Rapport Pisani-Ferry sur le climat : direct aux poubelles de l’Élysée

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Un impôt spécifique sur le patrimoine financier des plus fortunés pour lutter contre le dérèglement climatique ? Il faut une sacré dose d’humour pour faire sérieusement la proposition à Emmanuel Macron.

« Les rapports des experts sont faits pour valider les choix du gouvernement. S’ils ne les valident pas, ou seulement partiellement, ils sont ignorés, dans leur totalité ou en partie. »

Stefano Palombarini, économiste

 

Le 10 mai, Jean Pisani-Ferry était l’un des quatre économistes invités à déjeuner par le président de la République en mal d’inspiration[[Le 23 mai, ce fut le tour de quatre autres hommes, que Le Monde présente à tort comme autant de chercheurs et de sociologues, de venir déjeuner cette fois-ci « confidentiellement ». Cela a immédiatement débouché sur l’opération « décivilisation ». Passées les bornes, il n’y a plus de limites.]]. Avec Selma Mahfouz, de l’Inspection Générale des Finances, ils ont remis le 22 mai à Élisabeth Borne le rapport qu’elle leur avait commandé sur les incidences économiques de l’action pour le climat. Le Monde n’avait rien dit de l’échange entre l’économiste et le Président.

 

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Escadrille de bombardement

Et l’on comprend bien pourquoi, maintenant que l’on a pu prendre connaissance du rapport. Il plaide pour un impôt spécifique sur le patrimoine financier des plus fortunés. Aussitôt publié, aussitôt retoqué. Pire que la convention citoyenne sur le climat. Dans les jours qui ont suivi la publication, les ministres Le Maire, Véran, Béchu, Panier-Runacher et la Première ministre ont volé en escadrille pour bombarder la proposition et porter le verdict sans appel du Président : faire payer les riches, c’est non ! Quel que soit le motif.

Politique Potemkine

« Sur l’écologie, la macronie continue d’avancer par à-coups », constate l’Opinion. Alors même que Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz expliquent qu’il y a un besoin urgent d’une très forte et durable accélération : « Pour atteindre nos objectifs pour 2030 et viser ainsi la neutralité en 2050, il va nous falloir faire en dix ans ce que nous avons eu de la peine à faire en trente ans. L’accélération est brutale, tous les secteurs vont devoir y prendre leur part ».

En fait, c’est encore pire. En matière d’écologie, c’est surtout à coups de communications qu’agit le gouvernement. Et souvent, c’est de la politique Potemkine. En même temps, ou presque, que la remise du rapport Pisani, il y a donc eu :

  • l’opération « planification écologique » : le 22 mai, la Première ministre a présenté les objectifs chiffrés de la trajectoire de décarbonation de la France d’ici à 2030, mais sans aucune mesure concrète et surtout pas de financement pour les réaliser ;
  • l’opération « adaptation à +4° » : le 23 mai, le ministre Béchu a annoncé le lancement d’une consultation devant définir une nouvelle stratégie pour adapter la France aux enjeux du réchauffement climatique qui, dans une « hypothèse pessimiste », pourrait aller jusqu’à 4°C d’ici 2100. En réalité, +4° en moyenne en France, ce n’est pas une hypothèse si « pessimiste » que cela, si se poursuit l’inaction climatique des gouvernements dans le monde, y compris français. Sauf que cette consultation est juste une opération de communication, encore plus minable que la consultation « En avoir pour mes impôts » du ministre Attal ;

  • l’opération « interdiction des vols intérieurs courts en France » : adoptée dans la loi le 21 août 2021 puis vidée de sa substance par le décret d’application le 22 mai 2023. Et le Président fait comme si de rien n’était…

  • l’opération « sauve qui peut le fret ferroviaire » : le 14 juillet 2020, rappelle Maxime Combes, Emmanuel Macron proclame « Nous allons redévelopper le fret ferroviaire ». Et l’objectif fixé par la loi climat en 2021 à l’horizon 2030 est un doublement de la part des marchandises transportées par rail. Ce qui, soit dit en passant, ne ferait que revenir à la situation de 2006. Non seulement jusqu’ici on n’a vu aucune inflexion, mais, le 23 mai, le ministre Clément Beaune annonce le désossement de l’activité fret SNCF au profit de ses concurrents, afin d’éviter de rembourser 5,3 milliards de dettes SNCF annulées en 2019 et jugées contraires au droit de la concurrence.

