Les révoltés ont-ils fait mouvement ?
À l’automne 2015, Regards consacrait le dossier « BANLIEUES : CE QUE LES RÉVOLTES ONT CHANGÉ » à sa revue, 10 ans après les « émeutes ». En 2023, après le meurtre du jeune Nahel, la France semble rejouer inlassablement la même tragédie. Voilà pourquoi nous désarchivons, cet été, tous les articles de ce dossier toujours brûlant d’actualité.
Autour de la révolte de novembre 2005, de nouveaux acteurs ont fait leur apparition dans le champ des luttes des quartiers et de l’immigration. Dix ans après, le point sur les évolutions et les recompositions de leurs mouvances militantes.
En janvier 2005, un appel secoue le landerneau de la gauche militante. En France, y est-il écrit, « le traitement des populations issues de la colonisation prolonge, sans s’y réduire, la politique coloniale ». Ses signataires, « descendants d’esclaves et de déportés africains, filles et fils de colonisés et d’immigrés (…) Français et non-Français vivants en France, militantes et militants engagé-e-s dans les luttes contre l’oppression (…) », dénoncent les discriminations subies par les personnes issues de « l’immigration post-coloniale », et se proclament les Indigènes de la République. Le ton est rageur, un peu provoc, le propos radical mais argumenté.
Dix mois avant les révoltes de novembre, l’appel des Indigènes ramène la question des quartiers et de l’immigration au centre des débats à gauche. Adoptée le 15 mars 2004, la loi sur le voile a déjà donné lieu à de sévères crispations au sein de ce même espace. On s’y s’écharpe sur la figure de Tariq Ramadan et autour de la laïcité – « falsifiée » dira plus tard Jean Baubérot. En convoquant l’histoire (de la traite négrière au 8 mai 1945 de Sétif) et en tripotant des concepts de géopolitique et de philosophie politique (l’impérialisme américain, l’universalisme égalitaire), les Indigènes se placent sur le terrain du débat d’idées.
Collectifs, forums, mouvements, fronts…
Mais, au moment de la révolte, se constitue un collectif plus directement en prise avec les évènements qui se déroulent dans la banlieue parisienne : AClefeu qui rassemble « des citoyen(ne)s, de jeunes animateurs, des éducateurs de rues et des notables » et entend « faire remonter la parole des quartiers populaires auprès des institutions ». Et va pour cela entamer un tour de France, dès janvier 2006, afin de recueillir les doléances des quartiers. Émerge la figure de Mohamed Mechmache.
« Les événements ont transformé notre hiérarchie des questions politiques. Celle des quartiers, qui était une parmi d’autres, est devenue essentielle. »
Salah Amokrane, Tactikollectif / Motivé-e-s
À Toulouse, où les cités s’enflamment, un projet associatif qui s’est structuré dans le quartier des Izards autour de l’aventure du groupe de musique Zebda, se poursuit depuis les années 80. C’est le Tactikollectif qui a engendré la liste des Motivé-e-s, surprise des municipales de mars 2001 lors desquelles ils ont recueilli 12,5 % des suffrages, plaçant quatre élus au Capitole. Dont Salah Amokrane qui, dix ans plus tard, n’a rien oublié de la séquence : « On avait un bon rapport avec les jeunes, mais il était difficile d’intervenir sur le cours des choses : ils étaient dans un moment qui leur appartenait et considéraient que c’était ce qu’ils avaient à faire. Alors on a essayé de faire écho à ce mouvement au sein du conseil municipal, en insistant sur le fait qu’il s’agissait d’une révolte et non pas d’actes de délinquance crapuleuse. Aujourd’hui, je peux dire que ce mouvement a été un moment très important pour nous. Nous avons été brutalement interpellés sur ce que nous étions et faisions en tant que militants. Cela a transformé notre hiérarchie des questions politiques. La question des quartiers, qui en était une parmi d’autres, est devenue essentielle dans notre agenda. »
Au lendemain des révoltes, les Motivés toulousains se rapprochent d’une autre organisation qui, après dix ans d’action militante commence un peu à battre de l’aile, le Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB) – lequel, à l’époque, soutient la lutte des habitants du Petit-Bard de Montpellier. Avec les Lyonnais de DiverCité, ils lancent le Forum social des quartiers populaires (FSQP). Rassemblant des collectifs engagés sur les questions de banlieue et d’immigration, le FSQP entend constituer une force autonome pour peser dans les débats. Parti politique ou pas, la question n’est pas tranchée d’emblée. Trois éditions successives se déroulent à Saint-Denis en juin 2007, à Nanterre en octobre 2008, et à Montpellier en octobre 2009. Le quatrième, dernière en date à ce jour, a lieu en novembre 2011 à Saint-Denis. Dans la foulée, apparaît en décembre le Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP).
« Je ne crois pas à la constitution d’un parti. Ce que je souhaite, c’est permettre l’unité d’organisations qui se retrouvent sur des luttes concrètes. »
Saïd Bouamama, sociologue, FUIQP
En 2012, lors des quatrièmes rencontres nationales des luttes des immigrations à Échirolles, le sociologue Saïd Bouamama nous avait ainsi résumé le fond de la divergence stratégique ayant conduit à cette “scission” : « Je ne crois pas à la constitution d’un parti. Ce que je souhaite, c’est permettre l’unité d’organisations qui se retrouvent sur des luttes concrètes ». Une volonté de « construire par le bas », autonome du champ politique traditionnel, réitérée en avril dernier à Saint-Étienne lors des cinquièmes rencontres.
