LA LETTRE DU 7 JANVIER

8009580-Récupéré

La mort de l’esprit Charlie

par Roger Martelli

Dix ans après l’attentat qui a coûté la vie à douze personnes, dont huit membres de la rédactions de Charlie Hebdo, Roger Martelli s’interroge : que reste-t-il de l’esprit du journal satirique ?

Le 7 janvier 2015, un duo de tueurs fanatiques voulut anéantir un esprit, celui de Charlie, préparé dans les années 1960 au fil des colonnes libertaires et rigolardes du mensuel Hara-Kiri. Que reste-t-il de cet esprit ? Il s’est dissous au fil des ans, bien avant le tragique hiver de 2015, sous la houlette de Philippe Val, repreneur en 1992 d’un titre alors en voie d’épuisement.

L’évolution de Charlie était en fait le condensé d’une époque, à la charnière de deux siècles. La gauche dispersée était à la recherche de nouveaux équilibres. Elle avait été sidérée par l’effondrement du soviétisme, puis déstabilisée par la conversion libérale du socialisme. En septembre 1998, un appel de personnalités dans Le Monde sembla ouvrir la voie d’un sursaut. Sous le titre « Républicains, n’ayons plus peur », la tribune proposait de remettre la République au centre du discours de gauche. Ce creuset de valeurs communes devait être le garant d’un ordre bienveillant et promouvoir le bien public, opposé au marché tout puissant.

Le flou relatif de cette idée républicaine permit un regroupement large, réunissant une part du flanc gauche et du flanc droit de la grande famille née en 1789, celle de la gauche. Mais la République ici invoquée ne disait rien de la tension entre une lecture « sociale » et une autre attachée à la seule égalité « en droit ». Le silence avait des vertus tactiques, mais il rendait l’équilibre fragile.

Il l’était d’autant plus que, dès 1992, apparut l’idée que la guerre froide laissait la place au « choc des civilisations ». Puis, le 11 septembre 2001, l’attentat de New-York fit passer du « choc » à « l’état de guerre » – bien sûr contre le terrorisme islamiste. Le grand retour du conflit dualiste parut alors autoriser tous les simplismes. Beaucoup finirent par oublier que l’islamisme n’était pas plus la vérité de l’islam que l’Inquisition n’était celle du catholicisme ou le stalinisme celle du communisme. Le nouveau « totalitarisme » étant désigné, il suffisait de le combattre par tous les moyens, la guerre directe, le choc sans nuance des slogans et la rigueur de l’autorité publique, fût-ce au prix d’une restriction des libertés. Philippe Val, comme d’autres, s’est voulu un héraut de cette guerre à mort.

Hélas, au bout de son cheminement, se trouve un étrange renversement. La République, qui avait vocation d’inclure, sert de porte-drapeau à la stigmatisation du monde musulman. La laïcité apaisée qui, avec la loi de 1905, avait vocation à éteindre définitivement le conflit des religions, sert d’instrument privilégié pour guerroyer contre l’une d’entre elles.

Ces retournements pourraient être mortels pour la République, la laïcité, la gauche et la démocratie elle-même. D’une manière paradoxale, laisser « l’esprit Charlie » se transformer en machine de guerre serait donner raison aux forcenés qui ont pensé, en 2015, qu’il était temps de passer de l’arme de la critique à la critique par les armes.

Roger Martelli

ÉTUDE DU JOUR

Qui est Charlie ?

Dix ans après l’attentat contre Charlie Hebdo, les Français sont toujours très attachés à la liberté de la presse et à la caricature, comme le montre une étude de la fondation Jean Jaurès. Une tranche d’âge et un électorat se distingue pourtant : celle des moins de 35 ans et celui de La France insoumise – ceci étant en partie lié à cela. Les jeunes semblent davantage que le reste de la population enclin à privilégier le respect sur le droit au blasphème et à assumer de nouveaux tabous (le racisme, le sexisme, etc.) plutôt que « le rire de tout ». Cela se lit dans le sondage et inquiète parfois. 24% des proches de LFI (contre 13% des Français) déclarent « pouvoir participer à des provocations lors des cérémonies d’hommage aux victimes de l’attentat ». La France insoumise, qui se veut un mouvement d’éducation populaire, a des responsabilités auprès de son électorat, notamment les plus jeunes, pour que la complexité ne vire pas au confusionnisme.

C.T.

ON VOUS RECOMMANDE

À 62 ans, Demi Moore remporte son premier prix international, un Golden Globe de la meilleure actrice. Dans un discours poignant, elle rappelle sa longue carrière d’actrice « pop corn » qu’elle a cru un temps terminée, ayant atteint une date de supposée péremption. Mais que cela plaise ou non aux producteurs hollywoodiens, une femme peut continuer ou recommencer sa carrière après 60 ans. Merci Demi !

ÇA SE PASSE SUR REGARDS.FR

Pour recevoir cette newsletter quotidiennement (et gratuitement) dans votre boîte mail, suivez le lien : regards.fr/newsletter !

Partager cet article

Actus récentes

Abonnez-vous
à notre NEWSLETTER
quotidienne et gratuite

Laissez un commentaire