Ce que dit le rapport

Cela dit, avant d’être enterré, le rapport Pisani-Ferry mérite bien quelques commentaires.

Ses principaux « messages » sont les suivants :

  • 1. La neutralité carbone est atteignable. Mais il va falloir faire en 10 ans autant que ce qu’on a fait difficilement en 30 ans.
  • 2. Durant cette décennie, la sobriété et l’innovation technologique ne pourront jouer qu’un rôle secondaire. L’essentiel reposera sur des investissements permettant de réduire les émissions de carbone (investissements dans les industries et les énergies non fossiles ; isolation des logements et des bâtiments ; remplacement des chaudières à fioul ; achat de véhicules électriques etc.). Le rapport évalue à 65 milliards d’euros (un peu plus de deux points de PIB) les investissements annuels supplémentaires nécessaires.
  • 3. La transition est un coût. Contrairement à ce qui est censé se passer habituellement, ces investissements ne vont pas produire de la croissance. Ils auront globalement un impact négatif sur la productivité (que le rapport chiffre à – 0,4% par an).
  • 4. Le coût de la transition sera inégalement réparti. « La transition est spontanément inégalitaire. Même pour les classes moyennes, rénovation du logement et changement du vecteur de chauffage d’une part, acquisition d’un véhicule électrique en lieu et place d’un véhicule thermique d’autre part, appellent un investissement de l’ordre d’une année de revenu ». Le coût économique de la transition ne sera politiquement et socialement accepté que s’il est équitablement réparti.
  • 5. Même si « l’investissement est rentable, par les économies d’énergie qu’il permet », l’apport des finances publiques dans la prochaine décennie devra être important.
  • 6. Le redéploiement des dépenses publiques (moins de dépenses brunes pour plus de dépenses vertes) restera limité. Un recours à la dette doit rester possible. Mais pas trop. Un recours à l’impôt sera nécessaire.
  • 7. Le recours à l’impôt doit viser des objectifs de financement et d’équité. « Il pourrait notamment prendre la forme d’un prélèvement exceptionnel, explicitement temporaire et calibré ex ante en fonction du coût anticipé de la transition pour les finances publiques, qui pourrait être assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés ». Dans une note de bas de page le rapport précise : « L’actif financier net des ménages était de 4700 milliards d’euros en 2021, dont 3000 milliards pour les 10% les mieux dotés (sic). Un prélèvement forfaitaire exceptionnel de 5%, dans une fenêtre de trente ans, rapporterait donc 150 milliards, soit un peu plus de 5 points de PIB au total ». En clair, un impôt exceptionnel de 5% du patrimoine financier des 10% de ménages les plus riches, payable l’année au choix du contribuable, rapporterait annuellement 5 milliards dans les 10 prochaines années.
  • 8. La transition énergétique réclame beaucoup de révisions au niveau de l’Union européenne :
    – pour la BCE, durant la décennie à venir, la transition énergétique constituant un coût sans ajouter de croissance, elle sera inflationniste. Les Banques centrales ne devront pas casser la transition au nom de la lutte contre l’inflation. Elles devraient au moins relever leur cible d’inflation (actuellement autour de 2%) ;
    – les stratégies nationales ne sont pas coopératives comme le montre l’Inflation Reduction Act (IRA) des États-Unis. La stratégie européenne devra être précisée sachant que « l’Union européenne ne peut pas être à la fois championne du climat, championne du multilatéralisme et championne de la vertu budgétaire » ;
    – l’articulation entre politique européenne et politiques nationales doit être repensée. On ne peut s’en tenir à la situation actuelle où « l’Union fixe les objectifs mais elle laisse les coûts politiques et les coûts financiers correspondants à la charge des États et prend appui sur une coordination indicative, dont l’effectivité est incertaine ».

Le rapport Pisani-Ferry mérite sans doute mieux que son enterrement par le niet macronien à sa proposition centrale d’un ISF vert.

