TRIBUNE. Non à l’instrumentalisation de l’enseignement professionnel

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Espérant tourner la page des retraites, Emmanuel Macron s’attaque aux lycées professionnels. En perspective : une nouvelle atteinte à l’éducation et un nouveau cadeau aux entreprises.

Jeudi 4 mai à Saintes, Emmanuel Macron est venu déployer son nouvel étendard présidentiel : la réforme du lycée professionnel. En plein mouvement social, et tandis que la Macronie vient de voler deux années de vie aux travailleuses et travailleurs de ce pays, le Président honni, toute sa honte bue, lance sa dernière opération de communication sur le dos de l’enseignement professionnel.

 

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Voilà des semaines que syndicats, collectifs, enseignantes et enseignants combattent point par point la réforme annoncée. Mais l’effet d’annonce doit l’emporter sur le reste. Pour tourner la page catastrophique des retraites, Emmanuel Macron a besoin d’un « coup politique », le voici tout trouvé : les élèves seront rémunérés par l’État durant leur stage !

On comprend naturellement qu’au premier abord, il soit difficile de s’y opposer. Tout travail ne mérite-t-il pas salaire ?

Mais celles et ceux qui s’intéressent réellement au lycée professionnel depuis longtemps, et qui en connaissent les rouages, savent très bien où se situent les entourloupes, et pourquoi il faut s’opposer fermement à cette nouvelle décision hors-sol d’Emmanuel Macron, et promue dans tous les médias par son ministre Pap NDiaye.

« II n’est pas du rôle de l’État de surfer sur la misère sociale en fournissant aux entreprises une main-d’œuvre bon marché. Rappelons que les élèves en première année de voie professionnelle ont 15 ans… ce sont encore des enfants. »

Les élèves de lycées professionnels représentent un tiers des lycéennes et lycéens de France. Ils et elles font partie des catégories sociales les plus populaires, souvent les plus fragiles.

Plus de 90% des lycées professionnels affichent en effet des indices de position sociale inférieurs à la moyenne nationale, rendant ainsi très alléchante la proposition d’une rémunération de 50 à 100 euros par semaine de stage effectué. Après tout, Emmanuel Macron a toujours considéré que les gens des milieux populaires devaient se contenter de ce que l’on voulait bien leur donner. « Allez à Stains, disait-il lors de sa première campagne en 2017, expliquer aux jeunes qui font chauffeur Uber de manière volontaire, qu’il vaut mieux aller tenir les murs ou dealer ».

Mais que devient la mission traditionnelle du lycée professionnel de former « l’homme, le citoyen, le travailleur » selon la formule ambitieuse du plan Langevin Wallon ? Il aura fallu un jeudi noir de l’enseignement professionnel et l’annonce d’une énième réforme pour mettre à plat un siècle d’une conception humaniste et émancipatrice de l’enseignement professionnel.

Avec la réforme, les élèves de terminale seront confrontés au choix entre un stage prolongé en entreprises en vue d’une insertion professionnelle immédiatement après le bac, et un module de quatre semaines pour préparer une entrée en BTS. Qui choisira de renoncer à la rémunération, même faible, pour les études supérieures ? Cette mesure institutionnalise le tri social comme une fatalité.

Les élèves défavorisés deviennent des agents économiques qu’il faut vite mener vers les marchés locaux du travail puisque l’État propose en plus de corréler sa nouvelle carte de formation sur les entreprises locales, au lieu d’assurer une vision globale qui permette aussi les mobilités. L’avenir des élèves pauvres est donc moins soumis à leurs aspirations qu’aux besoins du bassin où ils résident. Ce que l’on appelle la vision adéquationniste. Nous la refusons. Nous continuons d’affirmer que l’enseignement professionnel doit offrir aux élèves un enseignement équilibré entre matières générales (songez qu’ils n’ont toujours pas d’enseignement de philosophie) et formation professionnelle et qu’il n’est pas du rôle de l’État éducateur de surfer sur la misère sociale en fournissant aux entreprises une main-d’œuvre bon marché. Rappelons que les élèves en première année de voie professionnelle ont 15 ans… ce sont encore des enfants. Emmanuel Macron et Pap NDiaye se vantent dans les médias de redonner de la dignité à la voie professionnelle et l’arment même d’« excellence ». Mais quelle plaisanterie ! Pendant que certains enfants travailleront pour soulager leur famille, Emmanuel Macron et ses ami.e.s continueront d’envoyer les leurs à l’école alsacienne.