Dégradation des liens avec la gauche
Mais la “forme parti” honnie par le FUIQP séduit d’autres militants. En février 2010, le mouvement des Indigènes de la République (MIR, issu de l’appel éponyme), s’est mué en Parti des Indigènes de la République (PIR) ; et en juin 2012, s’est constituée une éphémère Force citoyenne populaire (FCP), émanation du FSQP. La tentative unitaire qui tient la corde semble aujourd’hui être celle du FUIQP. Pour autant, si la teneur des débats lors des dernières rencontres nationales à Saint-Étienne a laissé entrevoir une dynamique intéressante, elle demeure fragile quantitativement. Ils étaient environ deux cents et aucun représentant des formations de la gauche radicale ne s’y est déplacé.
De manière générale, cette décennie a vu se distendre, sinon se dégrader, les liens entre les mouvements des quartiers et les organisations politiques de la gauche. Le NPA a en partie explosé en 2010 sur la question d’une candidate voilée. À Toulouse, le Tactikollectif en a fini avec son expérience municipale, « épuisante mais très riche » selon Salah Amokrane, et recentré ses actions dans le champ culturel et de la mémoire des immigrations. Sans pour autant renoncer à son rôle d’agitateur politique, qui se poursuit notamment avec l’organisation chaque année du festival Origines contrôlées. Mohamed Mechmache, lui, a rejoint EELV dont il sera la tête de liste en Seine-Saint-Denis pour les régionales de décembre. Il est également le coprésident de la coordination “Pas sans nous” – dont beaucoup se défient, y voyant une nouvelle courroie de transmission de la politique de la ville dans les quartiers.
Le PIR, enfin, a fêté en mai dernier les dix ans d’existence de son mouvement dont l’apport au débat théorique, notamment sur la perception de la question raciale en France, est indéniable. Pour autant, le parti incarné par Houria Bouteldja a souvent pris des positions politiques clivantes, nourrissant des critiques récurrentes. Leur approche “ethnicisant” tous les sujets de façon systématique et un détachement des luttes sociales dans les quartiers, au profit d’une sur-présence dans les joutes intellectuelles, leur sont souvent reprochés, y compris au sein des militants des quartiers.
Mais la droitisation du débat politique, le durcissement des conditions sociales dans les cités et des bouleversements géopolitiques inattendus ont fourni des occasions de se retrouver malgré les divergences : dénonciation des violences policières en banlieue, solidarité avec les Palestiniens et avec les révolutionnaires tunisiens et égyptiens. Prochaine étape, le 31 octobre prochain, le Collectif marche des femmes pour la dignité (MAFED) appelle à une manif autour d’Amal Bentounsi dont le frère a été tué en avril 2013 par la police française. À ses côtés devraient marcher Houria Bouteldja, Rokhaya Diallo, Sihame Assbague ou encore Ismahane Chouder. Des femmes à l’initiative : un autre marqueur des dix ans passés de mobilisation dans les quartiers.
Une tentative de récupération d’un fait social par les partis de gauche et d’extrême-gauche. Classique en politique, c’est le propre de tous les partis. Ceux de droite et d’extrême-droite ne s’en privent pas eux non plus. La différence est que dans leur cas, un chorus d’indignation s’élève parmi les donneurs de leçon de morale.
Vous avez mal lu.
C’est article parle justement de l’auto organisation des militants des banlieues populaires.
On est donc loin de la « récupération d’un fait social », comme vous dites.
Quant au rapport avec l’extrême droite… Je vous laisse avec vos obsessions.
@Mackno. Vous me lisez mal. Ai-je parlé de rapports avec l’extrême-droite ? J’observe simplement qu’en France il y a des partis modérés et des partis extrémistes. C’est un fait. Le citer n’a rien d’obsessionnel.
Les mouvements venus des banlieues, même s’ils ont surgi de façon autonome, sont guettés par les formations de la gauche modérée, le PS et EELV pour le dire vite, et de l’extrême-gauche, LFI et le PCF pour le dire non moins vite. Ces formations plus anciennes ont plus de militants, de meilleures structures, des réseaux d’élus sur place, des relais médiatiques, de l’argent. Là est la récupération. Au demeurant je n’en suis pas spécialement choqué, cela fait partie des mœurs politiques ordinaires. Il faut vivre avec, en gardant son quant-à-soi.
A chaque fois qu’on dit : »C’est de la récupération politicienne » …mais, la « politique justement » ,c’est de récupérer des « faits sociaux » pour chercher à établir des lois pour apaiser un « climat social mouvementé »!Si personne ne s’indignait ,on passerait à coté et, les « députés » auraient plus grand chose à faire (à part taper sur le clavier du téléphone !)et, il y aurait peu ou pas de débats et, on s’ennuierait à mourir !Les « débats à la TV » se font rares et, les « indigènes de la république » ne sont plus visibles ? « persona non grata » à la télé-vision publique ?On a le droit encore de « choisir » SON programme ???-