russes (Wagner, en particulier) le soin de faire régner l’ordre ?
« Ils refusent l’universel occidental … précipitant dans les Suds l’affirmation d’un autre ordre possible. »
Ça c’est typiquement une analyse de droite qui explique en partie la peur des gouvernements européens de se voir aujourd’hui lâchés par les USA.
Analyse de droite car elle ne tient compte que du point de vue des puissants et de leurs amis qui gouvernent. Moi, gouvernant chinois, russe ou indien, je te dis, à toi puissant chinois, russe ou indien, que grâce à moi tu vas enfin être protégé contre l’infâme occident qui te maltraite depuis des siècles et je ferai tout pour que ce soit toi qui impose ta puissance au monde.
Et pendant ce temps, les peuples chinois, russes et indiens continuent de crever. Et ceux du Sud tout autant.
Vous tempérez bien le propos par « il n’y aura pas de solution sans ces pays, sans leurs peuples. »
C’est ce que tous les bien-pensants nous rappellent à longueur de journée : il faudra bien parler avec les russes et les ukrainiens, avec le Hamas et Israël, etc.
Cela sous-entend fortement : « ne froissons personne, ne nous opposons pas trop fortement, ça risque de se retourner contre nous ».
Dans ce cas-là, le « nous » c’est encore les puissants et les gouvernants, pas les peuples !
Et pendant ce temps, les peuples chinois, russes et indiens n’ont toujours pas la parole. Et ceux du Sud pas plus.
« Il faut l’accepter comme une révolution copernicienne. »
Pour Copernic, la Terre ne devait plus être considérée comme le centre de l’Univers. Donc, pour vous, ce que l’OCS nous dit : « Occident, vous n’êtes plus le centre du monde ».
Là non plus je ne suis pas totalement d’accord. Pour moi, l’OCS me dit : « Attention, Occident, on arrive, on va être aussi fort que vous et vous ne pourrez plus être les seuls à exploiter sans vergogne les peuples sous-développés. Et si on peut vous piquer la place, soyez certains qu’on le fera. »
Je suis d’accord avec vous, il ne faut pas avoir peur qu’on nous vole la vedette. Par contre, on retourne vers une guerre « froide » et j’ai comme l’impression qu’elle sera légèrement plus chaude que la précédente et qu’elle pourra facilement s’embraser. L’Orient qu’on nous montre est beaucoup plus puissant économiquement et militairement que ne l’était le Pacte de Varsovie qui ne tenait que par la puissance militaire de l’URSS. Là, nous avons des puissances nucléaires et économiques donc il est à peu près certains que l’Histoire ne tournera pas aussi rond qu’au 20ème siècle.
Pour nous cela ne change rien : notre lutte n’est ni contre l’Occident, ni contre l’Orient, notre lutte est contre le capitalisme, l’impérialisme et tout ce qu’ils traînent de haine et de saloperies avec eux. Ils sont les mêmes partout : à l’Est et à l’Ouest. C’est cette lutte qui ne pourra pas se faire sans les peuples occidentaux et orientaux.
JAMAIS SANS LES PEUPLES, TOUJOURS CONTRE LES PUISSANTS.
Quand au Sud, je veux dire Afrique et Amérique latine, il sera lui aussi victime de cet Orient en train de se construire comme simple miroir de l’Occident. (de toute manière c’est déjà le cas).
Ce n’est pas parce que le Brésil et l’Afrique du Sud, flattés d’être considérés comme important, font partie des BRICS (par définition, me direz-vous) que leurs peuples s’en porteront mieux. C’est encore une simple affaire de puissants puisque la seule chose qu’ils gèrent c’est l’imbrication de leurs économies. (BRICS est d’ailleurs une émanation de la puissance Occidentale via Goldman Sachs).
Cordialement.
Remarque : Je ne vois pas bien pourquoi vous parlez au passé du combat des femmes. Serait-il déjà terminé ? Plus rien ne serait à faire ? L’égalité serait-elle là ? Ce qui a été gagné ne risque pas d’être reperdu ?