Contre-réforme des retraites : « C’est pour mieux les sauver », disent-ils

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Dans sa chronique consacrée à l’équilibre financier des retraites, Bernard Marx revient sur l’argument perfide de Macron pour justifier sa contre-réforme : le déficit permanent et insupportable du système.

Lors de ses vœux pour 2023, Emmanuel Macron a donc finalement décidé de placer sa contre-réforme des retraites sous la seule ambition d’une consolidation durable du système par répartition auquel les Français sont légitimement très attachés. L’argument essentiel devient celui du déficit permanent et insupportable si on laisse les choses en l’état. Et le recul de l’âge de la retraite à 64 ou 65 ans combiné à l’accélération de l’allongement à 43 ans de la durée de cotisation permettant une retraite à taux plein seraient les seuls moyens d’équilibrer financièrement le système.

 

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« L’objectif est de consolider nos régimes de retraite par répartition, qui, sans cela, serait menacé, car nous continuons de financer à crédit », tentait comme justification le chef de l’État. Cela n’a pas toujours été le cas. Il y a quelques mois à peine, en juin 2022, il s’agissait de prendre sur les retraites pour financer davantage de services publics.

Et fin juillet, le programme de stabilité du gouvernement transmis à Bruxelles expliquait que les réformes structurelles et « notamment la réforme des retraites » sera le principal moyen d’obtenir un ralentissement drastique des dépenses publiques en dessous de la croissance globale espérée et de financer de nouvelles baisses d’impôts pour les entreprises :

« Ce Programme de Stabilité permet de fixer les principales ancres de finances publiques et de politique économique pour le prochain quinquennat. Il s’inscrit dans le cadre des mesures annoncées par le Président de la République au cours de la campagne électorale, en faveur du pouvoir d’achat des Français et de la compétitivité des entreprises : c’est par exemple le cas de la suppression de la redevance audiovisuelle, qui est d’ores et déjà proposée dans le cadre du Projet
de loi de finances rectificative pour 2022, ou encore de la baisse des impôts de production dès 2023.

Les mesures du programme présidentiel seront mises en œuvre tout en garantissant la soutenabilité de nos finances publiques en maîtrisant l’augmentation de la dépense publique dans toutes ses sphères (+0,6% en volume hors urgence et relance en moyenne sur la période 2023-2027). La soutenabilité des finances publiques ne se fera pas par une hausse de prélèvements obligatoires, hors réduction justifiée de niches fiscales et sociales. La maîtrise des dépenses publiques repose principalement sur des réformes structurelles, la réforme des retraites notamment comme le Président de la République s’y est engagé au cours de la campagne électorale. »

Le programme de stabilité de la France 2022-2027, page 3

Mais puisque l’argumentaire de la Macronie se concentre sur la question de l’équilibre et la viabilité financière du système des retraites, essayons de voir de plus près ce qu’il en est.

1. Des prévisions de déficit durable mais limité

Cette année, le système de retraite sera excédentaire de 3,2 milliards après un excédent de 900 millions en 2021. Instance indépendante et pluraliste d’expertise et de concertation, le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) est chargé d’analyser et de suivre les perspectives à moyen et long terme du système de retraite français. Il élabore pour ce faire plusieurs scénarios en faisant varier la croissance de la productivité (entre +0,7% à 1,7% par an), le taux de chômage, les évolutions des salaires de la fonction publiques et le taux de cotisation de l’État.

Selon ses prévisions établies en septembre – ne tenant pas compte de la contre-réforme du gouvernement –, sur les dix prochaines années, de 2022 à 2032, « la situation financière du système de retraite se détériorerait avec un déficit allant de 0,5 point de PIB à 0,8 point de PIB en fonction de la convention et du scénario retenu ». Il faut souligner d’emblée qu’il s’agit en tout état de cause d’un déficit limité. De l’ordre de 12 à 15 milliards par an pour un montant total de pensions de 330 milliards. Cela ne met pas en cause la viabilité du système.

Sur les 25 prochaines années, le système de retraite serait en moyenne déficitaire, mais de façon aussi limitée, selon l’une des deux conventions de financement par l’État retenue. À plus long terme, la situation financière du système de retraite dépendrait de la convention et du scénario. Dans la moitié des cas le système redeviendrait progressivement excédentaire. Mais la fiabilité de ces prévisions économiques à si long terme est très faible. L’exercice prévoyant une évolution de la productivité stable sur les 50 prochaines années n’a pas de sens.

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Rapport COR, page 100

 

2. Ce ne sont pas les dépenses qui font le déficit

Dans tous les scénarios retenus par le COR, les dépenses de pension sont stabilisées autour de 14 à 14,5% du PIB, malgré le vieillissement relatif de la population. Elles ont même tendance à diminuer sensiblement après 2037, malgré le vieillissement, compte tenu des effets des huit réformes déjà réalisées depuis 1993, toutes prétendument pour « sauver le système ».

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Rapport COR, page 7

 

Cela ne doit pas étonner. Le COR prévoit une dégradation du taux de remplacement des pensions de retraite par rapport aux salaires et aux autres revenus professionnels des actifs.

Progressivement, la parité de niveau de vie entre actifs en emploi et retraités – qui constitue l’un des grands acquis sociaux du système de retraite français – ne serait plus assuré. À partir des années 2030, il y aurait en moyenne un appauvrissement relatif des retraités.

