Le Pen n’est pas mort

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Il avait 96 ans et une vie entière à bâtir et propager les idées de l’extrême droite en France. Ce mardi 7 janvier, Jean-Marie Le Pen est mort. Pas l’extrême droite.

Depuis 1983, cet homme a été le repoussoir absolu d’une génération, provoquant même l’impensable en 2002 : faire voter contre lui, au second tour d’une présidentielle, la gauche et les « quartiers » en faveur du grand maître des droites d’alors, le coriace Jacques Chirac. Pour une foule immense, il était le spectre redouté des fascismes des années trente du siècle dernier. On avait raison de le craindre : en fait, il a remis en marche l’extrême droite française, longtemps délégitimée par la collaboration avec l’occupant nazi.

On n’a pas vu alors que celui qui aimait tant arborer le béret vert des « paras » de la guerre coloniale avait un sens remarquable des circonstances. On oublia ainsi qu’il était né en politique, au milieu des années cinquante, quand la Quatrième République était au bord de l’épuisement. Il s’était fondu alors dans la première expérience populiste de l’après-guerre, celle du chantre du petit commerce menacé, Pierre Poujade. La fragilité du Le Pen de l’époque tenait à ce qu’il s’est jeté à corps perdu dans les aventures des nostalgiques de la grandeur coloniale. Or il y avait peu de ressources populaires dans cette nostalgie et le jeune député de 1956 paya ce malentendu en entrant dans une longue traversée du désert.

Jean-Marie Le Pen a disparu, mais l’extrême droite n’a pas perdu sa capacité à s’installer dans la hantise du déclin collectif et de l’insécurité.

Il n’a pas raté la seconde occasion, celle du début des années 1980, qui vit en même temps le déclin accentué du communisme, les déboires de l’État-providence et le grand désamour des catégories populaire à l’égard de la gauche. Celle-ci leur avait promis la réalisation – enfin ! – de la « Sociale » : or les socialistes au pouvoir leur ont offert le réalisme, la concurrence libre et non faussée, la mondialisation capitaliste et l’Europe de la rigueur budgétaire.

Jean-Marie Le Pen pensa alors qu’en surjouant la différence, la proposition extrême, la provocation permanente, il parviendrait à tirer vers lui le ressentiment populaire. Après son score retentissant de 2002, qui l’a propulsé au second tour de la présidentielle, il a sous-estimé le fait que la droite « classique » pourrait reprendre à son compte une part de ses idées en les raccordant à une logique globale réputée plus raisonnable. En 2007, le vibrionnant Sarkozy réussit son hold-up « national » sur une fraction non négligeable de l’électorat frontiste.

Sa fille, Marine, reprend alors le flambeau, en corrigeant ce qu’il y avait « d’extrême » dans le projet paternel et, peut-être, en profitant des limites de l’alternative à gauche. Car, depuis 1983, la gauche s’est pour l’essentiel arc-boutée sur le nécessaire mais très insuffisant antifascisme. « F comme fasciste, N comme nazi »… Le mot d’ordre était percutant, mais il ignorait la capacité de banalisation du lepénisme, dans un contexte européen et mondial favorable. Il ne voulait pas voir que le socle de l’extrême droite était avant tout dans la montée du ressentiment. La grande chance de l’extrême droite résidait ainsi dans le recul de l’idée qu’une société d’émancipation était possible. Ce creux laissait le champ libre à l’inquiétude, à la peur, au leurre de la protection nationale, de l’obsession identitaire et du repli sur soi.

Jean-Marie Le Pen a disparu, mais l’extrême droite n’a pas perdu sa capacité à s’installer sur le vide de perspective et dans la hantise du déclin collectif et de l’insécurité personnelle qu’il rend possible. Ce n’est pas en se plaçant sur ce terrain qu’on fera reculer l’extrême droite, mais en lui opposant au positif, dans le projet, les actes et les mots, ce qui a toujours été le terreau de la gauche, celui de l’égalité, de la liberté et de la fraternité.

