« Plus on nous tape dessus, meilleur c’est » : après « La Meute », les militants insoumis font bloc

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La base militante insoumise balaie toute critique et serre les rangs après la publication du livre-enquête sur le mouvement mélenchoniste. Certains militants regrettent le refus de se remettre en question. Mais ces derniers se font rares.

La plupart ne l’ont pas lu. Mais tous les insoumis le jurent : La Meute, le dernier livre sur La France insoumise (LFI), écrit par les journalistes Charlotte Belaïch (Libération) et Olivier Pérou (Le Monde), ne serait qu’une grande fiction. Publiée le 7 mai chez Flammarion, l’enquête menée pendant deux ans au cœur de cette machine au fonctionnement clanique et tournée entièrement vers la prochaine aventure présidentielle de Jean-Luc Mélenchon ne serait donc qu’un tissu de mensonges, une petite fable orchestrée par les médias dominants. Le but ? Fracturer la gauche de « rupture ». 

« C’est un énième brûlot anti-Mélenchon, un livre truffé de mensonges, l’énième acharnement médiatique qui décrit encore ce mouvement “nébuleux” ou “antidémocratique”. Pas un militant n’y croit, résume Nicolas Heyn, militant LFI à Lille depuis 2016 et directeur de cabinet du maire insoumis de Faches-Thumesnil (Nord), Patrick Proisy. Cet outil de propagande qui veut la mort de notre camp réunit les mêmes poncifs sur le supposé manque de démocratie interne et les témoignages de ceux qui n’ont pas réussi à faire imposer leurs volontés, de ceux qui n’existent qu’en critiquant Jean-Luc Mélenchon. » En Gironde, Jean-Louis, militant insoumis et membre du Parti de gauche (PG), est d’accord : « Quand bien même il y aurait des choses vraies, notamment sur la circulation de la parole en interne, sur une certaine forme de démocratie, toute cette enquête reste caricaturale, c’est à charge. Les journalistes insistent sur la psychologie de Mélenchon, ses colères, sa volonté d’avoir toujours raison. Mais il n’est jamais question de fond, de la 6e République, des services publics, du partage des richesses, de l’application du droit international… » 

La vraie « meute », ce serait surtout cette « meute journalistique » qui cible, selon les insoumis, systématiquement le mouvement. « Ce livre n’est que la continuité du traitement médiatique sur LFI, dénonce Georges Perron, militant à La Roche-sur-Yon (Vendée). On entend moins les médias sur la condamnation de Le Pen. Par contre, on se concentre sur Mélenchon, qu’on montre la gueule ouverte ou qu’on traite d’antisémite. C’est plus facile de s’attaquer aux personnes qu’à notre programme. Les insoumis se sentent blessés par ces insultes. » Pour Nicolas Pellegrini, militant insoumis dans le Gard et co-secrétaire départemental du PG, le « LFI bashing » serait presque devenu un sport national. « Il y a eu Thomas Guénolé (La Chute de la maison Mélenchon, Albin Michel, 2019) ou Hadrien Mathoux (Mélenchon : la chute, éditions du Rocher, 2020). Ça fait partie du rituel. Mélenchon fait vendre. On diabolise cet homme, la seule personnalité de gauche visible dans le pays, qui a du caractère. On a l’habitude du bashing, déplore-t-il. Ce sont les arguments habituels sur le manque de démocratie interne, les témoignages de ceux qui se sont “purgés”, qui ont eu des ambitions présidentielles et qui ont compris qu’on n’allait pas brader un programme pour eux. Ce n’est pas nouveau. »