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Rapport COR, page 8

 

3. Le déficit vient de l’insuffisance des recettes… dont la politique du gouvernement est directement responsable

Le COR a inscrit dans ses calculs les hypothèses et les politiques du gouvernement ayant directement un impact sur les ressources des systèmes de retraite. Il se cale sur un taux de chômage à 4,5% à l’horizon 2027. Ce qui fait augmenter les recettes et diminuer le déficit. Mais comme c’est très peu crédible compte tenu de la politique du gouvernement, le COR refait monter le taux de chômage à 7% à l’horizon 2032. Ce qui accroît le déficit entre 2027 et 2032.

Par ailleurs, le COR inclut le programme de régression des emplois et des salaires dans la fonction publique, notamment dans la fonction publique territoriale. Cela creuse mécaniquement le déficit de ces régimes et donc le déficit global de l’ensemble du système de retraite.

D’autre part, l’État et les collectivités publiques participent comme employeurs au financement de ces systèmes spécifiques. Selon que l’État maintient son financement en niveau ou en pourcentage du PIB, le déficit sera diminué ou augmenté. C’est ce que montre les calculs du COR effectué selon ces deux « conventions » dites EPR (financement constant en niveau) et EEC (financement constant en purcentage du PIB). Dans le cadre du programme de stabilité, une politique d’économie sur les participations de l’État au financement des retraites sera directement responsable du creusement des déficits du système de retraite. Mais les coupables désignés seront les « privilégiés » de la fonction publique et des régimes spéciaux. Et le recul de l’âge de la retraite de tout le monde est le remède prétendument nécessaire pour sauver le système.

D’autres politiques publiques ont un impact négatif sur les recettes. La prime Macron, la baisse des cotisations pour les travailleurs indépendants, l’intéressement et les mécanismes d’épargne retraite d’entreprises sont autant de mécanismes de contournement des salaires qui bénéficient d’exonération de cotisations sociales. Cela diminue d’autant les ressources de la protection sociale en général et souvent le système de retraite en particulier. C’est de moins en moins l’épaisseur d’un trait. Le coût pour la Sécurité sociale de la prime Macron est supérieur à 1 milliard. Et selon l’économiste Michaël Zemmour, ces mécanismes constituent une perte annuelle de recette estimée en 2020 à neuf milliards d’euros pour la seule Sécu.

4. Les recettes pourraient augmenter autrement

Si l’on considère les prévisions de déficit du COR de l’ordre de 0,5% à 0,8% du PIB par an dans la prochaine décennie, une augmentation très limitée des cotisations sociales équilibrerait les comptes. Si on fait porter tout l’effort sur les salariés, explique Michaël Zemmour, il faudrait une augmentation de 1% du taux de cotisation. Cela représenterait à horizon de cinq ans une augmentation des cotisations de onze euros au niveau du SMIC net par mois et vingt euros au niveau du salaire moyen. Ce n’est pas rien, mais de loin préférable à une retraite à 65 ans.

D’autant que d’autres financements pourraient diminuer cette ponction : comme de répartir l’augmentation entre les cotisations salarié et employeur, une augmentation plus forte du taux de cotisation en haut de l’échelle des salaires et des rémunérations et la suppression des exonérations de cotisations sur les primes Macron. Ou encore l’obligation de remboursement de la dette sociale, ce qui alourdit la charge financière, alors qu’elle devrait être traitée comme les autres dettes publiques.

Les fortes incertitudes pesant sur les hypothèses du COR concernent notamment l’évolution de la productivité du travail et des enjeux comme la perte de sens du travail. Mais le COR laisse d’autres questions essentielles sous le tapis, comme les inégalités de salaires femmes/hommes. La CGT a chiffré à six milliards ce que leur suppression rapporterait au système de retraite.

Au-delà, l’injustice et l’inefficacité du report de l’âge de la retraite concerne l’emploi. Le leitmotiv de la contre-réforme est qu’il faut travailler plus longtemps. C’est une perfidie, explique l’économiste atterré Jean-Marie Harribey : « Près de la moitié des plus de 60 ans sont déjà hors emploi […] Le sas de pauvreté entre l’emploi et la retraite concerne 28,3% des plus de 60 ans, ceux qui ne sont ni en emploi ni en retraite, et qui doivent vivre avec un RSA, une allocation d’adulte handicapé ou une allocation d’invalidité ». L’allongement de la durée du travail augmentera très peu leurs emplois mais il alourdira ces situations et donc les dépenses sociales. Jusqu’à près de 50% des économies prévues sur les retraites, selon Michael Zemmour.

Et surtout avant de travailler plus longtemps, ce qui serait socialement juste et financièrement efficace, c’est que l’emploi augmente vraiment, que les cinq millions et demi de demandeurs d’emplois obtiennent un emploi à plein temps. Que le taux d’emploi augmente d’abord pour les plus de 20 ans et pour les femmes. Si cela se fait, l’emploi pour les plus de 62 ans pourra rester ce qu’il est aujourd’hui. Une possibilité pour celles et ceux qui le souhaite. Pas une obligation qui réduira ce temps de vivre pour celles et ceux pour qui il est déjà trop court.

 

Bernard Marx

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