L’ordre plutôt que la défense
La newsletter du 28 novembre 📨
En exaltant un service militaire volontaire pour une armée hybride, « cadre naturel » du patriotisme, Emmanuel Macron promeut avant tout une société d’ordre.
Le chef de l’État a annoncé, jeudi, l’ouverture d’un service militaire sur la base du volontariat pour 3000 jeunes dès l’été 2026 pour renforcer le « pacte armée-nation » et se préparer face à des menaces accrues, dans un modèle d’armée hybride. Il insiste sur la discipline, l’esprit de défense et la mobilisation de la nation, tout en affirmant que ce service restera limité au territoire national et qu’il vise autant un objectif militaire que moral et civique.
Cela fait plusieurs fois qu’Emmanuel Macron parle de la mutation de la guerre sans rien dire de concret sur les compétences véritablement nécessaires aujourd’hui, comme le recrutement massif d’ingénieurs, de techniciens, d’informaticiens. Le projet tel qu’il l’annonce s’apparente moins à une réponse à des menaces modernes qu’à un retour aux codes traditionnels d’une armée faite de fusils, de pas cadencé et de drapeaux.
Dans son discours, Emmanuel Macron évoque notre jeunesse comme un trésor de la France et affirme que « notre armée est le cadre naturel d’expression de ce besoin de servir ». Il joue ainsi sur l’idée que l’engagement militaire serait le passage obligé pour éprouver le patriotisme, que l’on deviendrait citoyen à travers l’uniforme. Mais derrière cette formule se cache une vision exclusive : qu’advient-il des femmes, longtemps exclues des armées et toujours largement minoritaires ? Le patriotisme, n’en déplaise au président, ne s’exprime pas uniquement par les armes mais aussi par la culture, par l’industrie, par le consentement à l’impôt, par l’attachement à la République et son origine révolutionnaire.
Le président de la République promet aux volontaires un mois d’instruction : « Ils acquerront l’esprit de discipline, se formeront au maniement des armes, à la marche au pas, aux chants, à l’ensemble des rituels qui nourrissent la fraternité de nos armées et concourent à la grandeur de la nation ». Ce retour aux rituels traditionnels ne vise pas tant à préparer une armée moderne qu’à recréer un imaginaire militaire, un ordre moral et social. L’objectif semble moins d’affronter des guerres technologiques que de remettre en place des normes de discipline, d’obéissance et d’unité, c’est-à-dire une société d’ordre.
Emmanuel Macron affirme que le service sera « uniquement sur le territoire national ». Mais cette limitation joue un rôle de paravent : le discours martial, la rhétorique de l’unité nationale, l’idée d’un « monde incertain ». Tout cela nourrit la normalisation d’une disponibilité permanente, d’une jeunesse mobilisable. Même si, officiellement, on ne parle pas d’envoi au front, on instille l’acceptation que la guerre, ou la crainte de guerre, fait partie du quotidien potentiel.
On peut argumenter que l’armée joue un rôle social utile : secours en montagne, lutte contre les incendies, réponse en cas de crise ou de catastrophe naturelle, protection des territoires isolés ou sensibles… Mais Emmanuel Macron ne met pas en avant ce type de missions. Il met en avant les armes, la discipline, la préparation à l’affrontement. Le service national qu’il propose n’est pas présenté comme un service d’utilité sociale ou civile mais comme une initiation martiale, une formation au combat, un retour aux symboles guerriers.
Après l’échec du SNU, le président réinvente le récit. Plus frontal, plus assumé, plus martial. Il ne parle plus seulement de cohésion, il parle d’ordre. Il ne parle plus seulement d’engagement, il parle de discipline. Ce n’est plus un temps citoyen, c’est une pédagogie de l’ordre. La question n’est donc pas de savoir si ce service militaire sera efficace pour la défense du pays. Elle est de savoir quel type de société il prépare. Une société qui doute, qui discute, qui résiste ? Ou qui marche au pas, qui se tait, qui obéit ?
Sous couvert de protection, Emmanuel Macron propose une militarisation des consciences. Et dans ce monde incertain qu’il décrit, ce n’est pas tant la guerre qu’il prépare que les esprits à l’accepter.
🔴 SÉQUESTRE DU JOUR
Christian Tein, libre de ne pas rentrer chez lui

Christian Tein, leader indépendantiste kanak, a été libéré de prison le 12 juin 2025. Il venait de passer plus d’un an en cellule à Mulhouse, accusé d’avoir mené les révoltes du printemps 2024 en Nouvelle-Calédonie. Désormais libre, sous contrôle judiciaire, les juges l’ont autorisé en octobre dernier à retourné dans l’archipel. Et pourtant, il ne peut toujours pas regagner son foyer : il n’a pas reçu son nouveau passeport. Dans un entretien au Guardian, Christian Tein accuse le gouvernement français : « On voit bien qu’il fait traîner les choses délibérément […] Nous avons oublié les valeurs des droits humains. La valeur que, quand on inculpe quelqu’un, cela est basé sur des preuves, des preuves qui sont bien fondées. Mais ils ont tout fait pour m’isoler de mon pays. » La Kanaky, une Haïti des temps modernes ?, écrivait-on au printemps. Rien ne change.
Z.B.
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Adolescentes, de Sébastien Lifshitz, sur Arte jusqu’au 1er décembre. Documentaire sorti en 2019 sur les premières fois d’Anaïs et Emma que l’on suit de leurs 13 ans à leur majorité. Portrait d’une jeunesse qui cherche, qui s’amuse, qui doute, qui souffre et qui rit.
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Re Service National — par tOad
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