Mourir pour des papiers…

Fortement mobilisées sous l’ère Sarkozy, les organisations de lutte pour les sans papiers aspiraient à un peu de répit sous la nouvelle présidence socialiste. Raté. Bien au contraire, pour faire entendre leurs voix, elles ont dû récemment se rassembler sous la bannière d’un nouveau collectif.

Faut-il mourir pour avoir des papiers ? Une question. Un collectif. Un collectif en forme de question né cet hiver dans la région parisienne en soutien aux sans papiers de Lille engagés dans une grève de la faim. Ces grévistes, installés sur le parvis de l’église Saint Maurice de Lille, réclamaient le droit de déposer leurs dossiers de régularisation, la reconnaissance du Comité des sans papiers 59 (CSP 59) comme un interlocuteur valable du préfet, c’est-à-dire la possibilité pour ces sans papiers auto-organisés de défendre tous les mois les dossiers en préfecture, et la régularisation de leur situation. Il aura fallu attendre 70 jours avant que le préfet du Nord accepte « un examen bienveillant  qui se définit comme la prise en compte de toutes les réalités personnelles du demandeur ».

70 jours, 4 hospitalisations et 2 expulsions. Faut-il mourir pour avoir des papiers ? La question méritait d’être posée. À qui ? Au préfet du Nord, au ministre de l’Intérieur, au gouvernement, au Président et plus généralement à l’ensemble du Parti socialiste. Par qui ? Par l’ensemble des organisations de soutien aux sans papiers de la région parisienne, par la Fase, la Gauche unitaire, le NPA, la Gauche anticapitaliste, le Parti des Indigènes de la République, la Brigade anti-négrophobie, Sud Étudiants…La liste est longue. « Tout a commencé lorsque nous sommes allés à Lille, mi décembre. Nous avons dû louer deux bus car nous étions plus de 100 militants. S’est alors posée la question de constituer la solidarité. Il fallait qu’on se dote d’un nom, d’une identité», explique Sarah Benichou, membre du collectif et militante au NPA.

Un nom. Une question. Une cible. Si bien évidemment, les militants manifestent sous les fenêtres de Manuel Valls, ce qui leur vaudra quelques heures au commissariat du coin, ils privilégient la rue Solférino. Et ce pour deux raisons. Pointer les contradictions du gouvernement, en empathie dans son discours, intraitable dans les actes. Exploiter les discordances au sein même du parti. « Les membres du PS ne partagent pas tous la politique de Valls sur les sans papiers. Certains par exemple font partie de la Ligue des droits de l’Homme, on imagine qu’ils doivent se sentir très mal à l’aise », analyse Sarah Benichou. Si le ministre de l’Intérieur teste les limites des militants socialistes, le collectif aussi. L’idée est donc de peser suffisamment lourd dans ce rapport de force, pour réveiller leur conscience et les faire pencher à gauche. Pour ce faire, ils multiplient leurs interventions rue Solférino, allant même, le 3 janvier dernier, jusqu’à s’enchaîner aux grilles. « Les deux dernières semaines de la grève de la faim des sans papiers de Lille, nous avons manifesté tous les soirs devant le Parti socialiste », raconte Anzoumane Sissoko, porte-parole du CSP 93. Une mobilisation à la hauteur des enjeux, mais également nourrie par une certaine amertume. « J’attendais beaucoup de ce gouvernement, je suis très déçu », raconte le militant. Arrivé tout droit du Mali il y a 20 ans, il est resté 14 ans sans papier avant d’être régularisé. Autant dire qu’il connait sur le bout des doigts les procédures administratives qui jalonnent les parcours des combattants de la régularisation. Alors quand on lui parle de la circulaire Valls du 28 novembre dernier, l’analyse est sévère. « Cette circulaire exige des fiches de paie. Or depuis la loi Pasqua de 1992, on interdit aux sans papiers de travailler. Avec ce texte, le gouvernement favorise le travail illégal », explique-t-il. Et d’ajouter : « Pour l’instant, le gouvernement socialiste n’a pas amélioré la situation des sans papiers, ni du côté des contrôles d’identité ni de celui des régularisations. » Un avis partagé par le CSP 59 qui qualifie la politique du gouvernement de «  sarkozysme de gauche », et plus largement par un grand nombre d’organisations de lutte pour la régularisation des sans papiers répartis sur l’ensemble du territoire. 70 jours de conflit, ça laisse le temps de s’organiser à l’échelle nationale. Et le mouvement Faut-il mourir pour avoir des papiers a rapidement fait des émules aux six coins de l’hexagone. À Rennes, à Strasbourg, à Bordeaux, à Toulouse, à Marseille…Partout, les sièges du PS sont assaillis, et les adhérents sommés de répondre à la question. Finalement, le 11 janvier, sous la pression, le Préfet du Nord promet que les dossiers seront examinés « avec humanité  » et les grévistes, mal en point, cessent le jeûne. Et depuis ? « Les mobilisations du mouvement se poursuivent. Nous manifestons tous les mercredis à 18 heures devant le siège du PS à Paris pour réclamer la régularisation effective des sans papiers de Lille et dénoncer la circulaire Valls », déclare Anzoumane Sissoko. « Nous demandons également le retour des deux grévistes algériens expulsés le 31 décembre dernier après 59 jours de grève de la faim, ajoute Sarah Benichou. L’un d’eux était tellement affaibli qu’il a dû être hospitalisé dès son arrivée. »

Faut-il mourir pour avoir des papiers ? La question claque comme une gifle et devrait faire rosir de honte les joues des militants socialistes.

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