Ce désordre a-t-il une fin ?
					La newsletter du 4 novembre 📨
par Catherine Tricot
Sous couvert de parlementarisme et d’esprit de compromis, le projet de budget se transforme en une expérience déconcertante voire imbuvable.
À peine nommé, en gage de rupture avec la gouvernance autoritaire des années précédentes, le premier ministre Sébastien Lecornu a renoncé à l’usage du 49.3 et vanté une nouvelle méthode faite de dialogue et de compromis. Le gouvernement serait désormais sous le contrôle du parlement. Les députés socialistes ont dit vouloir donner sa chance à cet engagement et refusé de censurer. Admettons.
Où en sommes-nous un mois plus tard ? Absolument tout le monde est perdu. La politique ne se fait plus au grand jour, devant les citoyens mais dans des réunions « loin des micros », à la buvette de l’Assemblée et dans les interruptions de séances. Les amendements se suivent et se contredisent. Tout ceci est un jeu de rôle. Ce travail des députés pourrait bien être effacé par le repêchage des sénateurs, suivi des négos de la commission mixte paritaire et, enfin, le possible usage des ordonnances.
Mais au-delà de cette déconsidération des élus, ce qui est mis à mal, c’est l’idée même de compromis. Pourtant, celui-ci est nécessaire quand on croit que les minorités détiennent une part d’un réel complexe. Refuser de bouger, prétendre tout anticiper et tout savoir, tout imposer est folie. En revanche, intégrer la nuance ne signifie pas renoncer à la cohérence. Et c’est bien ainsi que Sébastien Lecornu le voit. Il accepte de reporter, reculer, assouplir mais la cohérence du budget reste : il entend faire des économies sur le développement humain – santé et éducation – ; surseoir aux adaptations au changement climatique ; poursuivre la politique de compétitivité par la baisse des coûts du travail ; attendre le ruissellement.
Les socialistes ont minoré l’importance primordiale de la base de discussions. Ils ont accepté de négocier à partir du budget Bayrou-Lecornu. Ce faisant, ils ont endossé le rôle de ceux qui obtiennent des petites victoires. Certaines seront réelles : nous ne parlons pas ici du report de la réforme des retraites, qui apparaît pour ce qu’elle est : un symbole, une entourloupe. Nous ne parlons pas non plus des chiffons rouges agités pour être retirés, comme la fiscalisation des pourboires et des tickets restaurants. En revanche, l’année blanche sur les minima sociaux et les retraites aurait été douloureuse et créerait un précédent inacceptable. Les socialistes ont obtenu ces reculs mais l’équilibre global demeure.
Tout à leur préoccupation de vanter leurs victoires, les socialistes éludent cette réalité : ce budget est mauvais pour les Français et pour la France ; il est délétère pour aujourd’hui et pour demain. Sébastien Lecornu a fait des compromis sur la mise en œuvre de sa politique mais pas sur sa politique. Comment le lui reprocher ? Sans cohérence, la politique n’est rien. Et il semble savoir que la cohérence ne signifie pas la raideur, contrairement à beaucoup de députés macronistes issus de la « société civile », de la haute-fonction publique et de l’entreprise… sans expérience politique.
En continuant de faire « comme si » les compromis avaient bougé les logiques politiques du budget, les socialistes perturbent et divisent la gauche. On les soupçonne de retomber dans les anciens travers sociaux-libéraux qui les ont mis à terre… Tout aussi grave, ils brouillent l’idée que la politique, c’est choisir entre des logiques. Ils nourrissent l’idée que les désaccords ne sont que désordres et qu’il faut un chef fort.
L’alternative se doit d’être une proposition claire, lisible, cohérente et constante. Et sincèrement démocratique.
🔴 BRÈVE DU JOUR
Parier sur l’actualité : comment la marchandisation de l’information transforme notre présent

Fondée en 2020 aux États-Unis par Shayne Coplan (qui a aujourd’hui rejoint le sympathique club des milliardaires techno-fascistes), Polymarket est une plateforme qui permet de parier de l’argent sur des sujets d’actualité. À première vue, rien de bien méchant. Sauf que voilà : spéculer en cryptomonnaie sur l’élection de Zohran Mamdani, la situation politique en France, les élections au Chili ou encore… les bombes à Gaza, ça pose problème. Polymarket a été financée et encouragée par les libertariens autoritaires comme Peter Thiel, Elon Musk ou encore Donald Trump Jr. Déjà, les paris ne sont plus uniquement des jeux mais influencent directement les médias et… le cours des choses. Numerama relève que « CNBC ou Reuters citent régulièrement ces pourcentages prédictifs pour éclairer les tendances politiques, au détriment des sondages traditionnels ». Des paris qui façonnent donc un certain récit où l’opinion règne sur l’information, la désinformation et la diffamation sur la vérité. À noter qu’en France, la plateforme a été interdite… car elle n’avait pas d’agrément valide pour pratiquer les jeux d’argent. Comme si c’était ça le problème.
E.S.
ON VOUS RECOMMANDE…

« Le New Deal… mais pas pour tous », sur Arte. Pour déconstruire le mythe de la politique de Roosevelt qui aurait sauvé l’économie, voire la société américaine. Car il est une composante du peuple américain, et pas des moindres, qui aura été privé de ce New Deal : les Noirs.

Taxe Zucman : même les Américains l’ont fait
Aux États-Unis aussi, la bataille pour taxer les riches avance… et pas seulement dans les discours. Le Massachusetts a mis en place une « taxe sur les millionnaires » en 2023 sans que cela ne suscite un exode fiscal. D’autres États, la Californie en tête, préparent un impôt sur la fortune inspiré des travaux de Gabriel Zucman et Emmanuel Saez.
👉 à lire ici
C’EST CADEAU 🎁🎁🎁
Le 4 novembre 1988 était donnée au Burgtheater de Vienne, la première de Place des héros de Thomas Bernhard. Une pièce qui fit scandale car elle décrivait une Autriche aussi antisémite en 1988 que ce jour de 1938 où Adolf Hitler avait été accueilli triomphalement dans la capitale sur cette Place des héros. Politiques et autres puissants avaient essayé de faire interdire la pièce. En vain.
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