La grenade dégoupillée
La newsletter du 10 novembre 📨
par Catherine Tricot
De justesse, les députés ont adopté, ce 8 novembre, le volet « recettes » du budget de la sécurité sociale. La gauche s’est totalement éparpillée entre votes pour, contre et abstentions. Illisible et confus.
Samedi soir, par 176 voix pour, 161 contre et 58 abstentions, les députés ont donc adopté la partie recettes du budget de la sécurité sociale. Parmi les votes contre, on trouve notamment les députés insoumis, la communiste Elsa Faucillon, l’écologiste Sandrine Rousseau ou encore les membres de l’Après Clémentine Autain et Alexis Corbière. Parmi les votes pour, la quasi-totalité des députés socialistes (à deux abstentions près), tout comme Emmanuel Maurel (groupe communiste) et Delphine Batho (écologiste). Parmi les abstentionnistes, on trouve nombre de députés communistes et écologistes dont Stéphane Peu (président du groupe communiste), Cyrielle Chatelain (présidente du groupe écologiste), Pouria Amirshahi ou encore François Ruffin (Debout !).
La gauche n’est pas la seule à s’être divisée. Les députés Renaissance et MoDem ont voté pour. Horizons s’est divisé entre votes en faveur du texte et abstentions. LR s’est abstenu. La confusion est à son comble.
Si on ajoute que les députés socialistes ont motivé leur vote non par un accord – même relatif – mais « pour la poursuite du débat », on se demande qui peut s’y retrouver. Dans la confusion des termes, ajoutons qu’il peut paraître étrange d’appeler « victoire » ce qui n’est que mauvais coups esquissés. Promettre trois coups de bâtons et n’en recevoir que deux, est-ce une victoire ? Certes, la surtaxe sur les mutuelles, la cotisation patronale sur les tickets-restaurants seront bien épargnées. Qui avait eu ces fameuses idées ? La contribution sociale généralisée (CSG) sur les revenus du patrimoine est comptée comme une victoire par les socialistes, décriée par les insoumis qui soulignent que son élargissement s’accompagne d’une baisse du taux forfaitaire de 1,5% à 1%… et donc une économie pour les plus hauts patrimoines. Confusion à tous les niveaux.
Et il y a tout le reste. Tout ce que la gauche n’a pas pu éviter : la limitation à un mois des arrêts maladie, la suppression de l’exonération fiscale des indemnités journalières pour affection longue durée (ALD) (700 millions d’euros attendus), l’élargissement aux entreprises de plus de 250 salariés d’une baisse des cotisations patronales sur les heures supplémentaires (élargissement du trou de la sécu en perspective), l’augmentation des franchises médicales sur les boîtes de médicaments et sur les visites chez le médecin… La liste est difficile à établir : aucun site ne la tient à jour, pas même ceux des groupes parlementaires ou du gouvernement. Le mystère s’épaissit.
Rien ne dit que l’examen ira à son terme mercredi. Rien ne dit donc qu’un vote interviendra, même sur le décalage de la réforme des retraites. Dans cette hypothèse, beau bazar en perspective au sein même de la gauche. Si on ajoute à cela que le Sénat va tout remettre à sa main, que la CMP (commission mixte paritaire entre les deux chambres) est dominée par la droite, que les délais permettront au gouvernement de passer par ordonnances… Alors on s’interroge sur la réalité des victoires, pas sur les promesses de victoire.
On peut partager la volonté d’éviter « le pire du pire » et comprendre l’engagement des députés en ce sens. Mais le vote « pour » signifie que le « compromis » est correct. L’est-il ? Personne à gauche ne le dit. L’an passé, les députés de gauche avaient voté le volet recettes du budget. Il n’est donc pas impossible de voter pour un budget. Mais l’an passé, il l’avait fait au terme d’amendements conséquents adoptés à la suite de la désertion des macronistes désabusés et parfois du vote des députés RN. Le budget était alors devenu « NFP compatible ». Est-ce la cas aujourd’hui ?
Mais le plus grave est l’illisibilité complète de ce vote. Comment les citoyens peuvent-ils se faire une idée de la politique recherchée par le gouvernement, ou de celle poursuivie par la gauche ? Le désintérêt, l’écœurement et la défiance gagnent du terrain. Toute la vie politique ne peut se polariser sur le parlement et sur l’action gouvernementale. Ce n’est qu’une partie de la politique qui englobe – on l’oublie – nos choix multiples, privés, professionnels, associatifs, syndicaux. La politique c’est ordonner, donner sens au monde et à nos actions. Quel sens a-t-on dégagé de ces batailles d’amendements ? Ce charivari nous désarme.
En dissolvant l’Assemblée, Emmanuel Macron avait promis « une grenade dégoupillée dans les jambes des partis ». Elle éclate sur la politique dans son entier. Les responsables politiques ne sont pas obligés de laisser faire cela, de s’adonner à ces jeux. Plus, ils ont le devoir de s’opposer à cette effroyable attaque contre la démocratie.
🔴 BAD NEWS DU JOUR
États-Unis/France : deux crises, un même vertige

Aux États-Unis, huit sénateurs démocrates ouvrent la voie à une fin du shutdown en cédant à Donald Trump sur un compromis au rabais. 40 jours de blocage budgétaire avaient laissé les services publics à l’arrêt et des millions de fonctionnaires sans paie. En France, la gauche se divise, elle aussi, sur le budget : entre ceux qui veulent « éviter le blocage » et ceux qui refusent de cautionner l’austérité. De part et d’autre de l’Atlantique, la droite impose son cadre au forceps. À Washington comme à Paris, la gauche cherche encore comment s’opposer sans se fragmenter ni mettre le pays à genoux.
P.P.-V.
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« The Deal », sur Arte. Dans un hôtel de luxe à Genève, en 2015, Washington et Téhéran entament des négociations sur le nucléaire iranien. Une série palpitante où se jouent, au cœur de la diplomatie de très haut niveau, les fragilités comme les forces des relations les plus humaines qui soient.
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