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4 commentaires

  1. Frédéric Normand le 8 janvier 2025 à 00:04

    Le Pen n’était pas un spectre redouté, mais un spectre fantasmé. Un fantasme qui caractérisait non une génération mais une tendance politique qui a besoin pour exister de crier au fascisme dès qu’on s’oppose radicalement à elle. C’est là une ressource limitée, inefficace sur le long terme. Malgré les côtés antipathiques au possible de sa personnalité et ses multiples condamnations, Le Pen n’était pas un fasciste. Le fascisme suppose un régime de parti unique. Il n’y était nullement favorable. C’était un tribun, le pendant à l’extrême-droite de Mélenchon à l’extrême-gauche.

    Il ne contrôlait pas toujours ce qu’il disait. Ce défaut de maîtrise, difficilement pardonnable, est rédhibitoire pour qui brigue les plus hautes fonctions. On a même dit qu’il n’y aspirait pas, à observer son absence de repentir après ses outrances verbales, alors qu’il lui aurait suffi pour les corriger d’invoquer une saute d’humeur ou un excès de passion. La passion il n’en manquait pas. Les hommes comme lui n’inspirent pas la tiédeur, qu’on les encense ou qu’on les conspue.

    Chef charismatique pour les uns, il était le repoussoir idéal pour les autres. C’est pour cette raison que les socialistes, au début des années quatre-vingt, firent tout pour faire monter électoralement son parti. Il rendait la droite inéligible et la divisait. L’épouvantail changeait de camp : à l’époque de l’URSS, c’était le PCF, au bénéfice de la droite. Puis ce fut le FN, au bénéfice de la gauche. Maintenant c’est le RN. Jusqu’à quand ?

  2. Lucien Matron le 8 janvier 2025 à 07:03

    Le fasciste Le Pen est mort. Nous n’allons pas faire la fête, ce serait exagéré. Pour autant la mort d’un homme politique qui a incarné pendant des décennies tout ce que nous combattons : la complicité et la collaboration avec le nazisme, l’antisémitisme, le négationniste, la torture, le racisme, la xénophobie, le repli identitaire, marquera cette journée du 7 janvier dont nous préférerons toujours garder en mémoire les attentats contre Charlie Hebdo.
    Nous allons poursuivre notre combat contre l’extrême droite française, européenne et mondiale dont on voit bien, que les Bardella, Le Pen, Orban, Trump et Musk sont quelques uns des représentants les plus dangereux pour l’avenir de l’humanité.

  3. Berthelot Jacques le 8 janvier 2025 à 08:34

    Avant de mourir, Jean-Marie Le Pen a vu toute sa vie défiler devant son œil
    https://www.legorafi.fr/2025/01/07/avant-de-mourir-jean-marie-le-pen-a-vu-toute-sa-vie-defiler-devant-son-oeil/

  4. Marc le 8 janvier 2025 à 11:11

    Bonjour,
    Je voudrais revenir sur un point d’Histoire M Martelli.
    Toutes les recherches historiographiques de ces dernières années montrent que, contrairement à un mythe construit après le seconde guerre mondiale, l’extrême droite, prise dans son ensemble, n’a pas collaboré avec les allemands. Une récente émission sur Arte le rappelait.
    Les choses ont été éminemment plus complexe.
    Une partie importante de l’extrême droite, fidèle à son hostilité avec l’Allemagne, à participé à la Résistance en constituant parmi les plus importants réseaux, notamment dans le renseignements et l’espionnage au profit de l’Angleterre et des États-Unis.
    Ne pas oublier qu’une partie non négligeable de personnalités de gauche ou pacifistes se sont fourvoyees dans la collaboration au nom (cette même émission sur Arte le rappelle aussi) de l’idée que Petain pouvait éviter le pire pour la France.

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