Plus de bruit !
L’hiver dernier, à l’heure où frémissait la campagne présidentielle, dans les dîners, au
café, entre amis, en famille, nous causions politique. Une fois n’est pas coutume. Pénétrés
jusqu’à la moelle par les sondages et autres pronostics électoraux – injectés sans modération
par les médias –, nous devisions, tels des experts, sur les meilleures stratégies de vote
susceptibles d’introduire un rapport de force. Au premier tour. Au deuxième tour. Si tous
nous accordions sur le fait qu’il fallait d’urgence sortir de l’ère Sarkozy, les dissensions sur
les moyens d’y parvenir faisaient souvent grimper les décibels de nos tablées conviviales.
Entre ceux qui voulaient voter Hollande dès le premier tour (si, si), ceux qui ne voulaient
voter qu’au premier round – « J’ai voté Chirac en 2002, Royal en 2007, alors Hollande en
2012, c’est niet ! » – sans parler de ceux (moins nombreux) qui ne voulaient plus voter
du tout, autant dire que les discussions allaient bon train. Je me souviens aujourd’hui
d’un argument qui avait souvent raison des plus récalcitrants au vote socialo du deuxième
tour : le pouvoir de la rue. Autrement dit, après dix années de néolibéralisme de
droite, de gouvernements totalement sourds aux revendications des mouvements sociaux
(retraite, recherche, etc.), avec l’accession au pouvoir d’un gouvernement certes libéral
mais de « gauche », on allait voir ce qu’on allait voir ! À peine Hollande installé à l’Élysée,
nous ressortirions nos banderoles et reprendrions le pavé pour de nouveau gagner des
batailles dans la rue. Chiche. On a voté Hollande au deuxième tour. Et depuis, c’est la
droite qui bat le pavé, et nos batailles vacillent. Même celles qu’on croyait gagnées. Hollande
avait promis le mariage homo, une victoire arrachée de haute lutte, menacée en un
week-end par deux manifs de droite et une clause de conscience pour les maires homophobes.
Certes, abrogée depuis, mais le vent du boulet a frôlé la pièce montée. Quelques
semaines plus tôt, un battement d’aile des patrons pigeons a fait s’envoler le projet de taxer
les plus-values en cas de cession d’entreprises. Pfffttt ! Pendant ce temps, à Notre-Damedes-
Landes, à Florange, les luttes continuent, en vain… Inaudibles. Le 1er décembre,
alors que chômeurs et précaires défilaient dans les rues de Paris, les médias donnaient
essentiellement de la voix aux manifestants-toubibs inquiets quant à la remise en cause
de leurs dépassements d’honoraires.
La droite serait-elle en train de nous confisquer notre pouvoir contestataire ? On dirait
bien. Alors, si nous ne voulons pas que l’insurrection qui vient se perde en chemin, il va
vite nous falloir reprendre la rue et faire plus de bruit.