Retraites : le COR se trompe (encore) de scénario démographique
À se lancer dans un exercice de fiction, on se demande si le Conseil d’orientation des retraites ne va pas finir par être épargné par Élisabeth Borne.
Nous n’en avons pas fini avec le problème des retraites, d’abord parce que la population n’accepte pas procédure par laquelle la loi a été adoptée. Pour cette réforme, l’exécutif a pris tous les articles de la Constitution permettant de raccourcir les débats parlementaires, de recourir au vote bloqué au Sénat, puis de se passer du vote de l’Assemblée nationale grâce au 49.3 – sans oublier de commencer par une loi rectificative de la Sécurité sociale pour le budget 2023 permettant tout cela et imposant un bouleversement des projets de vie à ceux qui devaient partir à la retraite après le 31 août 2023, ce qui était une condition nécessaire pour pouvoir rectifier le budget 2023.
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Ensuite, parce que d’autres lois sont maintenant utilisées en dehors de leur but initial. Ainsi, grâce à l’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure invoquant expressément les risques « d’actes de terrorisme », on interdit les manifestations quand le Président quitte le palais de l’Élysée – et on est allé jusqu’à confisquer des casseroles au motif qu’elles seraient des armes par destination !
Ce détournement de la loi énerve, aussi, les magistrats, puisque l’arrêté préfectoral du Loir-et-Cher interdisant les manifestations a été retoqué, le tribunal administratif ne semblant pas apprécier qu’on puisse assimiler les manifestants à des terroristes[[Pour me permettre une remarque personnelle sans lien avec cet article, ayant pu bénéficier des dessins de Charb qui a illustré deux de mes livres et a été assassiné par des terroristes islamistes en 2015, je vis cette utilisation de la loi comme un crachat sur sa tombe.]].
Toutefois, au-delà de la poursuite du mouvement social, la vie continue et le Conseil d’orientation des retraites (COR) prépare son rapport annuel pour juin – la réunion préparatoire du 20 avril ayant donné lieu à la publication du cadre de ce rapport. Ces documents préparatoires indiquent la modification de certaines hypothèses économiques, mais aussi les hypothèses démographiques retenues. On lit que « les hypothèses démographiques retenues sont celles du scénario central de l’Insee » et que « deux variantes démographiques extrêmes seront également étudiées », correspondant à une espérance de vie basse ou haute. L’ennui est que le COR continue à privilégier une hypothèse qui n’est pas crédible : le scénario central. Le tableau suivant indique les espérances de vie à la naissance observées en 2021 et 2022, et les prévisions de l’Insee dans les trois scénarios d’espérance de vie.
Le seul scénario compatible avec ce qui est observé jusqu’ici est celui d’une espérance de vie basse, ce point a déjà été souligné ici et par le démographe Hervé Le Bras. Ce scénario n’a donc rien d’extrême, ce sont bien les scénarios central et haut qui sont extrêmes, car en décalage total avec la réalité. Il serait tout à fait étonnant que l’espérance de vie rattrape dans les années qui viennent la trajectoire du scénario central car, comme le dit Hervé Le Bras, « l’écart ne devrait que s’accroître entre les scénarios retenus par le COR et la réalité, car dans la plupart des pays développés, on observe une décélération, voire un début de baisse de l’espérance de vie. »
Privilégier le scénario central n’a donc aucune pertinence et n’aboutira qu’à une contestation des conclusions du prochain rapport du COR. Il est vrai que le Président continue à dire ad nauseam que l’espérance de vie augmente, mais ce n’est pas parce qu’il ignore, dans tous les sens du terme, les données d’espérance de vie depuis plus de dix ans qu’il faut faire comme lui : l’espérance de vie n’augmente plus comme avant.
Ce n’est pas la première fois que l’Insee fait des projections qui se révèlent fausses à courte échéance. Ce n’est pas grave, l’Insee faisant ce qu’il peut avec les données à sa disposition et il arrive que l’écart avec la réalité soit cruel. Ainsi, l’Insee prévoyait en 2002 un pic de la population active de 27 millions en 2007 puis une diminution progressive pour atteindre 24 millions en 2050. Dans la réalité, la population active était de 30 millions en 2021 et projetée comme devant être de même taille en 2050. Pour les projections d’espérance de vie, les scénarios de l’Insee central et haut ne sont pas pertinents et la probabilité de les voir se réaliser est plus que faible.
Faut-il y voir une réaction après le coup de pression de la Première ministre ? Le 13 avril, Élisabeth Borne disait vouloir refonder l’organisme… En somme, il s’agit de savoir si le COR va élaborer des conclusions en adéquation avec la réalité démographique ou se lancer dans un exercice de fiction, au risque d’être immédiatement critiqué et perçu comme tentant de tromper la population. On parle beaucoup en ce moment de défiance envers les institutions : n’en rajoutons pas.
Éric Le Bourg, chercheur retraité du CNRS en biologie du vieillissement