Ukraine : sale temps pour la paix

Se prétendant homme de paix, Donald Trump entend forcer l’Ukraine à renoncer à la Crimée, sous occupation russe depuis 2014. La puissance pour seule boussole…
À ce jour, les tractations autour du conflit russo-ukrainien se nouent autour de trois acteurs, avec pour chef de file Donald Trump – le président américain s’étant institué en porte-parole du reste du monde. C’est lui qui a décidé de faire de Vladimir Poutine son interlocuteur privilégié et qui pèse pour un règlement dans lequel la Crimée sera officiellement reconnue comme faisant partie de la Fédération de Russie.
TOUS LES JOURS, RETROUVEZ L’ESSENTIEL DE L’ACTU POLITIQUE DANS NOTRE NEWSLETTER
La Crimée a été hellénistique pendant dix-sept siècles, ottomane pendant trois siècles et russe pendant deux siècles. Elle a été l’objet de conflits armés incessants, où se jouait l’accès à la mer – et donc à la puissance –, où les meilleures raisons du monde ont été multipliées pour dresser les peuples les uns contre les autres, au nom de la civilisation, de la religion ou de la nation éternelle.
Il en fut ainsi pendant la très longue période où la guerre était la méthode par excellence pour juger de qui est assez fort pour imposer « son » droit. Au 20ème siècle, au lendemain des deux hécatombes mondiales, on semblait pourtant s’être mis plus ou moins d’accord sur l’idée que la souveraineté des États, le droit international, le droit des peuples et ceux des individus étaient la seule manière de nous sortir de la loi de la jungle. Peut-être sommes-nous en train de revenir sur ce pari d’humanité.
Il n’est pas vrai qu’il ne nous reste qu’à choisir entre la capitulation et la course infinie à la puissance. Il n’y a pas que des despotes continentaux. Il y a des États qui s’inquiètent, des peuples et des individus qui ne se résignent pas à la mort.
En 1997, dans les tensions russo-ukrainiennes avivées par la dislocation de l’URSS, tout semblait s’acheminer vers un possible apaisement. Après une longue période de confusion, la Russie avait en effet décidé de reconnaître officiellement le rattachement de la Crimée à l’Ukraine. Mais en 2014, profitant de la crise extrême dans laquelle l’Ukraine se trouva plongée, le dirigeant russe a décidé que le moment était venu de revenir sur la parole donnée. Avec 140 millions d’habitants contre une quarantaine et une position de seconde puissance militaire du monde, à quoi bon faire semblant d’être gentil ?
Poutine et ses séides fomentent alors un coup de force, soutenu par l’armée russe, qui débouche sur la sécession de la Crimée et, dans la foulée, sur son intégration dans la Russie. À l’époque, les États-Unis et l’Europe refusent le coup de force, tout comme une Assemblée générale de l’ONU, par 100 voix contre 11 et 58 abstentions. L’ONU qui exprime ce refus n’est certes plus la grande organisation régulatrice qu’elle a été, parce que l’on a tout fait, États-Unis en tête, pour tenir l’Organisation à l’écart de ce qui compte. Mais, même divisé, quel lieu de concertation et d’arbitrage est plus légitime que celui-là ?
Pour l’instant, où en est-on ? À l’initiative du président américain, les dirigeants de deux États-continents décident de ce qui est légitime, en se fondant sur la force cynique et non pas sur l’éthique commune ni sur un droit international manifestement tenu pour périmé. Si l’on allait jusqu’au bout de cette logique, il serait donc acquis désormais que le tracé des frontières, la maîtrise des territoires et la propriété des ressources relèvent strictement d’un rapport des forces réduit à son expression la plus primitive : la loi du plus fort.
Le monde est au bord du désastre climatique, la faim et les pandémies se répandent. Les conflits répertoriés sont au nombre de 130 et la course à l’armement a repris de façon massive, au grand dam du haut-commissaire de l’ONU pour les réfugiés, qui vient de se dire effaré par un monde « aveuglé par l’idée que seule une victoire militaire totale convient« . Dans ce monde inquiétant, ne déciderait que le petit nombre des États qui combinent l’étendue continentale ou quasi continentale, la force du nombre, la richesse, la maîtrise technologique et la centralisation extrême des pouvoirs !
Dans le cadre étroit qui est le sien, sans l’Europe et hors de l’ONU, la négociation tripartite en cours risque de déboucher sur une impasse ou sur de nouvelles rancœurs. Ce fut le cas avec la « paix des vainqueurs », ces traités qui, de Versailles à Sèvres (1919-1920), démantelèrent les Empires, humilièrent l’Allemagne et rabaissèrent l’Italie. En 2025, n’aurions-nous donc le choix qu’entre une resucée de Versailles ou un remake de Munich ?
Or il n’est pas vrai qu’il ne nous reste plus qu’à choisir entre la capitulation et la course infinie à la puissance. Il n’y a pas que des despotes continentaux ou des satellites potentiels des plus puissants. Il y a des États qui s’inquiètent, des peuples et des individus qui ne se résignent pas à la mort, des sociétés civiles qui ne rêvent pas d’un univers de realpolitik. Pour l’instant, toutes et tous ne sont pas des acteurs, mais de simples spectateurs.
En fait, une solution durable et digne ne peut se trouver que dans un cadre cohérent : la suspension des hostilités, l’ouverture de négociations sous l’égide des Nations unies et la soumission de tout accord conclu à l’approbation des populations concernées, dans un laps de temps raisonnable et sous contrôle onusien.
Au moment où ces lignes sont écrites, nous sommes bien loin d’un scénario de ce type. C’est pourtant le plus raisonnable.