A entendre les militants, les critiques concernant le manque de démocratie interne du mouvement « gazeux » restent encore et toujours infondées. « Le discours médiatique est le même, on nous rabâche à chaque fois les arguments sur la démocratie. On tente de faire une caricature : Mélenchon chapeauterait tout depuis Paris comme dans une “Nomenklatura”. C’est une fiction », grince Loan Panifous, militant à Mérignac (Gironde). Tous les six mois, LFI organise une assemblée représentative pour décider de ses orientations. Et les insoumis le répètent en chœur : aucune formation de gauche ne fait voter autant ses membres. « Il faut comprendre qu’on n’est pas un parti politique, on est un mouvement, certifie Guillaume Dehaeze, désigné co-chef de file pour les municipales à Tours et co-secrétaire départemental du PG en Indre-et-Loire. Notre fonctionnement interne n’est donc pas celui que nous pouvons retrouver dans les autres forces politiques françaises. On ne vote pas sur tout mais on est consultés, on est informés, on est dans l’action, on veut mettre en œuvre notre programme pour changer la vie des gens. » « C’est une diversion. Croire qu’on suit bêtement ce que dit Mélenchon ou Bompard, ça n’existe pas. Il y a des débats entre nous : nous restons des insoumis », dit un militant de Gironde qui questionne néanmoins la communication, notamment sur X (ex-Twitter), de certains députés.  

Certains jurent que cette enquête publiée n’est même pas un sujet en interne. Un livre ? Quel livre ? « Personne n’en parle. On ne veut pas perdre de temps à commenter un énième livre qui dénigre LFI. On se concentre sur notre action, on se prépare pour les municipales, notre ordre du jour en réunion reste le même », assure Muriel, co-animatrice d’un groupe d’action en Gironde. « Ça a été évoqué entre militants mais ce n’est pas un sujet dont on a énormément parlé, évacue Anne-Laure Gaudin, militante à Marseille. On va continuer à faire ce qu’on fait : militer sur le terrain, continuer à défendre notre programme pour changer la vie des gens et ignorer ces fausses polémiques. » Tous semblent se fier à la note de Manuel Bompard, coordinateur national de LFI, qui a circulé dans les boucles militantes. Elle est intitulée « Bien faire son travail et laisser braire ». Le message a le mérite d’être clair : les mélenchonistes doivent serrer les rangs. « On commence à s’habituer à ce type de cabales, lâche Céline Polo, militante dans l’Allier. Mais dans la vie de tous les jours, ça fait moins d’émules. Sur les marchés le dimanche, on ne me parle pas de ce livre. Ça ne va pas nous arrêter de croire en ce en quoi nous croyons. »

Pour beaucoup, ces « attaques » médiatiques s’inscrivent dans un combat politico-culturel : les médias s’en prendraient aux insoumis parce qu’ils représenteraient une menace pour le pouvoir en place. « Entre le Complément d’enquête, ce livre et les propos d’Alain Jakubowicz, ça fait boulet de canon sur boulet de canon. Tout cela fait partie d’un concert bien organisé. Si on est autant attaqués, c’est qu’on doit déranger. Ils veulent casser la force politique qui veut porter la radicalité. Notre programme de rupture, on ne doit rien lâcher là-dessus », avance Jean-Pierre Quilgars, conseiller municipal insoumis à Bagneux (Hauts-de-Seine). A Valence (Drôme), Jimmy Levacher, conseiller municipal d’opposition, reprend l’argumentaire : « Notre programme, même s’il est modéré si on le compare à celui de la gauche des années 1980, propose de changer tellement de choses que tout un paquet de personnes veulent nous abattre. Cette surenchère devient risible. C’est simplement une période à passer. »

Annie Lafarge, militante dans la Drôme également, partage le point de vue : « Ce n’est pas une enquête, c’est un thermomètre, le thermomètre qui indique la peur qu’inspire LFI. On est ciblé parce qu’on est la seule force de rupture en capacité d’accéder au pouvoir, parce qu’on promet la 6e République. Ça fait peur à ceux qui sont installés, à ceux qui ont le pouvoir. Mais ça veut dire qu’on est sur la bonne voie. » En Gironde, Olivier Maneiro, ex-candidat aux législatives de 2022, pousse même le raisonnement plus loin : cette enquête pourrait paradoxalement servir électoralement LFI. « Si les capitalistes tremblent, c’est qu’on doit leur faire peur, pense-t-il. Et plus on leur fait peur, plus les gens vont comprendre qu’on est la solution, qu’on s’oppose au système. Tout cet acharnement peut donc nous aider, il nous place comme le seul parti anti-système alors que le Rassemblement national, qui voulait cette position, travaille main dans la main avec le gouvernement. » Didier Bustamante, militant de Dordogne, partage cette réflexion : « Plus on nous tapera dessus, meilleur c’est. On nous traitait d’islamo-gauchistes et maintenant d’antisémites… On dit aussi que la démocratie interne dans notre mouvement est absente. Tout ça n’est pas nouveau. Est-ce que cela nous punit électoralement ? On a toujours prédit notre effondrement. Il n’a toujours pas lieu. »