Personnellement, je retiens évidemment que les investissements publics, la fiscalité sur les plus riches et la dette publique sont indispensables à la transition écologique. Mais pas seulement. Le rapport affirme un besoin de transformation de l’Union européenne, auquel, du côté de la Nupes, on devrait s’attacher à donner un contenu, si possible commun.

Peut mieux faire

Il reste que cela devrait s’inscrire dans un ensemble de transformations que le rapport Pisani-Ferry a plutôt tendance à ignorer ou à maltraiter.

Le rapport considère l’action contre le réchauffement climatique, comme une transition décennale pour se remettre sur les rails d’une croissance éventuellement plus forte et soutenable puisqu’elle ne sera plus source de réchauffement climatique. C’est toujours vive la croissance après la parenthèse : « À long terme, la réorientation du progrès technique peut conduire à une croissance verte plus forte que ne l’était ou que ne l’aurait été la croissance brune. La chute du coût des énergies renouvelables est l’indice qu’une nouvelle croissance est possible ». C’est là une hypothèse très hasardeuse. Le rapport minimise considérablement le poids des inégalités nationales et internationales dans le réchauffement climatique. Le climat n’est pas le seul ravage écologique de la course à la croissance. Le rapport reste aveugle aux limites physiques de la planète et donc de la croissance.

Le rapport ne dit rien ou presque des transformations indispensables des rapports entre le public et le privé. On ne peut plus continuer comme avant dans la régulation implicite du néolibéralisme selon laquelle les pertes ou le non rentable est public et les profits sont privés. Il n’y a pas seulement besoin d’investissements publics. Il est indispensable que changent les finalités et la gouvernance des investissements privés. L’assemblée annuelle des actionnaires de TotalEnergie tenue le 26 mai l’illustre de façon caricaturale. 70% des investissements que l’entreprise veut réaliser d’ici à 2030 resteront dans les énergies fossiles, si bien que la production de pétrole et de gaz de TotalEnergies va continuer à augmenter, sans doute de plus de 8% d’ici à 2030. « Il y a, souligne l’économiste Maxime Combes, une inadéquation entre ce que fait TotalEnergies et les recommandations des climatologues du GIEC ».

Il ne s’agit donc pas seulement que des investissements et des aides publiques développent des alternatives aux déplacements et à l’usage immodéré du pétrole et du gaz. Il faut agir également, souligne Maxime Combes, « du point de vue de la construction de l’offre de pétrole et de gaz, c’est-à-dire sur les choix d’investissements de ces grandes multinationales. La plupart sont européennes.Donc il y a une possibilité d’intervenir, mais il faut s’en donner les moyens ».

Le rapport Pisani- Ferry évoque bien la question des Banques centrales. Mais c’est uniquement pour les inciter à la prudence face aux risques d’inflation. Cela laisse entièrement sous le tapis la grande question du rôle positif que doit jouer la politique monétaire et, au-delà, le système de financement dans la transition écologique.

La proposition fiscale du rapport ne doit pas être surestimée. Ni pour l’ampleur du financement qu’elle permettrait (5 milliards annuels). Ni pour l’importance de la contribution des riches – un taux annuel de prélèvement de 0,17% sur la fortune financière des 10% les plus riches. Une toute petite équité…

En rejetant la proposition, Élisabeth Borne prétend vouloir « réorienter nos ressources, nos financements, en faveur de la transition écologique ». Elle affirme avoir « demandé à chaque ministre de regarder dans son budget pour dégager 5% qui peuvent être redéployés précisément au bénéfice de la transition écologique ». En réalité, les restrictions s’inscrivent dans la trajectoire de diminution des dépenses publiques transmises à Bruxelles.

On aura la baisse des dépenses publiques pour les services publics. Mais pas la hausse équivalente des financements pour la transition écologique. Reste que la question de la réorientation des dépenses publiques est notoirement sous-estimée par le rapport Pisani-Ferry. Selon Anne-Laure Delatte[[Anne-Laure Delatte, L’État droit dans le mur, Éditions Fayard, avril 2023.]], les aides publiques et les exonérations fiscales sociales représentent 13,6% du PIB, dont 8,4% du PIB pour les entreprises. Leur croissance a été considérable, inversement proportionnelle à leur efficacité en matière de transition écologique. Le ciblage des aides et des exonérations doit être une priorité.

 

Bernard Marx

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