Pourquoi tout s’effondre autour du budget

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Entre Horizons qui s’émancipe, LR qui s’égare et un PS piégé, le gouvernement cherche un compromis qui n’a jamais existé.

Toujours le budget, toujours l’impasse. La scène politique, depuis des mois, ressemble à un théâtre où ceux qui pensent tenir les rôles-titres croient de moins en moins à la pièce. Sébastien Lecornu, premier ministre sans majorité mais avec beaucoup d’abnégation, s’épuise désormais à faire la tournée des partis (PS, PCF, Écologistes, LR, même RN) pour tenter d’arracher un compromis sur le budget de la Sécu. Et dans la lettre solennelle qu’il envoie aux entrepreneurs, il présente la situation comme un « moment de clarification nationale » entre ceux qui veulent que « le pays tienne » et ceux qui préféreraient qu’« il vacille ». Derrière cette dramaturgie un peu forcée, c’est surtout tout le fragile échafaudage élaboré par les socialistes et les macronistes qui vacille, empêtré dans des équations politiques insolubles et des contradictions structurelles.

Car enfin, de quoi parle-t-on ? D’un budget que les philippistes d’Horizons n’ont aucune intention d’endosser s’il comporte trop de concessions à la gauche (on s’étrangle mais c’est bien ce qu’ils disent : suspension de la réforme des retraites, hausse de la CSG sur le capital, remise en cause des exonérations) et qu’ils jugent coupable de laisser filer les dépenses. Horizons, ce parti qui se voulait le versant raisonnable du macronisme, est en train de devenir son aiguillon permanent. Son évolution était prévisible : à l’approche de 2027, Édouard Philippe doit imprimer une marque distincte, une cohérence, une charpente… et peu importe si cela désosse complètement le bloc central et le déporte chaque jour davantage vers la droite radicale.

Face à eux, Les Républicains, dans une surenchère identitaire sans boussole, répètent qu’ils n’ont aucune envie de voter ce budget : leur rapporteur général Philippe Juvin le dit sans détour. Les LR sont incapables de s’opposer à l’exécutif autrement qu’en recyclant les réflexes de l’opposition pavlovienne, sans jamais produire une alternative crédible. Ils jouent désormais le rôle qu’ils leur restent : celui de la minorité grincheuse. Bruno Retailleau, leur starlette aujourd’hui déjà sur le retour, ne sait plus où il habite et a lancé une pétition ridicule contre une proposition d’Emmanuel Macron de labellisation des médias. Le mec est perdu. 

Dans ce décor, les socialistes ne se retrouvent pas tant au centre du jeu qu’au centre du piège. Le gouvernement les supplie de s’abstenir, voire de voter le texte. Le PS négocie avec Matignon autour de ses priorités : pouvoir d’achat, franchises médicales, réduction des exonérations plutôt qu’impôt sur le patrimoine. Mais le PS vient aussi avec une question politique : Sébastien Lecornu est-il réellement le chef de cette majorité introuvable ? Leur constat est simple : la coalition dite centrale est un nuage de poussière. Aucune cohérence, aucune colonne vertébrale. Et pourtant, c’est aux socialistes qu’on assigne la tâche ingrate de sauver un budget qui n’est pas le leur. Ils devront donc choisir : endosser un texte qui ne contient que des miettes de leurs attentes, ou assumer l’effondrement d’un compromis rêvé… Ils sont accusés de « faire tomber le pays » par un exécutif qui les tance tout en les implorant.

Les Écologistes, eux, déjà très critiques, glissent vers un vote contre. PCF, LFI et RN voteront assurément contre. La commission des affaires sociales a déjà rejeté le texte. Bref : la majorité mathématique n’existe pas. Et tout le monde le sait.

Alors que reste-t-il ? Le renoncement au 49.3 ? Une ligne rouge dont plus personne n’espère qu’elle tiendra. On entend déjà monter la petite musique : « Nous avons essayé, le compromis était impossible ». Une pirouette pour un pouvoir qui, faute d’autorité politique, se réfugie dans les outils constitutionnels.

Le cœur du problème est ailleurs : un exécutif sans cap, une coalition sans structure, une opposition morcelée, un pays gouverné comme on gère un conseil d’administration dispersé. 

Ce budget n’est pas seulement fragile. Il symbolise ce moment politique où la Vème République marche sur des œufs. Où l’on ne gouverne plus, mais on rafistole. Où la stabilité n’est plus une orientation, mais un mythe. Où la gauche modérée se retrouve à jouer les garants d’un pouvoir qu’elle combat. Et où ceux qui prétendent « faire tenir le pays » sont ceux qui, par leurs propres revirements, le fragilisent le plus. Le budget se jouera à quelques voix. Et la République se joue sur un fil.

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