Nous ne sommes pas des ingrat.e.s ; nous aurions aimé, nous aussi, nous réjouir de ce milliard alloué à l’enseignement professionnel qui tranche avec l’indifférence à laquelle nous étions jusque-là habitués. Mais à quoi bon ce milliard s’il s’agit de régresser sur la démocratisation scolaire pour contenter le patronat ? On nous répond « grande cause nationale », mais quelles sont les mesures pour réduire les injustices et inégalités scolaires ? Nous ne voyons ici qu’un geste supplémentaire de danse du ventre vis-à-vis du monde de l’entreprise et un profond mépris de l’originalité du lycée professionnel.

Un mépris qui s’étend enfin aux enseignantes et enseignants des lycées professionnels que l’on soumet au fameux « pacte » : 7500 euros annuels annoncés, conditionnés à de très nombreuses tâches supplémentaires. Quant aux collègues qui verront leurs filières (ou leur lycée !) fermer, qu’à cela ne tienne, devenez professeur des écoles ou allez en collège leur rétorque le ministre !

De la main d’œuvre interchangeable, « agile », voilà comment la Macronie considère celles et ceux qui font vivre l’enseignement professionnel. Ce n’est pas un projet ambitieux, c’est une criante régression.

 

Premiers signataires :

Isabelle Alonso, écrivaine
Manon Aubry, eurodéputée LFI et co-présidente du groupe de la gauche au Parlement européen
Clémentine Autain, députée de Seine-Saint-Denis, LFI-NUPES
Olivier Besancenot, porte-parole du NPA
Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône, LFI-NUPES
Louis Boyard, député du Val-de-Marne, LFI-NUPES
Matthieu Brabant, enseignant de maths-sciences en LP, militant syndical CGT
Armel Briend, enseignant d’Arts Appliqués en LP, militant syndical CGT
Guy Brucy, historien de l’éducation
Samuel Couillard, enseignant Gestion Administration en LP, militant syndical SUD éducation
Guislaine David, co-secrétaire générale du SNUIPP-FSU
Laurence De Cock, historienne, enseignante
Paul Devin, syndicaliste FSU
Olivier Faure, premier secrétaire du PS et député de Seine-et-Marne PS-NUPES
Elsa Faucillon, députée des Hauts-de-Seine, PCF-NUPES
Germain Filoche, professeur de lycée professionnel, militant
Nicolas Framont, rédacteur en chef de Frustration magazine
Djéhanne Gani, enseignante, militante
Sigrid Gerardin, co-secrétaire générale SNUEP-FSU
Corinne Glayman, IEN Enseignement Technique-Enseignement Général honoraire
Philippe Meirieu, pédagogue
Alice Picard, co-porte-parole d’Attac France
Jean-Claude Raux, député de Loire-Atlantique, EELV-NUPES
Caroline Renson, enseignante Plp Lettres- histoire
François Ruffin, député de la Somme, LFI-NUPES
Arash Saedi, coordinateur national de Génération-s
Olivier Salerno, Professeur en Lycée Professionnel, syndicaliste, militant
Éléonore Schmitt, porte-parole de l’Union Étudiante
Fatna Seghrouchni, co-secrétaire de la fédération SUD éducation
Benoit Teste, secrétaire général de la FSU
Marine Tondelier, secrétaire nationale EELV
Yannick Trigance, Conseiller régional PS Île-de-France
Aurélie Trouvé, députée de Seine-Saint-Denis, LFI-NUPES
Usul, chroniqueur politique
Paul Vannier, député du Val-d’Oise, LFI-NUPES
Sophie Venetitay, secrétaire générale du SNES-FSU
Isabelle Vuillet, co-secrétaire générale de la CGT Éduc’action

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