Les effets « positifs » de cette enquête se feraient même déjà sentir. En meeting le 13 mai, Jean-Luc Mélenchon a rempli l’espace Lienhart de la petite ville d’Aubenas (Ardèche). « J’ai revu des responsables syndicaux et associations qui ne sont pas à LFI. La mobilisation ne baisse pas. Le temps nous donnera raison », prédit Jimmy Levacher. Sur les réseaux sociaux, les insoumis s’empressent aussi de partager le sondage réalisé par Harris interactive plaçant Jean-Luc Mélenchon à 15 % d’intentions de vote, une enquête d’opinion réalisée le 19 mai, soit douze jours après la publication de La Meute« Tout ce qui fait parler de nous nous fait exister. Le résultat de ce sondage, à deux ans de la présidentielle, montre que nous sommes sur la bonne voie, c’est un formidable espoir pour notre mouvement », commente le Tourangeau Guillaume Dehaeze.

La plupart des insoumis interrogés n’émettent aucune critique à l’égard de leur propre mouvement. Personne ne remet en cause Jean-Luc Mélenchon et son omniprésence en vue de 2027. Rares sont ceux qui osent blâmer à visage découvert leur organisation. « Ce livre reflète ce que pensent beaucoup de militants sous le manteau, affirme pourtant Denis Maciazek, animateur d’un groupe d’action à Metz (Moselle) et candidat aux législatives de 2017. Le fonctionnement de LFI est frustrant : le tirage au sort des Assemblées représentatives est opaque, il n’y a pas de prise en compte des remarques des militants, il n’y a pas de débat possible dans les boucles départementales, ça ne sert à rien de solliciter la coordination nationale. Les militants sont réduits à des pions. Quand ils sont consultés, c’est sans véritable écoute et sans retour concret car les grandes positions politiques sont définies par en haut, sans discussion préalable avec la base. Soit on se soumet, soit on se démet. Et des militants ont foutu le camp, c’est un crève-cœur. » En novembre, Denis Maciazek a envoyé une lettre à Manuel Bompard dans laquelle il écrit que des militants seraient « profondément inquiets du fonctionnement trop vertical de notre mouvement qui se veut pourtant porteur d’un projet politique radical, non seulement social et écologique mais aussi démocratique ». Une missive restée, à ce jour, sans réponse. 

Les paroles dissonantes viennent plutôt de l’extérieur. A Angers (Maine-et-Loire), Ulysse, militant du mouvement depuis sa création et membre du PG pendant 15 ans, a été « purgé ». Comme de nombreux militants, il a été signifié de son exclusion par un mail, envoyé en septembre 2024, de la part du Comité de respect des principes du mouvement. Il critique aujourd’hui la réaction des militants insoumis suite à la publication de ce livre. « Ils dénoncent tous une cabale. Mais en adoptant ce mode de défense, ils valident tout ce qui est écrit dans l’enquête : LFI est en pleine dérive sectaire, les insoumis se voient comme une forteresse assiégée, estime-t-il. A court terme, le mouvement ne va pas se repenser, le noyau dur va se renforcer dans l’isolement et les militants de base convaincus ont déjà entendu tout ce qui est écrit dans le livre. Rien ne va changer. Ceux qui étaient un peu ouverts à la critique sont déjà partis. » 

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