Réforme des retraites : quand la macronie tend le piège, la gauche cherche la sortie
La newsletter du 12 novembre 📨
par Catherine Tricot
À l’Assemblée, la macronie invente le « décalage » de la réforme des retraites et la gauche se déchire entre promesse de victoire et refus du piège.
C’est acquis. Les députés socialistes vont voter cet après-midi « pour » le « décalage » de la réforme des retraites qu’ils tiennent pour une « suspension », dès l’instant où ce décalage va au-delà de 2027 (c’est-à-dire de la prochaine élection présidentielle). Il sera alors temps de voter pour le maintien ou pour une autre réforme des retraites. Les socialistes veulent y voir une victoire arrachée à la macronie quand les victoires sociales ne sont pas si courantes. Comme le dit Sophie Binet, il s’agit d’une « brèche dans un totem du macronisme ».
Acquis aussi le vote des députés insoumis : ce sera un vote « contre » . Évidemment pas parce qu’ils veulent que les salariés en suent trois mois de plus mais parce qu’ils veulent qu’on nomme un chat un chat : il s’agit d’un « décalage » conformément à la mise au point faite par Emmanuel Macron, en aucune façon d’une « suspension sine die » et encore moins d’une abrogation, réclamée depuis trois ans. Mais, dans ce vote insoumis, il y a davantage : ils ne veulent pas entrer dans l’engrenage d’une validation par consentement tacite de l’âge de départ à 64 ans. La secrétaire générale de la CGT demande, ce matin encore, de ne pas valider ces 64 ans et de faire évoluer le texte. Les insoumis ne veulent pas alimenter le récit loufoque que les députés se seraient enfin prononcés sur une réforme passée au 49-3. C’est aussi le sens du piège tendu par la macronie : obtenir une validation du recul de l’âge de départ pour le prix modique d’un « décalage » voire d’une prise en compte des carrières longues… le tout payé par des coupes supplémentaires dans le budget de la sécu. Catastrophique.
Cohérents, les insoumis s’opposent frontalement à la politique macroniste. En votant « contre », ils prennent le risque de se faire mal comprendre, de passer pour des jusqu’au-boutistes et qu’à l’arrivée, il ne se trouve pas de majorité pour rejeter ce décalage… Alors le choix de la clarté politique se fracasserait sur la réalité de la perte d’un petit gain immédiat pour ceux qui auraient pu profiter de ce décalage – c’est-à-dire pour la génération née en 1964 et 1965.
Les députés RN voteront « pour ». Les députés LR et Horizons voteront« contre ». Les Renaissance devraient se diviser entre votes « contre » et une majorité d’abstentions.
Que feront les députés communistes, écologistes, ceux de l’Après ? Ils se retrouvent pris en tenaille. Ils voient bien la difficulté de s’opposer à cette maigre avancée mais ils n’ont pas envie de la faire passer pour ce qu’elle n’est pas, c’est-à-dire une victoire. Engagés dans le combat contre l’éclatement des gauches, ils sont aussi soucieux de ne pas creuser davantage les tranchées entre les députés de gauche.
Comment ne pas partager cette hésitation ? Un vote à l’Assemblée doit avoir une portée politique et être compris. Quel vote aura du sens pour les salariés ? On peut douter que, ce soir, des défilés de la victoire s’organisent dans les rues. Chacun mesure que la réforme Borne-Touraine-Macron ne sera pas défaite.
On ne peut pas non plus ignorer la suite de l’histoire : Gérard Larcher, le chef de la droite au Sénat, en attendant le retour – prévu pour aujourd’hui – de Bruno Retailleau, a promis de rétablir la réforme dans son intégralité et il en a les moyens. Puis viendra la commission mixte paritaire, où droite et macronistes sont majoritaires, pour arbitrer entre les textes des deux chambres . Puis ce sera, pour la première fois, un possible usage des ordonnances par le gouvernement. La promesse d’un gain, même ténu, paraît fragile voire illusoire.
Alors que faire ? Voter contre ou s’abstenir ? Au moins, que chacun à gauche rende lisible son vote. Sortons des billevesées sur le « retour du parlementarisme » et des discours débiles sur la nécessité de « faire des compromis », toujours mauvais sur la base d’un projet de droite profondément nocif.
Catherine Tricot
🔴 PANIQUES DU JOUR
Gerbe pour le 11-novembre, colloque sur la Palestine au Collège de France : les nerfs à vif du pouvoir

À Reims, ce 11 novembre, le responsable du protocole de la mairie a jugé bon de faire retirer le ruban de la gerbe déposée par le député européen LFI Anthony Smith. Motif : on y lisait ce slogan pacifiste historique, jugé trop subversif pour honorer les morts de 14-18 : « Maudite soit la guerre ». À Paris, dans le même élan de dinguerie institutionnelle, le Collège de France a annulé, sur incitation du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, un colloque scientifique sur la Palestine initié par Henry Laurens. Prétexte : la polémique, nourrie par Le Point et la Licra, menaçait la sérénité du lieu. D’un côté, on censure un message pacifiste vieux d’un siècle ; de l’autre, on bâillonne la recherche au nom d’une neutralité mal comprise. Dans les deux cas, c’est le même réflexe de crispation qui s’exprime : des autorités qui perdent leur sang-froid et confondent ordre avec autorité, symbole avec scandale, débat avec menace. La République de 2025 serait une vieille dame crispée sur ses symboles, entrant dans chaque polémique comme on entre en transe. On la rêvait ferme et lumineuse, fière de la raison et du courage ; la voilà réduite à participer, chaque jour un peu plus, à ce grand concours de panique nationale.
P.P.-V.
ON VOUS RECOMMANDE…

Encore une traduction importante sur le site du Grand Continent : aux Etats-Unis, le secrétaire à la Guerre Pete Hegseth a présenté une stratégie visant à « libérer » l’armée américaine de sa propre bureaucratie. En s’en prenant aux lourdeurs administratives et aux règles d’achat du Pentagone, il veut accélérer la production d’armes et rapprocher l’industrie privée du champ militaire. Sous couvert d’efficacité, cette réforme, fidèle à la vision de Donald Trump, consacre un tournant : moins de contrôle public, plus de pouvoir aux industriels, et une armée américaine restructurée autour d’un pacte assumé entre guerre, profit et patriotisme. Flippant.
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