LA LETTRE DU 4 JUIN

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L’écologie toujours dans la même impasse

par Pablo Pillaud-Vivien

L’écologie ne peut s’affranchir des enjeux sociaux. Parfois plus facile à dire qu’à faire. Deux récentes propositions de loi l’ont montré, celle sur les ZFE et celle sur la mode ultra pas chère, la fast fashion. Dans les deux cas, la gauche reproche de faire porter les efforts sur les plus pauvres pendant que les plus riches continuent de consommer et de polluer sans entrave.

La proposition de loi contre la fast fashion, votée à l’unanimité à l’Assemblée nationale, arrive au Sénat. Un texte très affaibli sous l’effet d’un intense travail de lobbying, en particulier de l’ancien ministre Christophe Castaner. Ainsi, le malus environnemental est réduit, l’encadrement de la publicité revu à la baisse, les obligations d’affichage étalées dans le temps. Pourtant, le constat ne souffre aucune contestation. Chaque jour, des milliers de vêtements sont produits à toute vitesse, dans des conditions indécentes, pour être vendus quelques euros, portés quelques fois, puis jetés. Les rivières sont empoisonnées, les ouvrières surexploitées et les placards européens débordent.

Rapide, toxique, jetable… La fast fashion est une caricature du capitalisme contemporain : du travail mal payé au Bangladesh ou en Éthiopie jusqu’à la livraison gratuite en 24 heures chez un consommateur occidental. Elle permet à des millions de gens d’acheter. Nous sommes désormais tous convaincus « que le bonheur, c’est d’avoir, de l’avoir plein nos armoires ». Alain Souchon précisait : « On nous fait croire ». Mais qui est ce « on » ? Et si on nous « fait croire » c’est alors que d’autres rêves sont possibles. La proposition de loi évite le fond du problème : s’attaquer au désir consumériste lui-même. 

La loi fait peser les pénalités contrer cette pollution planétaire sur les plus jeunes et les plus pauvres. Les opposants à Shein et autres Temu réclament que soient intégrés dans le prix des vêtements le coût réel du travail et l’impact écologique. Ce « consommer responsable » se traduirait par une hausse des prix et une restriction du pouvoir d’achat. Les plus riches restent épargnés par l’injonction (puisqu’ils sont riches) et peuvent continuer à commander des dizaines de t-shirts de qualité — et à faire Paris-Dijon en jet privé. Mais relever cette évidente hypocrisie suffit-il à produire un discours de gauche ? La contestation frontale du mode de vie consumériste s’impose absolument. Cette foule (nous) qui reste sentimentale, rêve d’une vie haute en aventures, en amours, en émotions, en surprises. Cette vie-là ne se trouve pas sous les blisters des t-shirts à 5 euros. C’est en activant ces rêves qui nous habitent encore que l’on peut, tous, vouloir autre chose que les gadgets en plastique. 

Cette même exigence vaut pour les zones à faibles émissions (ZFE). Pensée comme une mesure de santé publique et de justice environnementale (les plus pauvres habitent le long des axes les plus polluants), la ZFE a été vidée de sa substance par amendements— jusqu’à ce que le gouvernement propose purement et simplement de la suspendre dans de nombreuses villes.

Là encore, sous couvert de réviser l’éviction des classes populaires, on détricote l’ambition écologique. Les mêmes qui limitent le logement social, laissent le foncier exorbitant fracturer les villes et ségréguer les habitants, seraient les chevaux blancs des classes populaires. On se marre. Pourtant, il y a un problème : oui, les ZFE interdisent de circuler à celles et ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter une voiture récente. Mais au lieu de corriger ces angles morts par des primes ciblées, par d’autres politiques de localisation des emplois… on préfère renoncer. Qui interroge le bilan carbone global (c’est-à-dire sur la totalité de la durée de vie de la voiture) entre une grosse berline neuve ou un 4X4 inutile et une vieille guimbarde ? Si les ZFE sont contestables, c’est d’abord pour ces impasses, pas parce qu’elles pénalisent les plus pauvres. Une gauche en forme et qui pense à autre chose qu’à s’étriper aurait pu porter de telles idées, accompagnées de mesures défendues ensemble. Permettez qu’on en rêve encore. Et qu’on se désole de ce désastre qui a vu la gauche se diviser. Et l’écologie dégagée.

La défense de la « fin du mois » ne peut se faire au prix de la « fin du monde ». Ce faisant, mesure-t-on à quel point on accable les catégories populaires ? Implicitement, on les rend responsables de la catastrophe qui vient. Qui dit horizon écologique dit aussi horizon.

Pablo Pillaud-Vivien

ÉCŒUREMENT DU JOUR

De centre, le bloc au pouvoir n’en a plus que le nom : il glisse chaque jour un peu plus vers l’extrême droite

« Mais ce n’est pas ça le centre ! » : ce cri du cœur était celui du député MoDem Marc Fesneau la semaine dernière dans La Tribune Dimanche. Il y dénonçait une « forme de trahison » du macronisme de 2017, voyant bien que l’entièreté de la droite, centre compris, reprenait de plus en plus volontiers les arguments de l’extrême droite. François Bayrou, issu des mêmes rangs que lui, a dû encore retourner le sang du député du Loir-et-Cher hier : après avoir parlé de « submersion migratoire », avoir été « troublé » après la décision de justice concernant Marine Le Pen et avoir parlé de « polémiques » pour parler du racisme et des condamnations de Jean-Marie Le Pen, voilà que l’actuel premier ministre veut des « peines minimales » pour les délinquants, rompant avec la position du MoDem sur le sujet. Gageons qu’hélas, Marc Fesneau n’est pas prêt de dormir tranquille…

P.P.-V.

ON VOUS RECOMMANDE…


« It must be heaven », d’Elia Suleiman sur Arte : la dernière œuvre du cinéaste palestinien est un film libre, résolument libre, réalisé par un homme libre sur un homme libre (lui-même) qui voyage entre Nazareth, Paris et New York. On est saisi de frissons et de vertiges quand l’on sait le martyr traversé par le peuple palestinien actuellement. Mais de force aussi : car Elia Suleiman dessine, à sa délicate manière, un horizon.

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