Ukraine : Macron et la stratégie du choc

Pour faire face à la dangereuse situation, le président entend dépenser plus dans l’armée sans impôt supplémentaire. Une fin de mandat pour boucler la boucle du macronisme originel.
Hier soir, mercredi 5 mars, Emmanuel Macron a employé un ton sans manière et solennel pour marquer les esprits et une rupture. Signe d’une inquiétude grandissante dans le pays, nous étions très nombreux devant nos écrans, plus de 15 millions, pour écouter son analyse et ses propositions. D’entrée, il le confirme : « Nous entrons dans une nouvelle ère ».
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Il n’a pas lésiné pour convaincre que la guerre avec la Russie a déjà commencée et nous ne connaissons pas ses développements. Son argument était double : la guerre n’est pas que militaire et elle nous frappe déjà. Les cyberattaques contre les hôpitaux en est un exemple particulièrement anxiogène. Les autres exemples pris par le président, ceux des assassinats politiques, des influences étrangères dans les élections, de la manipulation des opinions, on le pressentait déjà et on ne l’attribue pas qu’aux Russes, hélas.
Il a poursuivi sa démonstration avec un chiffre choc : les Russes consacrent « plus 40% de leur budget » à l’armement. Selon Statista, les Russes dépensaient en 2023, 110 milliards de dollars (100 milliards d’euros) par an pour leur armée, soit autour de 6% de leur PIB. C’est un doublement en 15 ans. C’est déjà beaucoup. Inutile d’en rajouter. Pour se fixer les ordres de grandeur, les Américains dépensent plus de 750 milliards de dollars par an pour leur armée, les Chinois 260. Le président a surtout montré, graphiques à l’appui, leurs intentions de poursuivre leurs efforts d’armements et de modernisation.
Macron se saisit de ce moment de hausse des dépenses militaires pour ouvrir une nouvelle brèche dans le modèle social français. Ce qu’il n’a pas réussi à faire en sept ans de présidence, il compte le faire en deux ans.
Dans un langage diplomatique, sans chercher l’affrontement avec les États-Unis, il a voulu préparer la fin du partenariat avec ces grands alliés historiques. Là encore, deux arguments : les évolutions récentes de la politique américaine conduisent à préparer cette hypothèse – « Je veux croire que les États-Unis resteront à nos côtés. Mais il nous faut être prêts si tel n’était pas le cas ». Il ajoute un argument moins conjoncturel, qu’il a souvent répété : « L’avenir de l’Europe n’a pas à se décider à Moscou ou à Washington« et « la menace revient à l’Est ».
Donc il faut accroître nos dépenses militaires. Rappelons qu’elles vont passer de 32 milliards par an en 2017 à 50 milliards aujourd’hui et 69 milliards en 2030. Mais, selon Emmanuel Macron, les nouvelles augmentations de dépenses devront se faire sans augmentation des impôts. Ha ! Mais pourquoi ? Parce qu’il en a décidé ainsi. « Il faudra des réformes, du choix, du courage […] les moment exigent des décisions sans précédent […] Nous ne pouvons avoir les mêmes débats que naguère. » Revoilà notre Macron disruptif et libéral ! Mettant en oeuvre les analyses de Naomie Klein développées dans son livre La stratégie du choc, Emmanuel Macron se saisit de ce moment de hausse des dépenses militaires pour ouvrir une nouvelle brèche dans le modèle social français. Ce qu’il n’a pas réussi à faire en sept ans de présidence, il compte le faire en deux ans.
Ce faisant, le chef de l’État contredit une de ses assertions les plus justes : Pour défendre la démocratie, une certaine idée de l’humanisme […] les décisions politiques, les équipements militaires, les budgets sont une chose. Mais ils ne remplaceront jamais la force d’âme d’une nation ». Alors faut-il une fois encore la brutaliser ? La France défend la démocratie, l’humanisme parfois par les armes et toujours par des politiques sociales, de redistribution et protectrice. Sinon, ça ne convainc pas et affaiblit le force d’âme de notre nation. Emmanuel Macron a tort d’ouvrir ce front.